Le Point

Le grand éditeur, figure tutélaire des lettres françaises, s’est éteint. Un de ses auteurs lui rend hommage.

- PAR MARC LAMBRON,

En disparaiss­ant à l’âge de 90 ans, Jean-Claude Fasquelle tire le rideau sur un âge révolu de l’édition. Il restera comme une figure légendaire de la scène littéraire française, en un temps où une officine éditoriale tenait encore de la boutique et du phalanstèr­e. Hommemenhi­r, géant de granit poli au pure malt, ce seigneur du silence, maniant le laconisme comme une éloquence, laissera derrière lui le souvenir d’un moule dont le secret s’est perdu.

Né en 1930, le futur parrain des lettres avait trouvé dans son berceau les in-folio de l’héritier. Son grandpère, Eugène Fasquelle, édita Émile Zola.

Son père, Charles Fasquelle, couvait

Marcel Pagnol et Jean Rostand. Jeune homme aimant les dames et les boîtes de vitesses, Fasquelle accède aux manettes de la maison familiale dès 1953. Soulevant la poussière par influx électrique­s, il y crée la collection « Libelle », accueillan­t les pamphlets mousquetai­res d’un Roger Vailland ou du jeune Michel

Déon, et lance les Cahiers des saisons où s’illustrent Jacques Brenner, Bernard Frank, Matthieu Galey. C’est le prélude à une fusion qui verra la maison Grasset, alors dirigée par Bernard Privat, s’unir à la très patrimonia­le enseigne Fasquelle.

Les années 1960 sont là. Porté par la flamme d’un aristocrat­isme sabreur, Fasquelle compose ce que ce champion de crawl, ancien joueur de rugby, aimait à nommer « le pack Grasset ». La tumultueus­e Françoise Verny et le Méridional Yves Berger en seront les premiers portants. Le pack agrège de talentueux auteurs ayant pignon sur presse. Au fil des années, François Nourissier, Edmonde Charles-Roux, Hervé Bazin, André Stil, tous futurs jurés Goncourt, y côtoient Kléber Haedens, Lucien Bodard ou le couple Paul Guimard-Benoîte Groult. On évoquera à cette époque le triangle «Galligrass­euil», un Yalta heurté où quelques grands fauves de l’édition se disputaien­t de fructueuse­s récompense­s.

Repérer les nouveaux talents et les conjuguer avec un effet d’école, telle est la martingale qui voit vers 1977 l’avènement des «nouveaux philosophe­s», en même temps que Fasquelle, d’inclinatio­ns à la fois libertaire­s et hussardes, attire à son côté des auteurs-éditeurs de l’après-68, Gérard Guégan ou Raphaël Sorin. Il rachètera et sauvera Le Magazine littéraire comme il fut plus tard actionnair­e des Inrockupti­bles. Le pack Grasset s’était enrichi de nouveaux piliers, tels Bernard-Henri Lévy, JeanPaul Enthoven ou Manuel Carcassonn­e.

Humant le parfum des textes comme une fricassée de chanterell­es, Jean-Claude Fasquelle éditera Umberto Eco ou Truman Capote, et suscitera les Mémoires de Brigitte Bardot autant que cent autres succès, de Frédéric Begbeider à Virginie Despentes, de Malika Oufkir à Yann Moix. Lui aurait-on ouvert le ventre, on y aurait trouvé un volume broché : une passion tripale du livre faisait le fond de sa vie. Ce fou d’édition, lié d’une amitié passionnée avec Gabriel Garcia Marquez, attendit l’an 2000 pour passer les rênes de la maison à Olivier Nora, qui les tient toujours. Mais il ne se lassait pas de ses rêves de typographi­e et de papier. Cela lui valut une nouvelle aventure, la création avec son ami Umberto Eco de la maison d’édition italienne La Nave di Teseo. Passant ses étés dans sa villa hypermoder­niste de Cadaqués, recevant à sa table de vieux amis, comme Danièle Thompson, autant que de jeunes pousses comme Gaspard Koenig, un Fasquelle octogénair­e cultivait l’art d’immuniser le présent contre les désenchant­ements.

Ses dernières années furent assombries par le décès de sa fille unique, Ariane, responsabl­e du domaine étranger chez Grasset, avant qu’au début de l’an 2020 Jean-Claude Fasquelle et sa pétulante et gémellaire épouse, Nicky, contracten­t le Covid-19, auquel cette compagne d’une vie succomba tragiqueme­nt.

Je l’avais revu une dernière fois en juin 2020, lors d’un déjeuner à son domicile au fond d’une impasse du 15e arrondisse­ment. Une maison arborée avec balcons à croisillon­s blancs, très Louisiane. Portant beau, son chien à ses pieds, n’abdiquant pas le devoir de panache, il évoqua quelques figures du passé, Edgar Faure, Jean-Edern Hallier ou François Mitterrand. Puis Jean-Claude Fasquelle lâcha cette phrase : « Nicky disait qu’elle mourrait avant moi et que je devrais refaire ma vie, mais que l’on ne compte pas sur moi pour ça. » Il ne lui aura fallu que le battement de quelques saisons pour la rejoindre

Fnac/Le Point du 8 au 11 mars 2021

Les meilleures ventes de la Fnac

C’est le seul réalisateu­r encore en activité que Jean-Luc Godard porte aux nues, le dernier représenta­nt de la grande école russe du montage, le grand cinéaste dont vous ignorez le nom. Artavazd Pelechian, Arménien né en 1938, a, au fil d’une oeuvre à mi-chemin entre documentai­re et essai filmique, magnifié « le cosmos dans l’homme », selon la formule de Serge Daney. Sans le Covid, la Fondation Cartier aurait présenté le nouveau film du cinéaste, La Nature, célébratio­n lyrique de la beauté de la planète et avertissem­ent solennel sur les dangers qu’elle court. En attendant la réouvertur­e des musées, le site fondationc­artier.com propose de découvrir les archives confiées par le cinéaste ainsi que son chefd’oeuvre de 1975, Les Saisons. L’occasion unique de plonger dans un univers cinématogr­aphique à rebours des modes, qui cherche à recréer un langage où la beauté des plans, la juxtaposit­ion des images et la musique suscitent une émotion profonde

La Traque, de Bernard Petit (Fleuve noir, 425 p., 20,90€).

Bien sûr, il y a l’intrigue, l’enlèvement de l’ex-ministre belge Boutemens par un groupuscul­e d’extrême gauche, les Acab (All Cops Are Bastards), qui réclament 10 millions d’euros de rançon. Le kidnapping croise le braquage d’un fourgon par un gang en cavale. Branle-bas de combat : le « Muppet Show » commence, des « vieux directeurs de police qui sortent de leur placard pour apporter leur analyse ». Des journalist­es, immédiatem­ent câblés à leurs « contacts », brandissen­t l’inaliénabl­e droit à l’informatio­n « quand on ose leur demander d’avoir de la tenue »… Tous les services de police s’agitent dans cette enquête qui passe les frontières. Il y a du vécu, puisque l’auteur de ce premier roman, Bernard Petit, a été le directeur de la police judiciaire. Un patron du 36 Quai des Orfèvres qui sent le soufre, « tombé » en 2015 pour « violation du secret de l’instructio­n » dans l’affaire du vol de 50 kilos de cocaïne dans les locaux de la PJ. « Sans haine et sans colère » était le flic ; ainsi est aussi le romancier

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Stature. Mythique patron des éditions Grasset, il y publie notamment Umberto Eco, devenu son ami.
 ??  ?? Pedro Almodovar et Tilda Swinton.
Pedro Almodovar et Tilda Swinton.
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« La Nature », d’Artavazd Pelechian.
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