Dans un livre dérangeant, le grand penseur singapourien Kishore Mahbubani analyse comment Pékin pourrait bien remporter la nouvelle guerre froide. Entretien.
Trente ans après la disparition de l’Union soviétique, sommes-nous entrés dans l’ère d’une nouvelle guerre froide, qui opposerait cette fois-ci des États-Unis surpuissants mais déclinants à une Chine ambitieuse et totalitaire ? Donald Trump s’est effacé mais son successeur, Joe Biden, a repris, quasiment mot pour mot mais l’agressivité en moins, le discours de son prédécesseur sur la nécessité de contenir la superpuissance asiatique. Le diplomate singapourien Kishore Mahbubani, universitaire de renom, ancien ambassadeur de son pays aux Nations unies, théorise depuis longtemps les conséquences de l’essor de l’Asie, qu’il a prédit avec justesse, et du déclin relatif de l’Occident. Dans son nouveau livre, Le jour où la Chine va gagner, dont nous publions les bonnes feuilles, il juge vaines et dangereuses les tentatives américaines d’entraver l’émergence de la Chine comme nouveau numéro un mondial. Il souligne que l’Europe a un rôle clé à jouer pour empêcher la rivalité des deux géants de devenir une confrontation dévastatrice. Une ode au multilatéralisme qui détonne dans le monde de la « realpolitik » qui est le nôtre. Peut-être nous offre-t-il la solution d’une nouvelle coexistence.
Le Point: N’est-il pas prématuré d’affirmer que la Chine a déjà gagné?
Kishore Mahbubani :
Il est en effet trop tôt pour dire qui l’emportera, de la Chine ou des États-Unis. Mais il n’est pas trop tôt pour affirmer que la Chine peut gagner. Pour les Américains, habitués à toujours triompher,
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l’idée qu’ils puissent perdre est inconcevable ! Pourtant, ■ il est évident qu’un pays comme les États-Unis, qui n’a pas 250 ans, peut être vaincu par une civilisation qui a 4 000 ans.
Vous-même, souhaitez-vous la victoire chinoise?
Mon travail consiste à être un analyste neutre, rationnel et objectif. Je ne formule pas un souhait mais une prédiction. La Chine a déjà émergé comme la deuxième économie du monde. Je prédis avec une certaine confiance qu’elle deviendra la première d’ici dix à quinze ans. Il n’y a rien que nous puissions faire pour arrêter son retour en force. Elle a été numéro un durant dix-huit des vingt derniers siècles. Qu’elle le redevienne constitue un développement parfaitement naturel. Ceux qui, aux ÉtatsUnis et dans le reste de l’Occident, versent dans la pensée magique en croyant qu’elle peut être stoppée ne comprennent pas la longue Histoire.
Le gagnant ne pourrait-il pas être l’Asie orientale en général, plutôt que l’État chinois?
Je défends depuis plus de trente ans que le XXIe siècle sera celui de l’Asie. Mais mon nouveau livre porte sur la compétition géopolitique exceptionnelle entre les deux superpuissances rivales que sont la Chine et les ÉtatsUnis. Jamais, dans l’Histoire, un État n’a eu une puissance aussi grande que les États-Unis. Et aujourd’hui, ils sont défiés par la Chine.
Qu’est-ce qui vous fait penser que la Chine est différente de l’URSS et peut vraiment surpasser les États-Unis?
J’étais déjà diplomate dans les années 1970, quand certains croyaient à tort à une victoire de l’URSS. Je resterai donc prudent. Les États-Unis peuvent gagner une fois de plus. Un de mes chapitres comprend un avertissement à Xi Jinping : ne sous-estimez jamais les États-Unis d’Amérique. Mais, pour l’instant, ce sont plutôt eux qui font cette énorme erreur de sous-estimer la Chine. L’URSS, qui a duré moins d’un siècle, était une création relativement neuve sur la scène mondiale. La civilisation chinoise est là depuis quatre mille ans. La population soviétique a toujours été moins nombreuse que celle des États-Unis ; celle de Chine lui est aujourd’hui plus de quatre fois supérieure. L’économie de l’Union soviétique n’a jamais pu ne serait-ce que talonner l’économie américaine. La Chine, elle, a déjà une économie plus forte en parité de pouvoir d’achat.
Comment la Chine peut-elle surmonter son problème de vieillissement?
Ce problème de vieillissement de la population n’affecte pas seulement la Chine. Si les États-Unis cessent
« Le but du Parti communiste chinois n’est pas de ressusciter ou d’exporter le communisme dans le monde. »
2,5 3,1 2,4
Allemagne 5,1 3,5 3,1 5,5 4,1 4,5 5