Le Point

La revanche de Miami

Lassés des tensions et attirés par la fiscalité, les startupeur­s new-yorkais et californie­ns vivent le rêve américain en terre républicai­ne.

- PAR CLAIRE MEYNIAL, ENVOYÉE SPÉCIALE À MIAMI

Le premier matin, Anisa Mirza a réveillé son compagnon et tous deux, émerveillé­s, ont regardé, de leur lit, le soleil se lever sur l’océan. Elle a demandé à son assistant virtuel : « Alexa, quelle est la météo à New York ? À San Francisco ? » Elle a pris des photos de son balcon, au 56e étage, les a postées sur Instagram. Depuis le 4 janvier, elle suit ce rituel, sauf le partage des images « pour ne pas crisper les amis restés à New York ». L’an dernier, sachant que près de la moitié des enfants de 9 ans avaient un niveau de lecture de 7 ans, Anisa a monté LitNerd : une plateforme sur laquelle des acteurs jouent des textes que les enfants écoutent en ligne tout en suivant sur un livre. « Ça a démarré si fort qu’on avait du mal à répondre aux demandes des écoles, raconte-t-elle. En décembre, on n’en pouvait plus. Tout était fermé, il faisait froid, on dînait dehors en doudoune sous un chauffage, une fois par semaine… c’était déprimant. Ça allait durer encore un an, ça ajoutait au stress de monter

C’est le rang de la Floride en matière de poids de l’impôt (pas d’impôt sur le revenu des particulie­rs). New York est

48e et la Californie, 49e sur 50 États américains.

Source :

Tax Foundation. une boîte. » Anisa a vu que des entreprene­urs partaient pour Miami. Elle n’y était jamais allée, mais elle et son compagnon ont choisi un appartemen­t après une visite virtuelle. « C’est comme si on avait récupéré nos vies. On dîne dehors, les tables sont espacées. On rencontre des gens, on fait du sport. Chaque semaine, j’ai des amis qui se renseignen­t pour venir. » Miami est devenu un aimant qui attire les entreprene­urs de la tech. Le gouverneur républicai­n de Floride, Ron DeSantis, a limité le confinemen­t et favorisé le commerce. Cela a séduit les New-Yorkais. Anisa a aussi vécu à San Francisco mais n’y serait pas retournée: « Il y a un énorme problème de gouvernanc­e, mais, quand j’y étais, c’était mal vu de parler de l’insécurité et de la saleté. » Cela a changé.

Ce n’est pas un hasard si c’est un crack californie­n qui a lancé la ruée vers Miami. Le 4 décembre 2020, Delian Asparouhov, capital-risqueur de 27 ans chez Founders Fund, tweete : « Dites, les gars, et si on déplaçait la Silicon Valley à Miami ? » Les réponses sont méprisante­s ou haineuses (« Cassez-vous, connards de

la tech, allez détruire la Floride »). Mais, le lendemain, tombe une réponse du maire de Miami, Francis Suarez : « Comment puis-je vous aider ? » Asparouhov qui, depuis 2012, a assisté à l’« horrible dégradatio­n de la culture politique à San Francisco » n’en revient pas. Lui qui avait 3 ans quand ses parents ont fui la Bulgarie communiste s’était mobilisé en vain, en novembre, contre l’élection du procureur, Chesa Boudin, ex-traducteur du président vénézuélie­n Hugo Chavez. Les parents de Boudin, d’extrême gauche, ont passé leur vie à l’ombre pour braquage. Lui a promis de vider les prisons. « Personne n’a compris que je m’implique, et les habitants de San Francisco détestent les gens de la tech. Je me demandais ce que je foutais là, quand il y a eu ce tweet du maire de Miami, qui voulait de nous. »

Le même mois, San Francisco, qui compte peu de cas de Covid, referme les terrasses de café chauffées, financées à grands frais. « Je me suis dit : ’’Je n’en peux plus.’’ Le tweet de Suarez était une phrase de capital-risqueur, je suis allé voir. » À Miami, Asparouhov est reçu par Suarez dans son émission Cafecito (« petit café », il est d’origine cubaine). Il hésite, la Silicon Valley semble incontourn­able. Mais, le 22 mars 2021, lui et sa compagne achètent une maison en vingt-quatre heures. « J’ai un aller-simple pour Miami, je quitte l’enfer woke », sourit-il sur Zoom. L’augmentati­on de la criminalit­é et du nombre de sans-abri, les trafics de drogue en plein jour et l’effort d’habitants (démocrates) pour démettre le procureur, c’est fini pour lui. Qu’est-ce qui a changé ? En quelques semaines, la vague de capital-risqueurs et d’entreprene­urs a transformé Miami.

John Quelch, directeur de l’école de commerce

Sachs, Colony Capital, Starwood Capital, D1 Capital… » A-t-il conscience que lui, républicai­n, attire des démocrates ? Pas le temps de demander, il disparaît. Donna Shalala, démocrate qui a perdu son siège lors des dernières élections du 27e district de Floride, analyse : « Il le sait mais ses ambitions sont plus hautes, sénateur ou gouverneur. » Et que craint-il, lui qui a été élu à 85,81 % ?

Philippe Houdard, cofondateu­r de Pipeline Workspaces, qui loue des bureaux, confirme le dynamisme de Miami. Après un ralentisse­ment dû au Covid, «depuis quatre mois, c’est le boom », bien plus qu’à Philadelph­ie, où il opère aussi. «Je vis ici depuis les années 1990, c’est une période unique», souligne-t-il. Blackstone, géant du capital-investisse­ment, a acheté 4 600 mètres carrés de bureaux pour une équipe tournée vers la tech. « Sur ce marché en plein essor et diversifié, nous avons remarqué que Miami croissait de manière significat­ive grâce aux entreprise­s et aux talents sortis des programmes d’université­s», explique John Stecher, son chef.

Jeunesse. Ils ne sont pas les seuls à avoir compris que Miami n’était plus une ville de golfeurs retraités. John Quelch a quitté Harvard pour devenir directeur de l’école de commerce de l’université de Miami en 2017. « Mes amis voulaient m’envoyer des infirmiers en blouse blanche, plaisante-t-il. J’ai travaillé dans les meilleures université­s à Londres, Shanghai, Boston, et je savais que je quittais la vieille Amérique pour la nouvelle. L’épicentre démographi­que, culturel et économique du pays se déplace au Sud, avec Atlanta, Charlottes­ville et Dallas. Mais Miami a l’un des plus hauts pourcentag­es d’habitants qui n’y sont pas nés, elle est plus internatio­nale que le Texas, et l’immigratio­n favorise la créativité. » Il recrute un professeur de Stanford et un directeur de l’école d’ingénieurs de l’université de Saint Louis. The Launch Pad, programme pour les futurs entreprene­urs de la tech à l’université de Miami, a été lancé par Brian Breslin. « Les impôts bas attirent les ultrariche­s comme Rabois, juge-t-il. Les autres quittent la Californie et New York à cause du prix de l’immobilier et parce que, ici, c’est plus internatio­nal. L’année dernière a vu l’accélérati­on, avec le Covid et le télétravai­l, d’une tendance qui existait depuis cinq ans. »

Il y a quinze ans, Breslin a créé Refresh Miami, une associatio­n d’aide aux entreprene­urs. Maria Derchi, qui lui a succédé, est la bonne fée des arrivants. Devant l’avalanche de créations (« une nouvelle entreprise par semaine»), elle a débauché la reporter du Miami Herald qui tient la chronique la plus lue. « Miami est si jeune qu’on a le pouvoir d’influer sur son évolution», note-t-elle. Elle connaît tout Miami, passe d’apéritif en dîner, en soirée. Ce soir-là, sur un toit-terrasse surplomban­t South Beach, elle fait les présentati­ons. Elle

 ??  ?? Cocktail. Soirée de capital-risqueurs donnée par l’investisse­ur Juan Pablo Cappello, le 24 mars.
Cocktail. Soirée de capital-risqueurs donnée par l’investisse­ur Juan Pablo Cappello, le 24 mars.
 ??  ??
 ??  ?? Coolitude. Le maire de Miami, Francis Suarez. Sur ses chaussette­s figure le message « Comment puis-je vous aider ? » : c’est grâce à un tweet rédigé en ces termes qu’il a attiré nombre d’entreprene­urs prêts à quitter la Silicon Valley.
Coolitude. Le maire de Miami, Francis Suarez. Sur ses chaussette­s figure le message « Comment puis-je vous aider ? » : c’est grâce à un tweet rédigé en ces termes qu’il a attiré nombre d’entreprene­urs prêts à quitter la Silicon Valley.

Newspapers in French

Newspapers from France