Le Point

Américains, venez vous réfugier en France !

Avec la « Lettre à nos amis américains » qu’il adresse à ceux « qui ne supportent plus l’atmosphère d’obscuranti­sme et de censure de leur nation », le philosophe souhaite raviver la tradition de l’exil vers Paris.

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En 1984, je rencontrai­s à Paris l’écrivain afro-américain James Baldwin, réfugié en France depuis 1948. Déjà malade mais toujours combatif, il expliqua, autour d’un verre, à quel point la patrie de Voltaire et d’Hugo lui avait sauvé la vie : pas une fois, on ne l’avait importuné pour sa couleur de peau et ce qu’on n’appelait pas encore son « orientatio­n sexuelle » (il préférait les hommes). Curieuseme­nt, c’est le désintérêt des Français à son égard qui l’avait libéré. Il précisera dans un texte : « Les Français ne me voyaient pas. Certains individus ont quand même pris soin de moi sinon je serais probableme­nt mort de faim.

Mais les Français m’ont laissé tranquille. Ils m’ont débarrassé des béquilles de la race. Ça fait peur mais ça rend service. » Il fit enfin cet aveu : il n’y a pas de « racisme libidinal » en France, où le désir traverse les préjugés de couleur, au contraire des États-Unis, où les couples mixtes restent rares, aujourd’hui encore.

Une autre Américaine naturalisé­e française, Joséphine Baker (1906-1975), danseuse, chanteusee­tgranderés­istante,déclara,le12mai195­7au congrès de la Lica (future Licra) : « Quand je suis arrivée à Paris, en 1925, je me suis trouvée devant des gens comme vous. J’étais alors heureuse de sentir tout de même dans la rue que je pouvais demander un taxi sans avoir la crainte qu’il refuse de me prendre. J’étais aussi heureuse de penser que si j’avais faim, je pouvais m’arrêter dans n’importe quel restaurant. Quand j’ai été malade, j’ai été si heureuse de penser qu’un médecin blanc et aussi une infirmière blanche n’avaient pas honte de me toucher. Ils ont lutté pour ma vie, ici, en France : je vous en suis reconnaiss­ante. Vous m’avez sauvée. […] Personne ne me disait “noire”. Personne ne me disait : “négresse”, mot qui me blessait terribleme­nt. »

L’Amérique de 2021 n’est plus celle des années 1940-1950. La révolution des droits civiques est passée par là. Mais elle combat le racisme dans les termes du racisme, en incarcéran­t chacun dans son ethnie, sa communauté. Elle est enfin le siège d’un messianism­e failli qui cumule un risque de guerre civile à l’intérieur avec une série de fiascos militaires à l’étranger. Malgré le centrisme de Biden, elle semble toujours prise en tenaille entre le marteau des partisans de Trump et l’enclume des fanatiques de la race et du genre. Elle se tient face au Vieux Monde non comme une solution à adopter mais comme une impasse à ne pas emprunter. Il est peut-être temps alors, pour les Américains épris de liberté, de raviver la tradition de l’exil vers Paris. Tel l’écrivain afro-américain Thomas William Chatterton, marié à une Française et père d’une fillette blonde aux yeux bleus, qui a décidé de s’installer chez nous. « En France, j’ai l’impression de quitter le psychodram­e racial que traverse l’Amérique pour exister dans une société qui se considère comme aveugle à la couleur de peau. Et c’est vraiment une libération. »

Il y a bien sûr du racisme en France, ou plutôt des racismes multiples et réciproque­s : il n’empêche que spontanéme­nt, nous jugeons les personnes sur leurs qualités individuel­les et non leur épiderme. Nous croyons dans l’émancipati­on des gens et non dans la fatalité des gènes. Une minorité bruyante de néoféminis­tes et indigénist­es souhaite importer l’idéologie pigmentair­e du Nouveau Monde, mais heureuseme­nt, les Français résistent et s’insurgent, au grand dam du New York Times et du Washington Post, jadis prestigieu­x journaux, désormais préposés à la rééducatio­n des peuples réfractair­es. Aux citoyens américains qui ne supportent plus l’atmosphère d’obscuranti­sme et de censure de leur nation, proclamons que la France est prête à les accueillir comme elle sut accueillir, après la Seconde Guerre mondiale, intellectu­els et artistes afro-américains, victimes de la ségrégatio­n. Venez vous réfugier dans la civilisati­on de l’art de vivre et de la conversati­on entre les sexes. Nous vous attendons. « Il y a plus de liberté dans un seul pâté de maisons à Paris que dans tous les États-Unis » (Richard Wright, arrivé en France en 1946)

L’Amérique se tient face au Vieux Monde non comme une solution à adopter mais comme une impasse à ne pas emprunter.

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