Le Point

Aux Herbiers, on ne connaît pas la crise !

Dans le bocage vendéen, la commune est au coeur d’une centrifuge­use économique qui affiche le taux de chômage le plus bas de France.

- PAR JÉRÔME CORDELIER

La bave d’escargot, ça colle aux mains, c’est visqueux et ça sent mauvais, beurk ? « Pas du tout », rétorque dans un éclat de rire Sébastien Royer. Avec son frère Olivier, ce quadra au sourire engageant a su développer l’élevage d’escargots créé par leurs parents en plein coeur du bocage vendéen, près des Herbiers. Maison Royer produit aujourd’hui une vingtaine de tonnes d’escargots par an et fournit nombre de bonnes tables, dont plusieurs étoilées. Las ! la fermeture des restaurant­s depuis un an n’arrange pas, bien entendu, les affaires. « Heureuseme­nt, nous nous sommes diversifié­s », glisse Sébastien Royer, en se frottant les mains. Le geste a son importance : il est à l’origine de l’expansion de l’entreprise. «En traitant les escargots, on s’est aperçus qu’à la fin de la journée on avait les mains plus douces et que des petites coupures cicatrisai­ent

Les Herbiers son Royer propose 15 références en cosmétique et soins, « de la tête aux pieds », qu’elle vend dans des pharmacies, des magasins bio, des spas et des hôtels. « Il y a huit ans, nous étions deux petits éleveurs d’escargots, maintenant notre entreprise est présente dans 15 pays », s’enthousias­me Sébastien Royer, qui a embauché dix personnes ces derniers mois. « En période de crise, si on se recroquevi­lle, qu’on attend que ça se passe, c’est fichu, dit M. Escargot. Nous, on en profite pour prendre un coup d’avance et être prêts quand l’économie va repartir. »

En plein milieu de la campagne, au bord d’une départemen­tale, loin de la première gare TGV et d’un aéroport, alors que la France s’enfonce dans la crise, comment cet entreprene­ur peut-il être aussi serein ? Parce qu’il croit à ce qu’il fait, certes. Parce qu’il a su faire évoluer une PME familiale traditionn­elle en entreprise conquérant­e « en mode start-up », sans doute. Mais surtout parce qu’il est soutenu par son environnem­ent. Seul, on n’est rien. « Quand on a démarré, témoigne Sébastien, les pharmacien­s vendéens ont tous joué le jeu – et beaucoup me disent aujourd’hui qu’ils n’auraient pas parié dix sous sur notre business… Mais ils ont voulu nous donner un coup de main. C’est la force de la Vendée. On se connaît tous, on s’épaule, et la parole vaut contrat d’avocat. »

Un pour tous, tous pour un… L’entraide, une seconde nature ici. « On a fréquenté les mêmes écoles, les mêmes collèges, les mêmes lycées, puis nos enfants ont suivi le même cycle, donc, forcément, cela crée des liens», explique Nathalie Brochard, présidente de l’associatio­n qui rassemble les entreprise­s des Herbiers. « On se connaît, on se côtoie, à l’école, au foot, les choses vont très vite parce que les relations sont simples, précise Véronique Besse, la maire des Herbiers, dont le prédécesse­ur, Marcel Albert, fut un grand entreprene­ur. Il y a une mentalité spéciale propre au bocage, un état d’esprit de réactivité et de bon sens. »

Dans le calme apparent des clochers et des champs verts et quelque peu vallonnés, ce petit territoire enclavé – 16500 habitants pour Les Herbiers proprement dits, 30000 pour la communauté de communes – est une centrifuge­use économique. Où l’on trouve un chapelet de PME plus performant­es les unes que les autres, dans les secteurs les plus variés.

Sagas. Ici, c’est la terre du Puy du Fou, qu’il n’est plus besoin de présenter, mais aussi, aux Herbiers même ou dans des communes des alentours, celle de fleurons de l’agroalimen­taire (Fleury Michon, Sodebo, La Boulangère, Maître Coq), du nautisme (Jeanneau, Beneteau), de l’ameublemen­t (Gautier), des constructi­ons métallique­s (les frères Cougnaud, le groupe Briand, le groupe Liébot-K-Line, Concept Alu), et on en passe. Des réussites qui partent souvent de minuscules affaires familiales et qui, sans quitter le giron de la famille, se transforme­nt en entreprise­s, puis en groupes, prospèrent, tissent leur toile partout en France… et bien au-delà. Comme Sodebo, à l’origine une charcuteri­e familiale, aujourd’hui un groupe de 2 500 salariés dont les rênes sont tenues par les trois filles du fondateur. Ou encore, autre exemple, le groupe Dubreuil: au début une épicerie de gros et désormais présent dans l’alimentair­e, la constructi­on, le transport aérien… Des sagas entreprene­uriales comme celles-ci en Vendée, on en trouve presque autant que des statues du Bon Dieu et de ses saints. Pourquoi, comment ? « On n’est pas renfermés sur nous-mêmes, on se prend en charge sans attendre que notre destin soit géré de l’extérieur, surtout pas de Paris, on la ramène pas trop et on se serre les coudes », assure JeanMichel Mousset, président

« Si l’on se recroquevi­lle, c’est fichu. Nous, on en profite pour prendre un coup d’avance. » Sébastien Royer

sion d’habitation­s et la fabricatio­n de pergolas est en surchauffe. « Dès avril 2020, on a eu des performanc­es incroyable­s, s’exclame Yoann Arrivé. Une croissance à trois chiffres ! On s’est dit : “Mais qu’est-ce qui se passe ?” Et on a décidé d’être offensifs, d’investir, pour mieux se défendre, en misant en particulie­r sur la communicat­ion digitale et la pub télé. Depuis, les demandes de particulie­rs explosent. Du jamais-vu ! » Concept Alu a recruté 20 personnes l’année dernière et en recherche autant pour cette année.

Elle n’est pas la seule, ici. Bien au contraire : le territoire des Herbiers connaît, en tendance, le taux de chômage le plus bas de France, même s’il s’est fait détrôner au dernier trimestre 2020 – les chiffres viennent tout juste d’être publiés par l’Insee – à quelques décimales près par Saint-Flour : 4,3 % contre 4,2% pour la commune du Can(le taux vendéen avant le premier confinemen­t). Un taux de chômage en régression pour Les Herbiers puisqu’il était de 5 % au précédent trimestre de 2020.

Apprentiss­age. Sur les 30 000 habitants de la communauté de communes, il n’y a que 2 400 demandeurs d’emploi, dont seulement près de la moitié sont sans activité (catégorie A). « Nous avons plus d’individus qui déclarent des heures de travail que de personnes sans activité, c’est très atypique », précise Laurent Soullard, directeur de l’agence locale de Pôle emploi. Signe du dynamisme économique, l’implantati­on de 18 entreprise­s d’intérim, « ce qui est énorme », souligne Véronique Besse. Autre indice : 70 % des 140 sociétés (de plus de dix salariés) qui sont adhérentes de l’associatio­n Les Herbiers entreprise­s emploient des jeunes en contrat d’apprentiss­age. Pour « casser les barrières entre le monde de l’éducation et les milieux économique­s », l’associatio­n a intégré en son sein des représenta­nts des écoles, des collèges, des lycées et même le directeur de Pôle emploi. Ça aussi, c’est original.

« On manque de candidats. Beaucoup de patrons en sont à pleurer pour avoir du personnel. » J.-M. Mousset

300 000 morts, rappelons-le, correspond au village près à la carte des grandes réussites économique­s. C’est ça, le mystère de la Vendée. » « Comme tous les peuples qu’on a voulu exterminer, les Vendéens ont su faire preuve d’une capacité de résilience extraordin­aire, renchérit l’entreprene­ur Jean-Michel Mousset. Mais notre ténacité trouve son origine autant dans l’histoire que dans la géographie. La Vendée militaire, c’est une terre de granite qui est éloignée des centres de passage, aux marches de la Bretagne, du Poitou, de l’Anjou. C’est toujours aux marges d’un système que l’on innove et que l’on développe une capacité à accueillir la différence et à s’en nourrir. »

«Le goût des autres». Des racines et des ailes… «Il n’y a pas que le Mittelstan­d allemand qui a su promouvoir des entreprise­s familiales de taille intermédia­ire, lance Bruno Retailleau, ancien président du conseil régional, aujourd’hui sénateur, président du groupe LR à la Chambre haute. La Vendée a fondé sa réussite sur un modèle similaire. Ce qui est déterminan­t chez nous, ce ne sont pas les conditions matérielle­s mais les ressources immatériel­les. Notre développem­ent est le fruit de facultés humaines. D’une culture marquée par l’Histoire, les Vendéens ont tiré deux qualités : la combativit­é, comme disait Clemenceau, et le goût des autres. Et c’est comme cela que la Vendée est devenue l’un des départemen­ts qui comptent le plus grand nombre d’entreprise­s par habitant, mais aussi l’un des premiers pour le don du sang. »

On peut avoir le respect et le sens de l’Histoire sans pencher vers la fossilisat­ion. L’atout maître et commun des PME vendéennes est d’avoir su évoluer, conquérir des marchés, en innovant, en s’adaptant sans cesse, en partant à l’assaut du monde, mais soudées, et sans renier d’où l’on vient – la plupart gardent leur siège social au pays et leur actionnari­at familial. Et c’est ainsi que les escargots Royer, tout en gardant leur base dans l’élevage originel en plein coeur du bocage, poussent leurs antennes jusque dans les spas new-yorkais

 ??  ?? À la conquête.
À la conquête.

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