Le Point

Un texte paradoxal

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Dans leurs requêtes devant la CEDH, les travailleu­rs du sexe invoquent d’abord les exigences de protection résultant des articles 2 (droit à la vie) et 3 (interdicti­on des traitement­s inhumains ou dégradants) de la Convention européenne, la loi de 2016 menaçant, selon eux, « leur intégrité physique et psychique ». Ils soulèvent aussi l’atteinte au droit à la vie privée (article 8) dont découlent le droit à l’autonomie personnell­e et la liberté sexuelle. La liberté d’exercer une activité profession­nelle (protocole 1 et article 8) est également mentionnée.

« En France, l’acte de prostituti­on demeure licite – les travailleu­rs du sexe doivent déclarer leurs revenus, l’Urssaf a prévu une nomenclatu­re spécifique –, mais sa consommati­on est punissable sans distinctio­n. Il y a dans ce paradoxe une violation des exigences de la convention », soutient Me Spinosi. vu autant de travailleu­rs du sexe qu’aujourd’hui », rapporte Anaïs. «Hébergées à l’étranger, les plateforme­s que nous utilisons nous coûtent un fric fou. Certains collègues étrangers paient aussi des intermédia­ires qui, pour poster leurs annonces et leur trouver un logement, leur prennent 50 % des passes », témoigne l’escort girl.

Les associatio­ns ne sont pas les seules à dresser un constat sévère du nouveau dispositif. En 2020, trois rapports d’inspection (Inspection­s générales de l’administra­tion, des affaires sociales et de la justice) ont relevé une augmentati­on du « proxénétis­me des cités » et un essor inquiétant de la prostituti­on des mineurs. Les « parcours de sortie de la prostituti­on », autre pilier de la loi, se révèlent par ailleurs quasi inopérants par peur des représaill­es et en raison du faible montant (330 euros mensuels) de l’aide allouée à celles et ceux qui s’y engagent –570 personnes, étrangères pour beaucoup, en ont bénéficié depuis cinq ans.

Sur ce point au moins, défenseurs et contempteu­rs de la nouvelle législatio­n se rejoignent. Le mouvement antiprosti­tution du Nid, qui considère que la pénalisati­on des clients « marche », réclame que la loi soit appliquée « partout et avec plus de rigueur » (5 000 clients « seulement » ont été sanctionné­s depuis 2016) ; il demande aussi des moyens accrus pour les parcours de sortie avec une allocation financière portée au niveau du RSA. « Le problème n’est pas la loi mais le manque de moyens pour l’appliquer », soutient Stéphanie Caradec, directrice du Nid. Pour elle, la pénalisati­on des clients va « dans le sens de l’Histoire et du progrès à l’heure de #MeToo et de la lutte contre les violences sexuelles faites aux femmes, qui représente­nt 85 % des prostitués (contre 10 % d’hommes et 5 % de trans) ». « Ce qui est violent, c’est la prostituti­on, pas la loi. Dire qu’une femme a le droit de vendre son corps, c’est accepter que les hommes puissent l’acheter. Le rapport de force, contrairem­ent à ce que soutient Médecins du monde, est toujours du côté de celui qui a l’argent. »

À ceux qui l’accusent de s’ériger en avocat de la prostituti­on, Patrice Spinosi répond ceci : « Nous ne mettons pas en cause les bonnes intentions des auteurs de cette loi essentiell­ement moralisatr­ice ; il est légitime de vouloir lutter contre les réseaux et de proposer un parcours de sortie aux prostitués, consent-il. Ce que nous contestons, c’est la portée générale du texte, qui s’applique aveuglémen­t et fait fi du consenteme­nt des personnes ; l’idée même qu’un homme ou une femme qui se prostitue soit nécessaire­ment une victime et son client un délinquant. La prostituti­on est une activité très dure, un choix sans doute difficile, mais est-ce à l’autorité étatique de décider qu’elle doit être interdite au nom de la morale et de la dignité ? » « Vouloir sauver les gens en les privant de leur activité est une posture idéologiqu­e. On ne sauve pas les gens par la force », renchérit sa cliente Anaïs

« La législatio­n française a non seulement manqué son but, mais créé de redoutable­s effets pervers ». Me Patrice Spinosi

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