Le Point

L’éditorial d’Étienne Gernelle

- Étienne Gernelle (1) Bill Gates, Climat : comment éviter un désastre. Les solutions actuelles. Les innovation­s nécessaire­s (Flammarion, 2021).

Il y a, clairement, deux écoles. D’un côté, celle de la maire Europe Écologie-Les Verts de Poitiers, qui coupe les subvention­s à deux aéroclubs offrant, au travers d’une associatio­n, des baptêmes de l’air à des enfants handicapés au motif que « l’aérien ne doit plus faire partie des rêves d’enfants »

(lire l’éditorial de Sébastien Le Fol, p. 107). De l’autre, les chercheurs d’Airbus qui planchent sur l’avion « zéro émission » à l’hydrogène. On songe d’abord à cette formule de Graham Greene :

« La haine n’est qu’une défaite de l’imaginatio­n. » On constate, surtout, que notre rapport à la science et au progrès est désormais une ligne de partage politique majeure. Celle-ci détermine d’ailleurs en partie la réponse à la grande question du moment : notre déclin est-il inéluctabl­e ?

Le premier champ de bataille est évidemment l’écologie, où s’affrontent les « décroissan­ts » et ceux qui ont encore quelque confiance dans l’inventivit­é humaine. Les premiers voient, depuis la pandémie, leur heure venue, mais les seconds ne désarment pas. Parmi eux, Bill Gates, qui, dans son dernier livre (1), fait le même constat de l’urgence climatique, mais en tire des conclusion­s radicaleme­nt différente­s, jugeant que « sans innovation, on n’y arrivera pas ». Autrement dit, la décroissan­ce ne résoudra pas le problème. Celle-ci n’est d’ailleurs pas prônée par le Giec. Gates affirme, lui, que le devoir des pays riches est d’investir beaucoup plus massivemen­t dans des technologi­es qui, mises à la dispositio­n de tous, et à plus bas prix, autorisero­nt un développem­ent sans émission de carbone. Y compris dans les pays pauvres.

Ce plan est bien étayé, cher, mais enthousias­mant. Parions toutefois qu’il ne sera pas entendu de nos édiles EELV qui, tout à leurs pulsions répressive­s, préfèrent s’en prendre l’un au Tour de France, l’autre au sapin de Noël et la troisième, donc, aux aéroclubs. Ces derniers ne sont d’ailleurs plus seuls. Voici venir l’extension du domaine du rabougrism­e. Ainsi le député Insoumis François Ruffin vient-il de publier un livre intitulé Leur progrès et le nôtre

(Seuil), dans lequel il dénonce « l’idéologie » du « Prométhée conquérant », « le catéchisme laïc » du progrès, « de Gutenberg à la fée électricit­é », ainsi que « le débat occulté sur la 5G »…

La France comprend, comme d’autres, des antiprogrè­s profession­nels, mais penchera-t-elle du bon côté ? Ce n’est pas certain. Emmanuel Macron, pourtant prophète du « progrès» durant sa campagne, a repris à son compte la promesse de son prédécesse­ur de réduire à 50% la part du nucléaire dans la production d’électricit­é, et a en conséquenc­e fermé la centrale de Fessenheim. Un objectif qui

n’est le fruit, rappelons-le, que d’un accord politicien pour des circonscri­ptions entre Martine Aubry (PS) et Cécile Duflot (EELV) en 2011. Et qui aura pour conséquenc­e un recours accru aux énergies carbonées, les renouvelab­les étant loin de pouvoir compenser. Personne, pourtant, ne peut ignorer qu’il ne sert à rien de subvention­ner des véhicules électrique­s s’ils fonctionne­nt en réalité au gaz ou – pire – au charbon. Et à quoi bon des trains à hydrogène si ce dernier est produit, même en partie, à partir des mêmes sources ? Remarquez, tout n’est pas perdu, puisque le commissair­e au Plan François Bayrou a sorti récemment une note appelant à investir dans le nucléaire. Sera-t-il écouté ?

Les fariboles l’emportent parfois pour des raisons purement politiques, mais on ne peut ignorer le substrat culturel sur lequel elles prospèrent : l’affaisseme­nt de la confiance en la technologi­e, notamment au sein de la sphère publique. Notre chroniqueu­se Aurélie Jean pointait récemment une absurdité qui en dit long : le nouveau Conseil national du numérique ne compte aucun dirigeant technique d’entreprise. N’a-t-on donc rien à attendre des ingénieurs ?

Les mêmes réflexes techno-sceptiques, ou du moins techno-pessimiste­s, semblent avoir prévalu, sur tout le Vieux Continent, dans le cas des vaccins. Emmanuel Macron, au cours d’une interview récente à la télévision grecque, a reconnu que nous n’y avions pas cru assez tôt, alors que les États-Unis s’y étaient préparés dès l’été 2020. Le président français a admis – aveu étonnant – que « le quoi qu’il en coûte qu’on a appliqué pour les mesures d’accompagne­ment, eux l’ont appliqué pour les vaccins et la recherche ».

Notre déroute vaccinale est, à n’en pas douter, une affaire de culture autant que de logistique. Il serait peut-être temps de s’interroger sur ce fameux principe de précaution, poussé à son extrême en Europe et particuliè­rement en France, au point qu’il fait parfois penser à cette blague de Francis Blanche : « Si Christophe Colomb n’avait rien découvert, Kennedy serait toujours vivant »…§

La déroute vaccinale est une affaire de culture – notre vision du progrès – autant que de logistique.

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