Séparation de biens : les droits de chacun ont évolué
La jurisprudence a réduit les « rétrocessions » en cas de divorce.
Remariage, exercice d’une activité artistique, commerciale ou industrielle à risque… De nombreux couples optent, au moment de leur union ou de leur pacs, pour la rédaction d’un contrat et adoptent le régime de la séparation de biens. Ce dernier permet en effet d’identifier le patrimoine et les revenus de chacun, ce qui, dans certaines situations, présente un certain nombre d’avantages : en présence d’enfants d’un premier lit, ces derniers héritent du patrimoine de leur parent sans que leur belle-mère ou beau-père interfère ; si l’un des époux fait des dettes, les créanciers ne pourront saisir que le patrimoine de ce dernier.
Voilà pour la théorie. Mais, dans la pratique, la situation peut se compliquer pour les opérations patrimoniales réalisées à deux telles que l’acquisition de la résidence principale. « Les droits de chacun des époux ont en effet évolué avec le temps, et surtout la jurisprudence de la Cour de cassation », constate Me Nicolas Graftieaux, avocat associé chez Canopy Avocats.
La règle est que le logement est acquis par les deux époux au prorata de la part apportée par chacun. Oui, mais que se passe-t-il au moment d’un divorce, quand l’achat a été financé à crédit
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et les mensualités acquittées ■ au fil de l’eau par l’un des époux. « Jusqu’en 2013, le juge regardait qui avait payé, et celui qui avait versé en deçà de sa quote-part définie dans l’acte était tenu de rembourser son conjoint », commente Nicolas Graftieaux. Une pratique que les juges de la Cour de cassation ont jugé discriminante au regard des dépenses courantes acquittées par le couple : les revenus du mari servant à rembourser le prêt, ceux de l’épouse à payer la nourriture, l’habillement… Dans une décision qui fait jurisprudence, ils ont donc décidé que les mensualités d’emprunt servant à l’acquisition du domicile de la famille faisaient partie des charges du ménage. Or, constate Nicolas Graftieaux, « dans la grande majorité des contrats instituant un régime de la séparation des biens, il est écrit que les époux contribuent aux charges du ménage à hauteur de leur faculté respective et qu’ils s’interdisent, sur ces charges, de faire des comptes entre eux ». Résultat, celui qui avait le moins contribué au financement de la résidence principale n’était plus tenu de verser une soulte. Une révolution qui s’applique à tous les contrats en cours, que le mariage ou le pacs ait précédé la décision de la Cour de cassation ou soit intervenu ensuite.
Neutralisation des créances. Les juges ne se sont pas arrêtés là et ont encore étendu la neutralisation des créances entre époux. « Dans une décision du 18 décembre 2013, la Cour de cassation a décidé de l’appliquer à des biens autres que la résidence principale, en l’occurrence à une résidence secondaire. » Elle n’a toutefois pas été jusqu’aux investissements immobiliers procurant des revenus locatifs. Dans une décision du 5 octobre 2016, elle a cassé une décision des juges du fond allant en ce sens.
A contrario, « dans une décision du 3 octobre 2019, elle a semblé étendre la neutralisation des créances en conditionnant l’existence d’une créance liée au financement en capital de la part de l’épouse au fait que l’argent utilisé provenait de la vente d’un bien personnel de l’époux ». Comprenez plus seulement les mensualités d’emprunt mais aussi l’apport en capital, sauf si ce dernier provient de la vente d’un bien personnel
Résultat, « le régime de la séparation des biens perd une partie de son intérêt lorsqu’il a pour motivation de tenir compte de la différence de patrimoine, conclut Nicolas Graftieaux. Il devient même moins protecteur que le régime de la communauté qui distingue les biens propres et les biens communs ». Dans un régime de communauté légale, les biens propres qui sont composés des biens acquis avant le mariage et des biens reçus en donation ou succession échappent au partage. « S’ils ont été utilisés pour financer des biens communs, ils donnent lieu à “récompense” [remboursement]. »
Aussi, Me Nicolas Graftieaux recommande aux époux mariés selon le régime de la séparation de biens de bien lire les clauses de leur contrat et de le modifier si besoin : «On leur a expliqué quelque chose qui n’est plus vrai. » Et pour ceux qui ont l’intention de choisir ce régime, d’insérer des clauses adaptées à leur situation
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« Le régime de la séparation des biens devient même moins protecteur que celui de la communauté. » Me Graftieaux