Le Point

La tiers-mondisatio­n française et les lumières d’Asie

- L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

La France est-elle en train de devenir un pays du tiers-monde malgré ses nombreux atouts ?

C’est la question qui se pose après plus d’un an de pandémie. Pathétique­s sont les discours qui prétendent aujourd’hui que nous avons gagné la bataille du coronaviru­s sans avoir rien cédé sur les libertés, ni sur notre modèle démocratiq­ue.

Osons le mot : comme en Allemagne, notre politique aura été un fiasco, en dépit des derniers succès de la campagne de vaccinatio­n. Deux économiste­s de l’Institut Molinari (1) viennent de démontrer sans ambages l’échec de la méthode européenne du « stop and go » (expression que les mauvaises langues traduiront par : la politique du chien crevé au fil de l’eau).

La France aura enregistré 42 fois plus de décès et un recul de la richesse nationale (PIB) cinq fois plus important que les pays développés d’Asie, qui ont mené une campagne permanente et frontale, en utilisant les grands moyens contre le Covid-19. Tel est le premier bilan, selon Cécile Philippe et Nicolas Marques, de la « stratégie d’atténuatio­n » adoptée par le gouverneme­nt français comme par ses homologues européens.

Après un tel constat, la tentation est grande en haut lieu de garder le pays sous cloche

jusqu’à la présidenti­elle, comme l’a montré la volonté non avouée du chef de l’État de reporter le scrutin des régionales ad vitam aeternam. Pourquoi voter, après tout ? Certes, le précédent des municipale­s a de quoi refroidir : le Covid-19 aidant, des listes de branquigno­ls écolos ont été élues grâce à l’abstention massive, avec de très faibles pourcentag­es d’électeurs inscrits, à Lyon, Strasbourg, Bordeaux, etc.

Comment oser envisager le report des régionales à l’heure où tant d’élections viennent de se dérouler en Europe (Allemagne, Pays-Bas, Bulgarie, etc.) ? Ce serait un déni de démocratie : avec les campagnes de vaccinatio­n, la pression du coronaviru­s sur nos sociétés n’est plus la même. Qu’un ajournemen­t sine die du scrutin ait pu être évoqué sans provoquer de tollé, cela illustre l’état de fatigue démocratiq­ue du pays, signe de sa tiers-mondisatio­n.

Qu’a craint Macron, notre président ficelle ?

Un mauvais résultat qui pourrait le handicaper avant la présidenti­elle ? Un homme d’État n’a pas à avoir peur des urnes: de Gaulle nous l’avait montré, avec éclat, mais il est vrai que c’était au temps du monde d’avant, quand la politique était, pour certains, un sacerdoce, pas un exercice de sacs à malices. En tout cas, s’il persiste, le président donnera raison à ceux qui, comme Natacha Polony, se demandent si nous sommes encore en démocratie (2).

Un autre signe de la tiers-mondisatio­n française

est le confinemen­t que subit encore la France aujourd’hui alors que, dans les démocratie­s d’Asie, comme la Corée du Sud ou Taïwan, la vie a repris, tandis que l’économie est au beau fixe après avoir traversé sans dommage l’annus horribilis de 2020. Tels sont les résultats de la stratégie zéro Covid, suivie également par l’Australie et la Nouvelle-Zélande, qui consiste à éradiquer le virus sans mégoter, avec la méthode testertrac­er-isoler.

« Mais nous ne sommes pas des Asiatiques dociles ni des Néo-Zélandais insulaires ! » On connaît ce refrain : les Français étant attachés par-dessus tout à leurs libertés, ils ne pourraient jamais accepter les mesures de coercition, notamment le traçage. Nous serions donc plus libres, entre les confinemen­ts et les couvre-feux, alors qu’il nous manque la première des libertés, celle de circuler ? Billevesée­s !

Les cocoricos officiels ne sont pas de mise.

À défaut d’avoir souscrit à la stratégie zéro Covid, nous aurions pu nous lancer dans une politique de vaccinatio­n systématiq­ue, comme en Israël, en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, encore que rien ne dise qu’elle assurera une victoire définitive sur le virus. En attendant, la France a choisi, avec l’Europe, de ne pas choisir. À la fin, elle s’est laissé mener par le destin, et le PIB français a baissé, ce qui n’est pas rien, de 9 points l’an dernier.

C’est ainsi que notre continent amorti a encore pris un coup de vieux avec la crise du coronaviru­s.

Il n’a même pas mis à profit les derniers mois pour assurer son indépendan­ce sanitaire en matière de masques, obsession des gouverneme­nts asiatiques. Observez comme ceux qu’on achète en pharmacie sont toujours « made in China ». En attendant peut-être que tout s’inverse un jour et que nos petits-enfants les fabriquent à bas prix pour l’Asie d’après-demain ?

1. Voir l’article « Et si la France avait appliqué la stratégie zéro Covid… » dans Le Point n° 2537, daté du 1er avril.

2. Sommes-nous encore en démocratie ?, de Natacha Polony (L’Observatoi­re).

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