Comment fabrique-t-on un happy end ?
Entre ex-colonisateur et ex-colonisé, solder les comptes de l’Histoire tient de la mission impossible.
Colonisation, mémoire, excuses, reconnaissance et immigration. Comment pacifier les relations avec une ex-colonie ? Le peut-on jamais et de quelle manière honorable ? À l’époque des cessez-le-feu, il était plus ou moins facile d’envisager la solution par la valise et les « accords » : il suffisait de prétexter la rétraction de l’Occident sur lui-même et de revenir à la souveraineté humble. Pour clore le dossier, on recourait au référendum d’autodétermination, à la négociation des comptoirs ou des statuts spécifiques, à une déclaration de reconnaissance de souveraineté. « Il n’y eut ce sentiment d’égalité et de paix qu’au moment des négociations des accords d’Évian entre l’Algérie et la France », résuma un ami photographe. Juste après la guerre, néanmoins, il fallut refaire la guerre.
La paix dura une semaine suisse.
La fin d’une colonisation est souvent déchirante pour ceux qu’elle a enfantés et la séparation n’est jamais heureuse, on le sait trop bien dans le cas de l’Algérie et de la France.
Mais voilà que le temps avance alors que l’Histoire recule. Dès lors, la grande question pour l’extrême droite, comme pour ceux qui ne trouvent pas de solution à l’immigration – l’intégration, l’islamisme ou la mémoire –, est : que faire lorsque l’ex-colonie fait partie de l’Histoire, mais aussi de l’identité, de la géographie et des problèmes comme des solutions ? Les Chinois avec Taïwan, les Japonais avec la Corée du Sud ont opté pour une dose de reconnaissance et un bon marchandage sur les réparations matérielles. L’Orient négociateur, pragmatique, réfléchit plus à l’avenir qu’au passé. Entre l’Europe ex-colonisatrice et les ex-colonies du Sud, le dossier est plus lourd, surtout lorsque s’y greffent des reliquats confessionnaux et des mémoires de croisades. La mémoire «coloniale» est convoquée pour expliquer tout et rien à la fois. L’Occident niant son passé et les ex-colonies refusant le présent, il s’y impose des guerres fantasmées mais perpétuelles, sans désir de solution.
Que faire, alors ? Reconnaître ses torts ne semble plus suffire. Pour une partie de l’opinion chez l’ex-colonisateur, il s’agit d’une reddition attentatoire à l’histoire propre et au narcissisme d’une nation, et d’une reculade face aux pressions communautaires. Pour d’autres, concéder un passé, c’est presque céder sur un territoire national au présent. Mais l’ex-colonie n’est pas qu’une entité géographique extérieure : elle est située dans le pays lui-même, source d’une pluralité encore malheureuse et expression d’une universalité qu’aujourd’hui on refuse au nom de la souveraineté. Pour ces raisons et pour d’autres, on ne peut ni céder sur un territoire, ni organiser un référendum d’autodétermination pour un quartier de Paris ou de Marseille, ni payer des dommages, ni hurler à « l’intégration ou la valise » sans être amené à verser dans les religions de la purge et des dérives raciales, du déboulonnage sans fin et de la contrition. Encore pire si on reconnaît la réalité, souvent taboue, des concurrences malsaines entre ex-colonies sur le sol de l’ex-colonisateur. Là, l’identité souveraine se retrouve à arbitrer des hiérarchies de douleur, de demandes de réparations et de privilège mémoriaux. On n’en sort pas. Abyssale interrogation qui n’a pas de réponse, l’ex-colonie étant peu pressée d’en finir avec la guerre fictive ou la rente victimaire, chez elle ou par délégation de migrations dans les villes de l’ex-occupant. Que faire d’autre quand on ne fait pas la guerre, en effet? Il est illusoire d’attendre d’une ex-colonie l’aide ou la volonté de solder les comptes de l’Histoire. Curieusement, la solution n’est pas bilatérale. C’est la volonté d’une seule partie. On ne l’a pas encore compris cependant
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La mémoire « coloniale » est convoquée pour expliquer tout et rien à la fois.