L’éditorial d’Étienne Gernelle
Il y a, clairement, deux écoles. D’un côté, celle de la maire Europe Écologie-Les Verts de Poitiers, qui coupe les subventions à deux aéroclubs offrant, au travers d’une association, des baptêmes de l’air à des enfants handicapés au motif que « l’aérien ne doit plus faire partie des rêves d’enfants »
(lire l’éditorial de Sébastien Le Fol, p. 107). De l’autre, les chercheurs d’Airbus qui planchent sur l’avion « zéro émission » à l’hydrogène. On songe d’abord à cette formule de Graham Greene :
« La haine n’est qu’une défaite de l’imagination. » On constate, surtout, que notre rapport à la science et au progrès est désormais une ligne de partage politique majeure. Celle-ci détermine d’ailleurs en partie la réponse à la grande question du moment : notre déclin est-il inéluctable ?
Le premier champ de bataille est évidemment l’écologie, où s’affrontent les « décroissants » et ceux qui ont encore quelque confiance dans l’inventivité humaine. Les premiers voient, depuis la pandémie, leur heure venue, mais les seconds ne désarment pas. Parmi eux, Bill Gates, qui, dans son dernier livre (1), fait le même constat de l’urgence climatique, mais en tire des conclusions radicalement différentes, jugeant que « sans innovation, on n’y arrivera pas ». Autrement dit, la décroissance ne résoudra pas le problème. Celle-ci n’est d’ailleurs pas prônée par le Giec. Gates affirme, lui, que le devoir des pays riches est d’investir beaucoup plus massivement dans des technologies qui, mises à la disposition de tous, et à plus bas prix, autoriseront un développement sans émission de carbone. Y compris dans les pays pauvres.
Ce plan est bien étayé, cher, mais enthousiasmant. Parions toutefois qu’il ne sera pas entendu de nos édiles EELV qui, tout à leurs pulsions répressives, préfèrent s’en prendre l’un au Tour de France, l’autre au sapin de Noël et la troisième, donc, aux aéroclubs. Ces derniers ne sont d’ailleurs plus seuls. Voici venir l’extension du domaine du rabougrisme. Ainsi le député Insoumis François Ruffin vient-il de publier un livre intitulé Leur progrès et le nôtre
(Seuil), dans lequel il dénonce « l’idéologie » du « Prométhée conquérant », « le catéchisme laïc » du progrès, « de Gutenberg à la fée électricité », ainsi que « le débat occulté sur la 5G »…
La France comprend, comme d’autres, des antiprogrès professionnels, mais penchera-t-elle du bon côté ? Ce n’est pas certain. Emmanuel Macron, pourtant prophète du « progrès» durant sa campagne, a repris à son compte la promesse de son prédécesseur de réduire à 50% la part du nucléaire dans la production d’électricité, et a en conséquence fermé la centrale de Fessenheim. Un objectif qui
n’est le fruit, rappelons-le, que d’un accord politicien pour des circonscriptions entre Martine Aubry (PS) et Cécile Duflot (EELV) en 2011. Et qui aura pour conséquence un recours accru aux énergies carbonées, les renouvelables étant loin de pouvoir compenser. Personne, pourtant, ne peut ignorer qu’il ne sert à rien de subventionner des véhicules électriques s’ils fonctionnent en réalité au gaz ou – pire – au charbon. Et à quoi bon des trains à hydrogène si ce dernier est produit, même en partie, à partir des mêmes sources ? Remarquez, tout n’est pas perdu, puisque le commissaire au Plan François Bayrou a sorti récemment une note appelant à investir dans le nucléaire. Sera-t-il écouté ?
Les fariboles l’emportent parfois pour des raisons purement politiques, mais on ne peut ignorer le substrat culturel sur lequel elles prospèrent : l’affaissement de la confiance en la technologie, notamment au sein de la sphère publique. Notre chroniqueuse Aurélie Jean pointait récemment une absurdité qui en dit long : le nouveau Conseil national du numérique ne compte aucun dirigeant technique d’entreprise. N’a-t-on donc rien à attendre des ingénieurs ?
Les mêmes réflexes techno-sceptiques, ou du moins techno-pessimistes, semblent avoir prévalu, sur tout le Vieux Continent, dans le cas des vaccins. Emmanuel Macron, au cours d’une interview récente à la télévision grecque, a reconnu que nous n’y avions pas cru assez tôt, alors que les États-Unis s’y étaient préparés dès l’été 2020. Le président français a admis – aveu étonnant – que « le quoi qu’il en coûte qu’on a appliqué pour les mesures d’accompagnement, eux l’ont appliqué pour les vaccins et la recherche ».
Notre déroute vaccinale est, à n’en pas douter, une affaire de culture autant que de logistique. Il serait peut-être temps de s’interroger sur ce fameux principe de précaution, poussé à son extrême en Europe et particulièrement en France, au point qu’il fait parfois penser à cette blague de Francis Blanche : « Si Christophe Colomb n’avait rien découvert, Kennedy serait toujours vivant »…§
La déroute vaccinale est une affaire de culture – notre vision du progrès – autant que de logistique.