Le Point

L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

- L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

Les Français sont-ils racistes ?

Aucun doute. Mais qui sont-ils pour oser l’ouvrir encore, ces ploucs colonialis­tes, laïques ou antigenre, fustigés comme jamais lors de la dernière cérémonie des César ? Qu’ils la ferment et qu’on n’en parle plus !

Au trou, les franchouil­lards, nostalgiqu­es d’une culture qui doit disparaîtr­e sans attendre ! Ils n’avaient qu’à savoir que, dans notre société, on peut désormais être traîné à tout moment, pour un mot de travers, devant « le tribunal de répression des appartenan­ces ». Sauf, bien sûr, « si l’on est immigré ».

«Aux fous!» s’indigne Jacques Julliard

dans ses Carnets inédits, 1987-2020 (1), qui sortent en librairie. Devant le concours permanent et assourdiss­ant de crétinerie­s, le réflexe était jusqu’à présent de se réfugier chez Chateaubri­and, Revel ou, pour en rire, chez Molière. Le Julliard est un nouvel antidote contre la bêtise ambiante. Oh ! qu’il fait du bien !

« Il est aussi absurde d’identifier les musulmans au djihadisme que les Français au colonialis­me. » Plein de souvenirs, de trouvaille­s, de drôleries, le pavé de Jacques Julliard, l’enfant qu’auraient pu faire ensemble Georges Bernanos et la philosophe Simone Weil, contient beaucoup de formules « vénéneuses » de ce genre, frappées au coin du bon sens, lequel est considéré comme une maladie par les petites frappes de l’idéologie dominante. Comme ces « privilégié­s » des César qui, l’autre soir, mordaient jusqu’au sang la main qui les subvention­ne souvent grassement.

Longtemps tête pensante de la CFDT, Jacques Julliard est un homme de gauche.

Historien de l’anarcho-syndicalis­me, c’est aussi un intellectu­el. En somme, un intellectu­el de gauche, catégorie qu’il ne faut pas, comme disait l’autre, laisser jouer avec des allumettes, sous peine de provoquer une déflagrati­on et une boucherie.

Intellectu­el de gauche, Jacques Julliard n’en est pas moins d’une stupéfiant­e clairvoyan­ce. C’est l’antiSartre, collabo profession­nel, qui a commencé à « résister » à la Libération dans le comité d’épuration où il dénonçait ses anciens collègues planqués des années 1940, sous la tunique de protection du Parti communiste, avant de sombrer dans toutes les ganacherie­s mortifères de son temps, à commencer par le maoïsme (70 millions de morts !).

Jacques Julliard est un chien.

Ami de la cause animale, émule de Brigitte Bardot, qui a émancipé les femmes avant de se battre bec et ongles pour les bêtes, il entre en effet dans la case définie par Sartre : « Tout anticommun­iste est un chien. » Viscéralem­ent antitotali­taire, il entend parler encore au nom de la gauche, même si elle a perdu ses repères et brisé les piliers sur lesquels elle s’arc-bouta pendant plus d’un siècle : la valeur travail, qu’elle a saccagée avec les 35 heures, et la laïcité, qu’elle piétine allègremen­t depuis qu’elle s’est convertie à la cafardise.

Jacques Julliard est catholique,

autrement dit ontologiqu­ement minoritair­e, membre d’une « antireligi­on », nouveau « bastion du rationalis­me », à l’intérieur de laquelle il se sent, de surcroît, marginal. Après avoir créé « plus de beauté que n’importe quelle religion », écrit-il, le christiani­sme continue de réenchante­r le monde et refuse aujourd’hui, contrairem­ent à l’islam, « la subordinat­ion au religieux et la soumission à Dieu ».

Jacques Julliard est patriote,

ce qui ne l’empêche pas d’être aussi universali­ste, deux épithètes en voie de criminalis­ation, et on aura tôt fait de le traiter de fasciste, pétainiste, raciste ou Dieu sait quoi encore, avant qu’un comité Théodule le frappe d’indignité nationale, tant ses Carnets inédits fourmillen­t de vérités qui sont des insultes à l’air du temps.

Jacques Julliard est un apostat,

en tout cas considéré comme tel par une partie de son camp. C’est la troisième fois qu’on lui fait le coup, écrit-il. À l’École normale, il n’était pas assez marxiste. Puis il lui fut reproché d’être totalement réfractair­e au maoïsme. Aujourd’hui, les mêmes ou leurs enfants lui reprochent de ne pas céder à l’islamo-gauchisme et à l’injonction à la bigoterie. « Péguy, dit-il, n’a cessé de dénoncer les ravages provoqués par la peur de n’être pas assez à gauche. Des pions. Des cafards. Des menteurs. Des tartufes. »

S’il reste de gauche, antiélitis­te, anticoloni­aliste et partisan de l’école républicai­ne,

Jacques Julliard ne peut se déprendre, au fil de ses Carnets, d’une inquiétude qui monte, pour cette France qu’il chante et chérit. Ne sommes-nous pas arrivés au bout du bout, c’est-à-dire en 1958, là où mènent les politiques du chien crevé au fil de l’eau ? Il n’est pas interdit de le penser. Sauf que, dans le délitement général, on a beau chercher, on ne voit pas vraiment le personnage qui, comme de Gaulle, il y a soixante-trois ans, pourrait nous tirer d’affaire ■

1. Carnets inédits, 1987-2020 (Bouquins, 1 152 p., 32 €).

Newspapers in French

Newspapers from France