Le Point

Philip, duc d’Édimbourg, prince sans rire

Extraverti, audacieux, aventurier, son ouverture d’esprit l’a amené à jouer un rôle clé dans la modernisat­ion de la monarchie britanniqu­e. Dans l’ombre d’Elizabeth II, il a relevé la gageure d’incarner le changement sans déroger à la tradition.

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pouvait être peu amène et autoritair­e, parfois pète-sec. Côté « jardin », si l’on peut dire, il suffisait de l’approcher pour découvrir en lui de l’attention, du charme et de l’humour. Incarner à la foi le changement tout en respectant la tradition et les fastes d’une monarchie remontant à la nuit des temps, exister par lui-même sans jamais éclipser son épouse, maintenir une relation difficile mais indispensa­ble avec la presse tout en refusant de se livrer en public : le duc d’Édimbourg avait relevé cette gageure.

Arrière-arrière-petit-fils de la reine Victoria, descendant de Charlemagn­e, de souche allemande et russe, Philip était né prince de Grèce et du Danemark le 10 juin 1921, sur l’île de Corfou. Il était le cinquième enfant, mais le seul fils, du prince André de Grèce et de la princesse Alice de Battenberg. À la suite de l’exil, un an plus tard, de ses parents, il avait été ballotté de pensionnat en pensionnat dans toute l’Europe, notamment à SaintCloud, en France, en Allemagne et au Royaume-Uni. Entre 8 et 15 ans, il n’avait pas vu sa mère, schizophrè­ne, ne recevant même pas de courrier de sa part. Son père avait totalement ignoré son fils.

Si oncles et tantes s’étaient relayés pour le soutenir financière­ment, l’adolescent avait manqué cruellemen­t d’affection. Durant les cinq années passées au collège écossais de Gordonstou­n, le prince n’avait pas reçu la moindre visite.

Grâce au « piston » de son oncle, lord Mountbatte­n, l’aristocrat­e de nationalit­é grecque avait rejoint en 1939 la Royal Navy, une famille de substituti­on par excellence. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le lieutenant Philip Mountbatte­n s’était distingué en Méditerran­ée lors de la victorieus­e bataille du cap Matapan, en 1941, contre la marine italienne, puis en Extrême-Orient.

En 1947, le mariage d’Elizabeth et de Philip avait été l’union des contraires.

ficier de la Navy, qu’il adorait. Le jeune homme intelligen­t et résolu, qui n’entendait pas se satisfaire d’un rôle de potiche, avait eu du mal à s’effacer derrière sa femme, contraint à marcher deux pas derrière elle. Lui qui, commandant de frégate, était parti pour devenir premier lord de l’Amirauté, le poste le plus élevé de la Royal Navy, n’avait plus rien à commander, si ce n’est les valets. Quand un roi est couronné, son épouse devient automatiqu­ement reine consort. Dans

N’entendant pas se satisfaire d’un rôle de potiche, il avait eu du mal à s’effacer derrière sa femme.

«arrangé» entre son neveu et la princesse héritière. Devant le refus de sa femme d’intégrer son nom à celui de la dynastie, Philip avait dû se contenter de son titre de duc royal, octroyé en 1947. En avril 1960, la cheffe de l’État lui avait fait une concession : les descendant­s, qui ne sont pas prétendant­s à la succession, pourront, s’ils le désirent, se faire appeler « Mountbatte­n Windsor ».

Il défie l’establishm­ent. Elizabeth avait laissé l’éducation des enfants à son mari. Ce dernier avait voulu épouser son époque. Au lieu de les confier à des précepteur­s, Charles, Anne, Andrew et Edward étaient allés à l’école, une première dans l’histoire de la royauté. Mais ce père distant était persuadé qu’une formation à la dure, qui enseignait l’obéissance et le sens du commandeme­nt, formait le caractère. La tendresse

contre l’establishm­ent. Ses origines ■ étrangères expliquent sans doute son ouverture d’esprit. Intelligen­t, résolu, efficace, il a mis un peu de sel dans la vie de la reine, une femme conservatr­ice et traditionn­elle, sans jamais tenter de lui faire de l’ombre », souligne le biographe royal Robert Lacey.

D’un autre côté, le prince passait pour un réactionna­ire bon teint, réputé pour son mauvais caractère, son machisme, ses blagues de caserne. Pour ses détracteur­s, c’était un homme incontrôla­ble, têtu, habitué à n’en faire qu’à sa tête, désagréabl­e avec ses subordonné­s. Le duc d’Édimbourg cultivait un humour décapant, dérapant parfois vers le mauvais goût, voire le racisme. En 1986, lors d’une visite à Pékin, il avait déclaré à des étudiants anglais qu’ils auraient des yeux bridés s’ils restaient longtemps en Chine. Titulaire du titre de duc d’Édimbourg, il avait demandé à un moniteur d’auto-école de Glasgow s’il était possible d’empêcher les autochtone­s de boire du whisky au volant. Il collait à la peau de cet amateur de romans policiers et de musique militaire une réputation de cultiver surtout des idées courtes.

Malgré les outrances verbales de son mari, la monarque n’avait jamais émis

« Philip a mis un peu de sel dans la vie de la reine. » Le biographe royal Robert Lacey

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