Déconnexion martienne
Le son capté par la Nasa est celui de la paix absolue, de la terra incognita, de l’infini qui nous manque tant.
Àpeine un grattement sur la surface tendue d’un tambour, l’acoustique d’un insecte piégé. Ou un lointain cliquetis, un instant de sons sourds dans une oreille mécanique. Qu’est-ce ? C’est le bruit de la paix absolue, l’extrême évasion, la transcendance infinie. La séquence des bruits de Mars, captés par le rover Perseverance, est très brève, à peine quelques secondes, mais elle suffit à alimenter la songerie du dissident absolu. Voici la voix d’un lieu aux ondes vierges, non encore contaminé par les radios, discours, communications, numérisations et autres pollutions. Ici, ni Trump ni klaxons. Ni agressions sonores ni bruits de moteur. De la présence pure, un versant rocailleux du nirvana, un lieu désert à côté duquel le Sahara paraît être une gare parisienne la veille des fêtes. Pourquoi en parler ? Parce que ces quelques secondes offrent, si l’on s’y consacre, le rêve brut qui manque tant, nous restituent la terra incognita, l’inconnu sans traces de pas, la virginité des cartes anciennes, ces limes de notre humanité. Le chroniqueur aime écouter et réécouter cet échantillon du rien, pour se reposer, même de lui-même. Quand on est algérien, par exemple, et qu’on doit se réveiller avec les dernières déclarations d’un ministre islamiste qui annonce que «la France est notre ennemi traditionnel et éternel », on a besoin de croire qu’il existe une possibilité de se reposer de son sort d’otage, d’écouter l’infini sans bêlements ni hurlements. On a besoin de compenser le vide laissé par le paradis volé par les religieux et remplacé par un au-delà peuplé d’amateurs de sadomasochisme.
C’est alors que ce son de Mars parvient, même enregistré, à l’oreille et donne la possibilité extraordinaire de sortir de sa peau, de son pays, de son corps et de l’Histoire bavarde. S’offrir une sorte de religion de la résonance qui n’exige rien de plus que prêter l’oreille à un Dieu à peine nécessaire comme boomerang.
Cette thérapie par le vide, par l’écoute de la bande-son de l’infini recueillie par Perseverance, est proposée à tous ceux qui souffrent des invasions numériques, des polémiques nationales, des hordes sur les réseaux de barbares identitaires, néo-racistes inversés, communautaristes et autres radicalisés. Ce n’est que le bruit de « vents verticaux », comme disent les spécialistes, mais c’est déjà un territoire de repli pour ceux qui sont fatigués de nos terres.
L’agence américaine vous offre même l’occasion d’une expérience interactive : enregistrer l’une de vos phrases et l’écouter réinterprétée par l’atmosphère fine de la planète rouge. Mais là, c’est déjà une pollution de la virginité cosmique, un geste de repeuplement par l’ego. Le mieux est de ne rien dire, d’aller sur Mars par l’oreille, pour justement imaginer ce qui est inimaginable chez nous : la paix, les confins qui sont le contraire du confinement, l’impossible ocre de ces lieux. La thérapie, comme toute sortie de cosmonaute, permet du moins, par ce geste absurde, de relativiser les croyances, les vérités aujourd’hui si virales, de revenir à la gloire d’être si peu et à la déconnexion absolue et sans questionnaires (« Voulez-vous vraiment désactiver votre compte ? » interroge, insistant, le robot). Vous n’irez pas – ni l’auteur – sur Mars, mais y prêter l’oreille, c’est déjà une aventure les yeux fermés, un lieu où ne se répète, assourdi, qu’un seul souffle, le vôtre. Car il est urgent de trouver une terre habitable, sans radicaux, sans confessionnalismes, sans réseaux sociaux, sans virus, sans craintes ni tremblements. Urgent, mais presque impossible sur Terre. La bande-son, si brève, de Mars est un bon début pour un prochain album d’évasion. On peut d’ores et déjà imaginer reconstruire l’inconnu ancien, le naufrage salutaire, l’île, l’énigme de chacun ravivée, la brousse inexploitée.
Se restituer la coïncidence étymologique, ravissante, entre « comprendre » et « entendre »
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Reconstruire l’inconnu ancien, le naufrage salutaire, l’île, l’énigme de chacun ravivée, la brousse inexploitée.