Le Point

L’histoire de France : une enquête menée sur le terrain

Clairvaux, Pithiviers, Illiers-Combray… Dans « Ces autres lieux qui ont fait la France », François-Guillaume Lorrain emprunte des voies inexplorée­s pour exhumer des histoires oubliées et dérouler une autre fresque de notre récit national.

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Si, par le plus grand des hasards, vous croisez un homme à la nuque sans cesse en mouvement, tenant dans ses mains un stylo et un cahier à spirale, dans le plus quelconque des endroits, sachez qu’il s’agit de FrançoisGu­illaume Lorrain et que sa présence n’est en rien anodine. « Sous chaque pierre, il y a une histoire », dit-on dans la Meuse. Ces pierres, notre collègue et ami les retourne, où qu’elles soient, pour y trouver des histoires oubliées ou méconnues. À la manière des grands maîtres que sont G. Lenotre et Pierre Nora, notre « reporter de l’Histoire » isole un lieu, consulte des guides et archives, et déroule sous nos yeux enchantés une fresque glorieuse ou tragique constituti­ve de notre récit national. Ces autres lieux qui ont fait la France (Fayard) témoigne qu’il est possible, en 2021, de porter un regard nouveau sur un événement historique, à condition d’emprunter des voies d’accès inexplorée­s, au sens propre comme au figuré.

La grange du massacre. L’auteur a visité la prison de Clairvaux, ancienne abbaye de 900 ans et, comme Auguste Blanqui, Charles Maurras et Lucien Rebatet, il a entendu le tintinnabu­lement des clés des gardiens. Il a croisé quelques-uns des 129 détenus qui ignorent pour la plupart que ce lieu fut celui où l’on enferma, durant la Seconde Guerre mondiale, les communiste­s, puis les épurés à la Libération, de même que les militants de l’OAS et du FLN durant la guerre d’Algérie. Fondée par saint Bernard de Clairvaux, la prison fermera définitive­ment ses portes en 2023. Qui sait qu’à Wassy (Haute-Marne), le 1er mars 1562, un massacre de huguenots fut annonciate­ur de trentesix ans de conflits entre catholique­s et protestant­s ? Lorrain assiste à une cérémonie de prières dans la grange dite « du massacre » perpétré par le duc François de Guise. Mais, étonnammen­t, en ce jour de juin 2018, pas un mot de cet événement qui semble oublié des protestant­s eux-mêmes… Une plaque apposée sur le temple, plus loin, rappelle toutefois le drame vécu par les 74 victimes, drapiers, tisserands et même « crieurs de vin ». Tous ont été massacrés après que le duc, venu assister à une messe catholique, se sentit dérangé par le rite protestant qui se tenait dans la grange non loin de là. Il ordonna à sa garde de charger les huguenots, qui se défendiren­t à coups de cailloux, ne pouvant cependant empêcher le massacre.

À Illiers-Combray, changement d’atmosphère et d’époque, on déambule dans les rues de la ville de Beauce rendue célèbre par Marcel Proust. En 1971, Illiers s’est vu accoler le toponyme que l’écrivain lui avait inventé dans La Recherche. Devant le portail du Pré-Catelan, au côté de François-Guillaume Lorrain et du fantôme de sa grand-mère proustienn­e, on observe le jardin de Charles Swann, inspiré du jardin de l’oncle véritable de Marcel, Jules Amiot. Dans l’église SaintJacqu­es (Saint-Hilaire chez Proust), un petit carton indique le banc sur lequel le garçon assistait à la messe.

La mémoire a des trous préjudicia­bles. L’histoire de la déportatio­n française a retenu Drancy comme symbole de l’infamie faite aux juifs, adultes et enfants. D’autres camps, en revanche, ont sombré dans l’oubli. C’est le cas de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande, dans le Loiret. « 2 000 kilomètres séparent la gare de Pithiviers d’Auschwitz. » Lorrain arpente les voies désaffecté­es – les rails sont encore là, comme les cadres publicitai­res. Le journalist­e avance, instruit du sort qui fut réservé aux internés, lesquels s’imaginaien­t alors faire un voyage vers l’est, sans savoir ce qui les attendait… Le lieu, propriété de la SNCF et longtemps promis à la vente, tarde à se faire mémorial, tandis qu’une promenade touristiqu­e en train est possible sur une ancienne ligne qui permettait le transport des betteraves… Dans un autre chapitre, l’auteur nous révèle les dessous

Comme Blanqui et Maurras, Lorrain a entendu le tintinnabu­lement des clés des gardiens de Clairvaux.

des accords d’Évian avec un détour par Les Rousses, dans le Jura, où eurent lieu des entretiens décisifs. Plus loin, il nous entraîne dans le village de Roissy-en-France, qui fut le grenier de la capitale, avant d’être écrasé par un aéroport. En 1870, 1914 et 1940, à chaque fois que le pays a vacillé, c’est à Bordeaux qu’il a trouvé refuge, au point d’en faire sa capitale. L’histoire de ces déménageme­nts nous est contée.

Loin de l’hystérie ambiante. Donner une cohérence, une trajectoir­e et un écho à un lieu, telle est la prouesse de ce livre. Un écho qui résonne jusqu’à nous… Ainsi le chapitre sur Nantes, ville appréhendé­e dans sa globalité historique et contempora­ine, négrière et repentante,

Il nous entraîne dans le village de Roissy-en-France, qui fut le grenier de la capitale, avant d’être écrasé par un aéroport.

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