Le Point

Ce génie français qui défie les grands studios

Formés dans les meilleures écoles hexagonale­s, les nouveaux talents de l’animation n’ont peur de rien, sauf du formatage. Découverte de leur univers.

- PAR VICTORIA GAIRIN

Alors que la pandémie de Covid-19 passe comme un tsunami sur le monde de la culture, le secteur de l’animation, lui, se porte bien, très bien, même. Après avoir enregistré un record historique en 2019, avec un bond de l’export de 12,1 % en un an – les images animées made in France représenta­nt pas moins de 40 % des ventes tous genres confondus –, les studios français sont aujourd’hui consolidés par la montée en puissance de plateforme­s comme Disney, Netflix, Amazon ou Apple, et les sommes colossales qu’elles sont prêtes à investir. Ce que le monde, et principale­ment les Américains,

nous envie ? Une formation polyvalent­e – la France compte un peu plus de 70 écoles –, des profils variés et hybrides, des logiciels pointus développés sur le tas au gré des besoins, et surtout un art de la débrouille à toute épreuve qui fait de l’animation française, plus qu’une industrie d’excellence, un véritable artisanat. Un savoir-faire qu’Annecy – qui s’apprête à accueillir en 2023 la Cité du cinéma d’animation – et son Festival internatio­nal du film d’animation se font un devoir de mettre en avant. C’est un passage obligé pour cette « French Connection », ces jeunes réalisateu­rs qui essaiment leur talent en France comme à l’étranger. Qui sont-ils ? Nous les avons rencontrés.

Les studios ne laissent pas le champ libre à ses envies ? Il crée sa boîte de production, Remembers. Aucun éditeur ne répond à ses aspiration­s expériment­ales ? Il lance les éditions Réalistes. Ugo Bienvenu, 33 ans, ne s’encombre pas des convention­s, il fonce. Formé à l’École Estienne, aux Gobelins, au California Institute of the Arts et aux Arts déco – rien que ça ! –, ce touche-à-tout passionné de science-fiction est bien la preuve qu’il n’est pas besoin d’être biberonné à la mamelle de l’école Disney pour cartonner. Auteur remarqué de la bande dessinée Préférence système et de l’érotique B.O comme un dieu, mais aussi de clips et de mini-séries à succès, l’illustrate­ur-cinéaste, acteur à ses heures et professeur aux Gobelins, crée des ponts singuliers entre les arts. « Quand je suis sorti de l’école, le marché de l’animation se cantonnait à ce que voulaient les grandes chaînes. J’ai vite compris que c’était à nous de proposer des alternativ­es et de revendique­r notre ambition. » Un défi qu’il relève avec un premier long-métrage à venir, Arco – coécrit avec Félix de Givry –, l’histoire d’un gamin de 12 ans qui vit en 2932, alors que les hommes peuvent voyager dans le passé, via des arcs-en-ciel, pour nous observer…

Tanguy de Kermel n’est pas si vieux, pourtant le réalisateu­r de 54 ans parle d’un temps où la 3D n’existait pas. Enfin, si, mais sous la forme d’un logiciel réservé à l’armée, un simulateur de chars et de vols. Au début des années 1990, les Arts déco, à Paris, sont la seule école en Europe qui propose une formation à l’image de synthèse. C’est là qu’il apprend les bases et devient l’un des premiers réalisateu­rs à se spécialise­r dans les films entièremen­t produits à partir d’un ordinateur. Il se souvient, ému, des heures passées chez ses copains de Mac Guff qui lui laissaient parfois utiliser leurs machines la nuit. Tanguy de Kermel devient vite le roi de la pub en 3D pour des annonceurs comme McDonald’s, Danone, Volvic, Kinder, Haribo, mettant son expertise française au profit d’équipes américaine­s, allemandes, anglaises, israélienn­es… Puis SamSam, le « plus petit des grands héros » de Pomme d’Api, créé par Serge Bloch, débarque dans sa vie. Après avoir réalisé une série entièremen­t en 3D pour France Télévision­s sur la star des 3-6 ans, Kermel a fait de SamSam et de son SamDoudou, début 2020, des héros sur grand écran.

En 2004, son premier court-métrage d’animation, Une histoire vertébrale, racontait une histoire d’amour sans paroles dans laquelle un homme et une femme ayant une malformati­on inverse au cou finissent par se rencontrer. En 2008, Skhizein relatait l’étrange destin d’un homme percuté par une météorite vivant désormais à 91 centimètre­s en dehors de lui-même. On comprend mieux pourquoi le producteur Marc du Pontavice a immédiatem­ent pensé à Jérémy Clapin pour adapter sur grand écran Happy Hand, de Guillaume Laurant, où l’on suit les aventures d’une main « vivante » en parallèle de celles de son propriétai­re amputé. Carton plein pour l’ex-prof de tennis, qui a commencé sa carrière comme graphiste pour l’édition et dans la publicité avant de se consacrer à l’animation. J’ai perdu mon corps, bijou poétique et travail d’orfèvre sur lequel beaucoup n’auraient pas misé, est nommé aux Oscars et rafle des prix à Cannes et à Annecy, avant de remporter le césar du meilleur film d’animation en 2020. Pour Clapin, ce succès est éloquent : lorsque le conformism­e et les considérat­ions marketing ne sont pas de la partie, le public suit. Et en redemande.

Fille de sculpteurs-dessinateu­rs, Sarah Van Den Boom, 45 ans, a longtemps hésité entre psychologi­e, théâtre, chant lyrique, danse et illustrati­on, avant de réaliser qu’une discipline pouvait réunir un peu tout cela à la fois : l’animation. Formée à l’Esag Penninghen et aux Arts décoratifs, elle se fait rapidement remarquer avec son premier court-métrage, Novecento : pianiste (2005), adapté du texte d’Alessandro Barrico. Les suivants, La Femme squelette (2009), Dans les eaux profondes (2015) et Raymonde ou l’évasion verticale (2018), font la tournée des grands festivals. Désormais à la tête de sa propre boîte de production, Papy3D, qu’elle a fondée en 2006 avec sa joyeuse bande – son mari, Richard Van Den Boom, Jérémy Clapin, Pierre Caillet et Gilles Cuvelier –, elle travaille sur son premier long-métrage, une adaptation en stop motion et en 3D de Séraphine, roman jeunesse de Marie Desplechin (L’École des loisirs) s’intéressan­t à Montmartre au temps de la Commune. Sortie prévue en 2024.

Recréer le réel sans mentir, sans dénaturer les événements difficiles à restituer par la prise de vue. Voilà ce qui plaît tant à Éléa Gobbé-Mévellec lorsque Zabou Breitman vient lui proposer de travailler avec elle sur

Les Hirondelle­s de Kaboul, l’adaptation du best-seller de Yasmina Khadra. Entièremen­t réalisée à l’aquarelle, cette petite prouesse d’animation, qui raconte le destin croisé de deux couples sous le régime des talibans, est sélectionn­ée à Cannes en 2019 dans la section « Un certain regard ». Passionnée tant par le dessin, la peinture impression­niste que par l es mangas, Wong Kar-wai ou la palette d’un Lorenzo Mattotti, la Bretonne de 36 ans, diplômée des Gobelins, qui a fait ses armes en tant qu’animatrice sur des succès tels que Le Chat du rabbin (2011) ou Ernest et Céléstine (2012), se félicite que l’animation ne soit plus seulement un média réservé au jeune public.

Sa plus grande fierté ? Ne rentrer dans aucune case. Graffiti, peinture, sculpture, hip-hop… L’univers de Simon Rouby, 41 ans, mêle un peu tous les genres. Lorsque le scénariste Julien Lilti le rencontre en 2007, le jeune réalisateu­r, passé par l’école Émile Cohl, les Gobelins et le California Institute of the Arts, n’a alors que deux courts-métrages à son actif. Qu’importe, il a fait un stage à Dakar, connaît un peu l’Afrique, c’est lui que Lilti choisit pour son Adama, premier long-métrage entièremen­t réalisé sur l’île de La Réunion, qui sortira en 2015. Dans les studios Pipangaï – pionniers de l’animation dans l’océan Indien –, Rouby et son équipe vont inventer un nouveau langage visuel pour réveiller la mémoire des soldats africains de la Grande Guerre. Les décors du film sont peints et agrémentés d’effets 3D, tandis que les visages des personnage­s ont d’abord été sculptés dans l’argile, pour la qualité expressive et spontanée, avant d’être scannés et travaillés sur ordinateur. « De Tarkovski aux Quatre Cents Coups, de Truffaut, en passant par Miyazaki et Amadou Hampâte Bâ, nous avons puisé notre inspiratio­n dans toutes les oeuvres qui nous paraissaie­nt faire écho à notre sujet », confie Rouby l’hybride. Le résultat ? Une pépite. Inclassabl­e, évidemment.

Le point commun entre la reine des bandits Phoolan Devi, la danseuse Joséphine Baker et l’inventrice du maillot de bain une pièce Annette Kellerman ? Les trois femmes, qui ont osé faire voler les préjugés en éclats, font partie des 30 portraits de l’excellente série Culottées (France TV), adaptée des bandes dessinées de Pénélope Bagieu. « C’était l’occasion rêvée d’imaginer des corps, des gestuelles, qui battent en brèche tous les clichés de la représenta­tion féminine à l’écran », se félicite Phuong Mai Nguyen, 32 ans, qui coréalise le programme avec Charlotte Cambon de Lavalette. Doublement diplômée des Gobelins, à Paris, et de La Poudrière, à Valence, cette jeune Française née au Vietnam, où elle a vécu jusqu’à l’âge de 15 ans, s’est fait remarquer dès 2016 avec son court-métrage Chez moi, présélecti­onné pour les Césars et shortlisté pour les Oscars.

Qui est Banksy ? À cette question qui a alimenté les spéculatio­ns les plus folles, l’auteur-illustrate­ur italien Fausto Gilberti répond pour les plus jeunes, à travers un album joyeux et ludique. Il revient sur le parcours du célèbre street artist en se plaçant à hauteur d’enfant. Le vandalisme, le rapport à l’argent, l’exposition sauvage au British Museum, les oeuvres à revendicat­ion politique comme la toile autodétrui­te en salle des ventes : tout est passé en revue avec légèreté et simplicité. À une exception près, les illustrati­ons ne sont pas des oeuvres de Banksy, mais des dessins très graphiques de Fausto Gilberti, qui réinterprè­te le travail du graffeur anglais. Une initiation plaisante et futée à un art urbain auquel les enfants sont souvent sensibles

Banksy. L’artiste qui graffait sur les murs (et s’en fichait), de Fausto Gilberti, Phaidon, 48 p., 14,95 €. À partir de 4 ans.

Les Noyés du Clain, de Thibaut Solano

(La Bête noire, 404 p., 17,90 €).

Il s’installe sur son convertibl­e des années 2000 comme dans sa nouvelle vie, Simon, étudiant à Poitiers. Journalist­e – un métier « qui mène à tout, à condition d’en sortir » – le week-end pour le journal local L’Écho, avec« concours de sosies et foire à la saucisse » au programme. Confronté à la noyade d’un étudiant, il enquête, en amateur, tâtonne, trouve des choses que la police ignore. Puis revient, onze ans plus tard, journalist­e confirmé, sur les traces de sa jeunesse à Poitiers – ville qui vient de refaire parler d’elle… Réouvertur­e de l’affaire : il ne s’agit pas d’un noyé mais de plusieurs. Il s’agit aussi d’un vrai fait divers, genre que l’auteur affectionn­e tant. Lui-même fut localier avant de passer à la presse nationale et d’écrire deux polars aux Arènes (le deuxième, sur le petit Grégory). Dans ce troisième opus, l’enquête romancée se double d’un roman initiatiqu­e tendre sur le devenir. Un atout supplément­aire

 ??  ?? Futuriste. Un enfant qui remonte le temps grâce à un arc-en-ciel, c’est « Arco », du touche-à-tout Ugo Bienvenu.
Futuriste. Un enfant qui remonte le temps grâce à un arc-en-ciel, c’est « Arco », du touche-à-tout Ugo Bienvenu.
 ??  ?? Tanguy de Kermel a propulsé SamSam (à dr.) au cinéma.
Tanguy de Kermel a propulsé SamSam (à dr.) au cinéma.
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 ??  ?? Troublant. « J’ai perdu mon corps », de Jérémy Clapin, vaincu sur le fil par « Toy Story 4 » aux Oscars 2020.
Troublant. « J’ai perdu mon corps », de Jérémy Clapin, vaincu sur le fil par « Toy Story 4 » aux Oscars 2020.
 ??  ?? Chouette. « Raymonde ou l’évasion verticale », poétique, un brin perché, signé Sarah Van Den Boom.
Chouette. « Raymonde ou l’évasion verticale », poétique, un brin perché, signé Sarah Van Den Boom.
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Vitaminé.
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 ??  ?? Odyssée. La quête éperdue d’« Adama », de Simon Rouby, le mènera jusque dans les tranchées.
Odyssée. La quête éperdue d’« Adama », de Simon Rouby, le mènera jusque dans les tranchées.
 ??  ?? Drôles de dames. « Culottées », c’est 30 portraits animés d’après la BD de Pénélope Bagieu.
Drôles de dames. « Culottées », c’est 30 portraits animés d’après la BD de Pénélope Bagieu.
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