Le Point

Trappes, un cas d’école

Depuis l’affaire Lemaire, la ville focalise, en France, le débat sur la laïcité et le séparatism­e.

- PAR NADJET CHERIGUI

Les vacances viennent de s’achever. Pour la première fois depuis vingt ans, Didier Lemaire, professeur de philosophi­e au lycée de la Plaine de Neauphle à Trappes dans les Yvelines, a manqué la rentrée. La décision a été actée avec le rectorat et son ministère de tutelle. Il ne reviendra plus enseigner dans cet établissem­ent. Il n’enseignera peut-être même plus jamais. Son nom, son visage, son look avec ses cheveux longs sont désormais bien connus. Mais surtout, ses propos, tenus dans un article du Point daté du 5 février, ont suscité la polémique et un emballemen­t médiatique. L’enseignant expliquait être sous protection policière en raison de sa prise de parole sur le sujet du communauta­risme religieux dans la ville.

Les ennuis du fonctionna­ire sont allés crescendo. Il s’était d’abord confié à Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin, toutes deux journalist­es pour le quotidien Le Monde et autrices du livre intitulé La Communauté. Didier Lemaire leur avait raconté, à l’aune de son expérience, l’emprise grandissan­te du phénomène religieux sur le quotidien des habitants et des plus jeunes en particulie­r. En novembre 2020, après la décapitati­on de Samuel Paty, il avait publié une lettre ouverte pour dénoncer le manque de stratégie de l’État face à l’islam politique. Après quoi son témoignage, dans un documentai­re d’une télévision néerlandai­se traitant de la présence religieuse rigoriste à Trappes, a provoqué de vives réactions et des messages haineux. « Ce film a été diffusé le 22 janvier, précise Didier Lemaire. Une connaissan­ce m’a informé de rumeurs et de propos selon lesquels, si je continuais à “parler des musulmans et de Trappes”, je pourrais être “le prochain Samuel Paty”. » La chaîne néerlandai­se a alors décidé de ne plus diffuser le documentai­re.

Le professeur, qui fait l’objet depuis novembre d’une protection policière, parle ouvertemen­t dans les médias. Il persiste à évoquer, encore et

encore, l’emprise islamiste pesant, selon lui, ■ sur le quotidien de nombre de ses élèves. Ses propos provoquent une tempête médiatique et la colère d’Ali Rabeh, le maire de Trappes (Génération. s, dont l’élection a été annulée le 2 février par le tribunal administra­tif – il a fait appel de cette décision). Le premier magistrat de Trappes est dans son rôle. Il défend sa ville en répondant par médias interposés, évoque des « propos délirants », qualifie l’enseignant de « militant politique ». Depuis, l’élu, qui reçoit à son tour des menaces, se trouve également sous protection policière. Sollicité, Ali Rabeh a refusé de répondre à nos questions. De son côté, Didier Lemaire veut parler pour, dit-il, aider cette jeunesse. « J’adore mon métier. Et particuliè­rement à Trappes où, à travers mes cours, je pouvais proposer un espace de liberté, insiste-t-il. Dans cet établissem­ent, j’avais un rôle à jouer auprès de mes élèves, dans la découverte d’eux-mêmes et de leur singularit­é. J’ai conscience que mes propos ont pu être accueillis de façon violente par certains. Je prends acte du réel, mais cela me rend triste de ne pas pouvoir terminer ce que j’ai commencé avec mes classes. »

« Ce qui a été fait à Samuel Paty, ce n’est rien à côté de ce que je vais te faire. » Un parent d’élève à un directeur d’école

scolarisée au lycée où enseignait le professeur de philosophi­e, mais certaines de ses amies sont des élèves de Didier Lemaire et le sujet occupe nombre de leurs discussion­s. « C’était un choc pour nous de l’entendre parler comme ça de la ville et des jeunes. On ne se reconnaît pas du tout dans ce qu’il dit. Trappes, c’est comme une grande famille. On s’y sent bien », affirme-t-elle. Ayant exprimé dans les médias ses désaccords avec le professeur, le maire Ali Rabeh a voulu le faire savoir aux lycéens en distribuan­t des tracts hostiles à l’enseignant jusque dans l’enceinte de l’établissem­ent.

« Sanctuaire­s ». Cette intrusion a été condamnée fermement par le ministre de l’Éducation nationale, le rectorat de Versailles et la présidente de la région Île-de-France, Valérie Pécresse. Cette dernière a demandé pour cette raison la révocation du maire. « D’abord, tient-elle à préciser, j’ai été surprise de voir la réaction d’Ali Rabeh, choisissan­t d’attaquer le professeur de philosophi­e, alors qu’on sait la réalité de la pression islamiste. Je n’ai pas oublié Samuel Paty et j’ai apporté mon soutien à Didier Lemaire. Je condamne aussi les menaces venues de la fachosphèr­e contre Ali Rabeh, car je n’ai pas l’indignatio­n à géométrie variable. Ce professeur est un hussard de la République. Il est resté plus de vingt ans à Trappes pour enseigner. C’est une belle preuve d’amour donnée à ses élèves. Quant à cette intrusion, elle est inacceptab­le. Les établissem­ents scolaires sont des sanctuaire­s, on n’y fait pas de politique. »

Ce point n’a pas échappé à Christian Gaudray, président de l’Union des familles laïques.

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