Mme de Lafayette, Barthes ou Athos… une venelle parisienne et ses fantômes.
«En ne regardant qu’un seul détail, par exemple la rue Férou, et pendant assez de temps, on peut, sans aucune difficulté, s’imaginer que l’on est à Étampes ou à Bourges ou même à Vienne en Autriche », écrivait Georges Perec. Il y a, en effet, le monde entier dans la rue Férou, semble penser Lydia Flem qui consacre 544 pages à cette venelle de 144 mètres, qui s’élance de l’église Saint-Sulpice pour grimper vers le Luxembourg. Eugène Atget l’avait photographiée déserte, mais du monde sera passé par cette rue, dont la psychanalyste belge, hantée par la quête d’un lieu à elle, a fait son « lieu retrouvé », idéal, tour de Babel vertigineuse des arts, inventaire à la Prévert. Prévert, justement, qui a grandi au numéro 4 avant que Michel Déon n’y habite, précédant la revue Les Temps modernes. Que dire du numéro 6 qui hébergea Hemingway, Colette et son beau-fils Bertrand de Jouvenel, la Maison des Lettres, QG de la jeunesse intellectuelle après guerre où Barthes et Foucault firent leurs premières armes, les bals des Schlumberger, avant d’abriter Jean-Jacques Goldman? Ou le 2 bis, où Voltaire vint se reposer auprès de sa protégée la marquise du Châtelet, avant que Chateaubriand n’y trouve refuge pendant la Révolution et que Man Ray pose ses appareils dans ce qui fut son atelier. Peu de numéros rue Férou, dix au plus, mais des fantômes en pagaille, l’Athos des Trois Mousquetaires, Mme de La Fayette qui y rédigea La Princesse de Clèves, Pottier qui y écrivit « L’Internationale », les éditions Belin et celles de L’Âge d’Homme, Jules Massenet… Une nef des fous sous l’enseigne du poème mural du Bateau ivre écrit en grand. Où habiter ? Question d’actualité. Où trouver place sur terre ? Telle est, derrière ce remarquable dénombrement, la vraie interrogation de Lydia Flem, orpheline de tant de lieux, qui vint même habiter cette rue, ferrée par la rue Férou, où s’entendent le « faire » et le « où »
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Paris fantasme, de Lydia Flem (Seuil, 544 p. 24 €).