Les exploratrices de l’infiniment petit
Ces chercheuses pourraient bien remettre la France et l’Europe en tête de la révolution quantique.
Peut-on encore être étonné par la physique quantique, cette exploration de l’infiniment petit dont on s’est rendu compte – ô surprise – qu’elle n’obéit pas aux mêmes règles que celles que nous appréhendons au quotidien ? Ce champ de recherche, à l’origine d’un bouillonnement intellectuel, qui, au début du XXe siècle, a mobilisé la crème des chercheurs du monde entier, de Niels Bohr à Albert Einstein, en passant par l’Autrichien Erwin Schrödinger, la Franco-Polonaise Marie Curie ou encore l’Allemand Max Planck, a conduit à s’intéresser à l’interaction entre la lumière et la matière, à l’échelle la plus microscopique possible.
Étourdissante découverte en effet que ce monde où les échanges d’énergie se font avec des quanta, des niveaux d’énergie déterminés par la fréquence de la lumière. Un feuilleton où électrons, photons et atomes ont les rôles principaux. « Comprendre leur interaction a joué un rôle crucial dans la création des transistors, des GPS, des lasers, des panneaux solaires photovoltaïques ou de la fibre optique », explique le consultant Olivier Ezratty, auteur du livre en libre accès Comprendre l’informatique quantique. Surtout, elle est au coeur de recherches qui pourraient avoir des applications aussi différentes que la création de nouvelles molécules thérapeutiques, participer à la mise au point de matériaux supraconducteurs, ou encore repousser les limites de la mesure de précision. D’ici quelques années, le GPS atteindra une précision inédite, jusqu’à 0,3 mm, ce qui sera très précieux non seulement pour mesurer la dérive des continents, mais aussi la fonte des glaces ou la résistance d’un gratte-ciel.
Ce monde totalement contre-intuitif a fait naître des joutes verbales restées dans l’Histoire. Dont celle-ci : en 1927, Niels Bohr, s’appuyant sur un dessin griffonné sur un tableau, se vit, dans un salon de l’hôtel Métropole à Bruxelles, interpellé par Einstein : « Laissons un moment l’incertitude et les probabilités de côté… Dieu ne joue pas aux dés, M. Bohr ! » Et le Danois de rétorquer : « Mais qui êtes-vous, M. Einstein, pour savoir ce que Dieu fait ou ne fait pas ? » Le débat reprit avec la même vigueur durant plusieurs jours devant le Français Louis de Broglie !
Bonne nouvelle, un peu moins de cent ans plus tard, la France possède des compétences de tout premier plan dans ce domaine ! Ainsi du spécialiste du stockage d’informations par des électrons, Albert Fert, et de Serge Haroche, lui aussi Prix Nobel, qui, naviguant entre l’optique, l’électricité et le magnétisme, s’est attaché à montrer le rôle essentiel que les interrogations sur la lumière ont joué dans l’élaboration de notre représentation de l’univers. Ou d’Alain Aspect, qui, en 1982, démontrait expérimentalement le principe de l’intrication quantique, qui veut que, dans certains cas, deux particules, même éloignées l’une de l’autre, prennent instantanément la même valeur.
Ce principe est à l’origine de la seconde révolution quantique, qui comprend plusieurs grands domaines d’applications, de la promesse d’un ordinateur plus puissant que n’importe quel supercalculateur actuel à des télécommunications sécurisées, ou encore une lecture ultrafine des variations des champs gravitationnels, qui pourrait permettre, par exemple, une meilleure représentation des sous-sols – utile dans la recherche des matières premières ou en archéologie. En astronomie, on entrevoit la découverte de nouvelles exoplanètes grâce au traitement de données déjà collectées mais inexploitables à ce jour. Et la relève est bien là, comme le montrent les neuf scientifiques que nous avons décidé de mettre en avant pour la qualité de leurs recherches. Des femmes qui, installées dans toute la France, venues d’Italie, de Russie ou d’Iran, ont envie d’en découdre ! Des hussardes de l’innovation, dont certaines sont à l’origine de start-up, comme VeriQloud, lancée par Elham Kashefi, directrice de
L’interaction entre lumière et matière est une des clés de l’innovation scientifique et technologique.
Directrice de recherche CNRS à l’Institut Néel de Grenoble et coordinatrice de Quantum Engineering Grenoble (QuEnG), qui fédère les acteurs de l’écosystème quantique grenoblois. Enseignante à l’université Grenoble-Alpes.
ENS Lyon, agrégée de physique, licence en philosophie et thèse de physique quantique dans le groupe de Serge Haroche au Laboratoire Kastler Brossel de l’ENS Paris en optique quantique. recherche au CNRS. Elles animent des écosystèmes quantiques régionaux, comme Alexia Auffèves à Grenoble et Eleni Diamanti à Paris. Elles pilotent des projets stratégiques, comme Maud Vinet sur la filière des ordinateurs quantiques à base de composants en silicium. Leurs travaux sont sur le point de bouleverser aussi bien l’ingénierie, la fabrication de semi-conducteurs, ou encore la cybersécurité.
Recherche fondamentale. Ces combattantes de l’inconnu s’attaquent aux défis scientifiques les plus ardus, comme la mise au point, par Virginia D’Auria, de télécommunications sécurisées, en s’appuyant sur la lumière, « un vecteur idéal pour le transport de l’information ». Combattante de l’improbable également, Hélène Perrin, qui exploite « des phénomènes physiques très peu accessibles à notre intuition quotidienne : un photon peut ainsi être à la fois bleu et rouge tant que l’on ne cherche pas à connaître sa couleur… » « Un électron peut passer par deux chemins à la fois », confirme la chercheuse Pascale Senellart, qui, avec la start-up Quandela, crée des sources de photons de qualité unique au monde, ce qui permettra de mettre un jour au point des ordinateurs quantiques. Certes, il existe encore des défis – de taille – à relever. La mise au point d’un tel ordinateur implique des calculs à une température proche de la plus basse qui puisse exister (– 273,15 °C) et pour une durée ne dépassant même pas un millième de seconde.
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de la microélectronique française.
De nombreux champs disciplinaires doivent interagir pour construire un accélérateur quantique capable de résoudre des problèmes du quotidien. Promeut la diversité d’expression de points de vue, de compétences et de sensibilité. à la polytechnique d’Athènes, thèse à l’université Stanford aux États-Unis. En France depuis 2006.
Travaille sur le futur de réseaux de communication reliant des systèmes quantiques (serveurs, postes de travail, processeurs, capteurs) via des liens sécurisés, afin d’ouvrir la voie à des applications concernant le calcul délégué ou encore la protection des télécommunications sur de longues distances.
« Il y a de très bonnes forces et de bons moyens pour la recherche en France. » Pourtant, celle qui a adoré L’Anomalie d’Hervé Le Tellier regrette le fait qu’il y ait « beaucoup trop de bureaucratie » dans notre pays. « Il est important de réfléchir à une vraie valorisation du travail des chercheurs et aux moyens pour pérenniser leurs efforts », explique celle qui aime appréhender les problèmes « avec un angle différent. C’est enrichissant et stimulant pour tout le monde ».
Directrice de recherche CNRS au Centre de nanosciences et nanotechnologies du CNRS et de l’université Paris-Saclay. Cofondatrice de la start-up Quandela.
École polytechnique, doctorat de physique quantique de l’université Pierre-et-Marie-Curie, puis passée par Schlumberger, Thales, au CNRS depuis 2002.
Étudie des composants semi-conducteurs produisant des photons pour générer et manipuler des bits quantiques optiques, avec, à la clé, des ordinateurs quantiques et des télécommunications quantiques. Elle a cocréé Quandela pour commercialiser les composants issus de ses travaux.
Enfant, elle habitait en banlieue orléanaise et se rendait le week-end chez ses grands-parents vignerons à Quincy, dans le Cher. En chemin, elle passait devant la station de radioastronomie de Nançay, avec ses immenses radiotélescopes: elle y a effectué un stage de troisième, pendant lequel elle a attrapé le virus de la recherche.
La pression internationale est de plus en plus forte et les moyens distribués aux laboratoires de plus en plus faibles. Tous les chercheurs passent maintenant un temps incroyable à réaliser une quantité toujours plus grande de travail administratif. Par ailleurs : la valeur d’un étudiant n’est pas déterminée à 18 ou 20 ans !
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