Le Point

Au square et sous la lune, bulles de vie

- PAR VALÉRIE MARIN LA MESLÉE

Là, sur le banc d’à côté, dans ce square, quelle vie peut bien cacher l’allure de ce jeune homme endormi ? Et celle de cette cruciverbi­ste acharnée ? Invitation à rencontrer l’autre, le plus proche de soi, même quand tout s’y oppose en temps de pandémie, tel est le pouvoir de l’écrivain qui, promenant son regard dans cet espace, rentre dans la vie des « vraies gens », scrute leur for intérieur, écoute leurs sensations, palpe leurs affects. Puis les jardins ferment à leur tour, chacun reste chez soi, mais les mouvements des uns aux autres demeurent, brèves éclaircies de contact dans ces solitudes que Sylvie Germain relie sous la lune.

Xavier, sur le balcon, raconte des histoires à Lola, « petite fille-papillon captive, mais si rêveuse et imaginativ­e qu’elle parvient à dilater la cloche sous laquelle elle se trouve enfermée ». Guillaume, aspirant écrivain, comptait sur sa solitude pour trouver enfin l’inspiratio­n, las, rien ne vient. Et le voilà à sa fenêtre, à faire des bulles de savon multicolor­es, déclenchan­t l’ire du voisin, qui a peur de la salive ! Mais rien ne peut arrêter cette « dernière ribambelle de bulles en direction de la lune, sa signature illisible et aussitôt effacée au bas d’un livre qu’il n’écrira jamais ».

Une jeune femme, sous le coup d’une rupture, se demande quelle est l’odeur de l’amour. Magali, elle, n’a pas du tout envie d’en finir avec les hommes, et qu’en penserait sa fille, tournée quasi dévote, qui vient d’avoir un quatrième enfant dont Magali ne sait quand elle le verra… alors, en attendant, s’évader avec Schumann. La gardienne de son immeuble invite Joséphine (la cruciverbi­ste du square) à se détendre au soleil chez des voisins absents. On aura tout vu ! Même deux demi-frères se retrouver, et une vieille dame aider la jeune femme venue lui porter assistance. Le monde à l’envers ? Ou à l’endroit, parfois ? Une seule solitude se fait longue dans le recueil, au point de n’avoir pas de prénom, seulement des adjectifs qualificat­ifs : l’« indéfini », l’« égaré », le « quelconque »…

En ces temps où il n’y a plus de comptoirs, comme sont précieuses ces brèves sur ces frères et soeurs humains que Sylvie Germain observe avec une telle délicatess­e de plume, un tel talent de portraitis­te et de nouvellist­e que son livre semble merveilleu­sement peuplé

Brèves de solitude, de Sylvie Germain (Albin Michel, 212 pages, 18,90 €).

PUIS LES JARDINS FERMENT À LEUR TOUR, CHACUN RESTE CHEZ SOI, MAIS LES MOUVEMENTS DES UNS AUX AUTRES DEMEURENT, BRÈVES ÉCLAIRCIES DE CONTACT DANS CES SOLITUDES.

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Sylvie Germain.

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