Série : Fanny Herrero au-dessus de la mêlée
L’ex-plume star de « Dix pour cent » prépare une série de six épisodes pour Netflix. Confidences d’une « showrunneuse » à la française.
Chez elle, les mots ne trompent pas. En quelques minutes seulement de discussion, il est question d’« équipe », de « collectif », d’« échange », de « renvois de balle ». Pour la pétillante scénariste de 46 ans à la silhouette de mannequin, faire une série, c’est avant tout un sport d’équipe. Après avoir tenu les rênes des trois premières saisons de Dix pour cent, propulsée depuis par Netflix sur la scène internationale, elle vient d’être débauchée par la plateforme de streaming pour s’atteler à une mini-série de six épisodes, l’histoire de quatre jeunes qui tentent de percer dans le dur milieu du stand-up. Fanny Herrero est ce qu’on appelle une « showrunneuse ». C’est elle qui supervise toutes les étapes de fabrication d’une série, de l’écriture de la première ligne à la postproduction, et qui garantit la qualité et la cohérence de l’ensemble. Un métier né aux États-Unis à la fin des années 1990 avec le succès des Soprano, de Six Feet Under ou encore de The West Wing, dont les scénaristes (respectivement David Chase, Alan Ball et Aaron Sorkin…), qui coproduisent bien souvent le programme, deviennent des héros au même titre que leurs personnages. « En France, nous n’avons pas de traduction pour showrunner. On parle tantôt de chef d’orchestre, de clé de voûte, de chef de bande, des expressions un peu fourre-tout qui montrent bien à quel point notre rôle a longtemps été sous-estimé. » À entendre la scénariste, sans conteste l’une des plus douées de sa génération, on se rapproche plus de l’image du coach sportif, qui veillerait à la fois à l’endurance de chacun et à la cohésion du groupe. « Mettre en valeur les talents individuels au service du collectif, oui, c’est ça. »
« Fille de ». Là où d’autres s’en affranchiraient volontiers, Fanny Herrero ne renie pas sa condition de « fille de », bien au contraire. Elle est fière de ses origines (Toulon), de ce père – Daniel Herrero –, figure emblématique de l’Ovalie, et de toutes les valeurs qu’elle a pu glaner en passant son enfance dans les vestiaires de Mayol, le stade du Racing club toulonnais (RCT). Elle se souvient d’être allée à l’école peinturlurée en rouge, en 1987, lorsque le RCT, alors entraîné par le rugbyman au bandana rouge, est sacré champion de France. « J’ai vu mon père briefer ses
Entre 20 et 30 ans, Fanny Herrero enchaîne castings, petits rôles et petits boulots. C’est au hasard d’un job de lectrice pour une programmatrice de TF1, en décortiquant les épisodes de Joséphine ange gardien et de Sauveur Giordano, qu’elle découvre sa vocation : le scénario. On est au début des années 2000 et les chaînes dépoussièrent leurs séries en adoptant le format de cinquante-deux minutes venu des États-Unis. Après un documentaire pour Arte, coécrit avec son frère, Manuel, devenu depuis réalisateur, elle enchaîne très vite les projets. Fait ses classes sur la série Un village français, un carton de France 3, où Frédéric Krivine expérimente avec brio le showrunning à la française, ou encore sur l’excellente Kaboul Kitchen (Canal + ). Lorsque, en 2015, la série Dix pour cent, qu’elle orchestre de A à Z, débarque en prime time, c’est un vent de fraîcheur qui souffle sur le service public.
Terrain de jeu. Avec humour et tendresse, Fanny Herrero y dépeint le quotidien d’agents de stars du cinéma et met en scène, avec beaucoup de dérision, de vraies vedettes – Binoche, Deneuve, Dujardin… – dans leur propre rôle. Le succès est immédiat et met un coup de projecteur sur ces plumes de l’ombre qui se cachent derrière chaque série. « On ne peut pas livrer une saison seul. Derrière chacune, il y a plusieurs auteurs, qui se retrouvent en atelier d’écriture. Ensemble, on décide de la trame – les “arcs narratifs” –, puis chacun est chargé d’un ou de plusieurs épisodes. Les idées fusent, on garde des choses, on en supprime, c’est un va-et-vient permanent, une école de l’humilité. Puis je m’enferme deux semaines et je retravaille tout ce matériau avec ma patte, mes émotions, mon ressenti. » Sans revendiquer un véritable engagement, elle aime qu’une série prenne le pouls de la société. Les rapports hommes-femmes, l’homoparentalité, le harcèlement… « Ces révolutions que nous sommes en train de vivre me passionnent. Les codes volent en éclats. C’est un terrain de jeu formidable pour un auteur de fiction ! »
Avec l’explosion des séries, les cadences de plus en plus rapides de production, ce sont aussi les codes du métier qui s’en trouvent bouleversés. Longtemps tapis derrière des réalisateurs qui s’attribuent la paternité de leurs récits, les scénaristes français ont aujourd’hui soif de reconnaissance. Sur le groupe Facebook « Paroles de scénaristes », certains auteurs d’En thérapie (Arte) dénoncent, par exemple, le mépris dont ils se disent victimes. « Aux États-Unis, l’écriture est extrêmement valorisée. Les producteurs ont pour habitude de dire : “Writing is gold.” Je n’ai jamais entendu rien de tel en France », regrette celle qui reconnaît avoir dû négocier âprement pour obtenir un intéressement à la suite du succès phénoménal de Dix pour cent. Est-ce qu’on a le temps, et surtout l’envie, de regarder des séries lorsqu’on en écrit ? Elle garde un souvenir ému de ses premiers chocs, d’abord Beverly Hills – plaisir coupable de ses années de prépa –, puis Twin Peaks, The Wire, 24 Heures chrono… « En devenant scénariste, c’est devenu très difficile. J’ai tendance à tout analyser, à me demander pourquoi les personnages