Le Point

Le bloc-notes

Le virus rend toujours fou. Qu’est-ce que JFK ? Un virtuose du silence, Jean-Claude Fasquelle

- De Bernard-Henri Lévy

Je l’ai écrit, il y a presque un an, dans Ce virus qui rend fou. Le confinemen­t, c’est l’obscuranti­sme à visage scientiste. C’est la façon que l’on avait, avant l’âge classique et la naissance de la médecine moderne, de réagir aux épidémies de peste. Et c’est, de surcroît, un remède à la fois absurde (les virus respiratoi­res ne se développen­t-ils pas, précisémen­t, dans les espaces confinés ?), aux effets incertains (l’épidémie est-elle mieux maîtrisée, vraiment, dans les pays qui ont opté pour le confinemen­t que dans ceux qui, comme la Suède, s’y sont refusés ?) et, surtout, contre-productifs (que de troubles psychiatri­ques induits par le confinemen­t! de tentations suicidaire­s ! de violences intrafamil­iales ! pour ne rien dire de tous les autres malades non traités, non opérés ou non diagnostiq­ués qui, eux aussi, mourront !). Que faire, alors ? Cesser de semer la panique en répétant, soir et matin, comme les «vieux bambins aux blouses empesées» dont Jacques Lacan redoutait déjà le « pouvoir médical », que l’épidémie est hors de contrôle et qu’elle galope à la vitesse de la lumière. Consacrer son énergie, quand on est ministre de la Santé, à convaincre les Français que les « antivaccin­s » sont des escrocs et à écouter les soignants qui, en Seine-Saint-Denis et ailleurs, n’en peuvent plus d’entendre qu’il faut « des années » pour former des réanimateu­rs et qu’en attendant on ne peut rien faire. Et, quand on incarne la République, continuer de prendre à revers les nouveaux docteurs Purgon qui croient que la santé c’est le silence des organes et que celui-ci peut être un silence de couvre-feu et de miradors planant sur les corps administré­s. Puisse le président Macron tenir bon.

L’ère Biden a-t-elle commencé ? Rien n’est moins sûr. Et je me garde d’oublier que le grand silence de l’Amérique, son repli face aux nouveaux empires en mal de résurrecti­on et notre entrée dans ce que j’ai nommé un « nouveau monde précolombi­en », a débuté, non avec Trump, mais avec Obama. Mais il y a tout de même des signes qui ne trompent pas et qui sont encouragea­nts. D’abord l’écho que commencent de rencontrer, à Washington DC, les initiative­s de JFK, Justice for Kurds, l’organisati­on de soutien à la cause kurde que nous avons créée, il y a trois ans, avec mon ami le philanthro­pe Tom Kaplan. Ces campus où se multiplien­t les « étudiants ambassadeu­rs » que nous mettons en contact avec la jeunesse d’Erbil et de Qamishli… La faveur grandissan­te, observée sur les réseaux sociaux et dans les think tanks, de la position française prônant la fermeté vis-à-vis de ceux (Iran, Turquie) des États autoritair­es à vocation néo-impériale qui ciblent tout particuliè­rement nos amis kurdes… Et puis, last but not least, la lettre adressée au secrétaire d’État, Antony Blinken, signée, le 26 février, à l’initiative des représenta­nts Anthony Gonzalez et Seth Moulton, par 170 membres du Congrès appelant, démocrates et républicai­ns confondus, à hausser le ton contre Erdogan : JFK avait, pendant la campagne présidenti­elle, bataillé en ce sens ; nous avions travaillé à ce que l’importance vitale de l’alliance avec les Kurdes soit inscrite dans les plateforme­s des deux grands partis en compétitio­n ; et voilà qu’ils se retrouvent sur une position « droit-de-l’hommiste » de pression sur la Turquie au nom des idéaux démocratiq­ues dont les États-Unis redevienne­nt, avec la France, les champions – ce serait, si la chose se confirmait, une formidable nouvelle ! Prochaines étapes : lancer l’idée d’un plan de soutien aux centaines de milliers de réfugiés chrétiens et yézidis présents dans les camps du Kurdistan irakien ; travailler à l’instaurati­on d’une Cour pénale internatio­nale, sur le modèle de la Cour de La Haye, pour juger les prisonnier­s de cette jungle qu’est devenu, au Kurdistan syrien, le camp d’Al-Hol ; et convaincre que la seule façon efficace de contrer le retour de Daech en même temps que les visées impériales de la Turquie et de l’Iran sera l’installati­on d’une force internatio­nale, à dominante américaine ou pas, sanctuaris­ant le Rojava et le KRG. À suivre.

On a tout dit de la place qu’aura occupée Jean-Claude Fasquelle dans l’histoire de l’édition française de la seconde moitié du XXe siècle. Et il me faudra, moi-même, des pages et des pages pour raconter ce que je dois à ce virtuose du silence depuis le jour d’octobre 1972, rue des Saints-Pères, où Jean-Edern Hallier m’a présenté à lui. Pour l’heure, et dans la bousculade de souvenirs qui viennent avec le chagrin, une anecdote. François Nourissier vient de proposer au comité de lecture de Grasset & Fasquelle une réédition de Mes Cahiers de Maurice Barrès. L’auteur de L’Idéologie française tente de faire valoir que c’est là, dans ces Cahiers, que sont les pires textes antisémite­s du député boulangist­e de Lorraine. Mais un classique est un classique. On en est à décider, sans débat, d’une date, d’un format, du nombre de volumes, d’un lancement. Jean-Claude, encore jeune mais déjà fidèle à lui-même et à sa réputation de taiseux, ne dit rien et semble perdu dans ses pensées. Jusqu’à ce que, se souvenant de son aïeul Eugène Fasquelle qui, dans le tumulte de l’affaire Dreyfus, eut à choisir entre ses deux auteurs phares, Barrès et Zola, et trancha en faveur de Zola, il lâche tout à trac, mais sur un ton d’évidence qui paraît soudain sans réplique : « Barrès a quitté la maison par la porte, il ne va pas y rentrer par la fenêtre. » Un homme capable de ce télescopag­e de mémoire, un passeur vivant à ce point dans le temps immobile des auteurs et des oeuvres, un héritier voyant les grandes figures de son catalogue comme s’il s’agissait de jeunes lions qui vont se disputer la rentrée littéraire et le comité du jour comme s’il était l’exacte suite d’un autre qui s’est tenu il y a trois quarts de siècle, voilà un grand éditeur

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