Chloé Zhao, l’Ouest sacré
Elle incarne le renouveau du cinéma américain et décroche un triplé historique aux Oscars avec Nomadland. Rencontre.
Un vent frais souffle sur Hollywood. En raflant l’oscar du Meilleur film et celui de la Meilleure réalisatrice au théâtre Dolby, dimanche soir – son actrice Frances McDormand a, elle, reçu la statuette de la Meilleure actrice –, Chloé Zhao termine en beauté sa course aux prix. Encore peu connue des médias il y a quelques mois, la jeune réalisatrice de Nomadland – qui a remporté le lion d’or à Venise en 2020, ainsi que plusieurs prix lors des cérémonies des British Academy Film Awards et des Golden Globes cette année – incarne aujourd’hui le renouveau d’un cinéma indépendant américain, qui parvient à franchir les frontières du genre pour s’adresser aussi au grand public. « James Cameron m’a sauvé la vie ! » confie depuis Los Angeles la Sino-Américaine âgée de 39 ans, en se remémorant son enfance dans la Chine communiste des années 1990. C’est la découverte des blockbusters du cinéaste hollywoodien qui lui offre ses premiers émois de cinéphile et son désir secret de conquête de l’Ouest. Fille d’un gestionnaire de l’industrie métallurgique et d’une infirmière, élevée dans un milieu aisé, Chloé Zhao quitte Pékin à 15 ans pour une pension britannique, puis s’envole pour les États-Unis, où elle étudiera les sciences politiques dans une université du Massachusetts. « Je suis devenue rebelle par rapport à ma famille et mes origines. Étudier les sciences politiques, c’était pour moi une manière de comprendre ce qui était réel. » Rapidement découragée par la politique, elle découvre qu’elle aime « rencontrer des gens et transmettre leur histoire » et part étudier le cinéma à l’Université de New York, avec notamment le grand Spike Lee pour mentor. Ses deux premiers longs-métrages, aux entrées confidentielles mais remarqués et récom
économiques et la pandémie de Covid-19 nous ont rappelé de façon très violente que le consumérisme à outrance, le “toujours plus”, avait ses limites. Et qu’il existait d’autres moyens de vivre sa vie. Il y a quelque chose de toxique dans cette injonction à “gagner” qu’on impose aux hommes ici. Alors que les plus forts sont quand même souvent ceux qui ont eu des déconvenues… » analyse Zhao.
Certains critiques américains ont reproché à la réalisatrice d’avoir un peu trop idéalisé le mode de vie des vandwellers, d’avoir délibérément fermé les yeux sur les polémiques autour des conditions de travail dans les entrepôts d’Amazon, qui, chaque année, à l’approche de Noël, embauche en masse ces travailleurs itinérants. Or, justement, la force des films de Chloé Zhao, qui, certes, radiographie l’Amérique d’aujourd’hui en posant un regard désenchanté sur son pays d’adoption, c’est de se laisser aussi envoûter par les décors de légende, les grands espaces, sans hésiter à invoquer sa propre mythologie américaine. Pour ce faire, comme l’impose sa méthode, la jeune femme a bien sûr vécu en immersion avec les hippies du XXIe siècle qui composent le casting du film. « Avec Frances, on a eu beaucoup de mal à les quitter, reconnaît la réalisatrice. On est d’ailleurs en contact avec eux tous les jours. » Pourtant, alors que Nomadland poursuivait gentiment sa course aux oscars en attendant une sortie en salles, Zhao n’a pas chômé. C’est elle en effet que les studios Marvel ont choisie pour réaliser Eternals, troisième opus de la phase IV des Éternels créés par Jack Kirby, avec notamment Angelina Jolie, Richard Madden et Salma Hayek, dont la sortie – plusieurs fois repoussée en raison de la pandémie – devrait finalement avoir lieu en novembre. « Un rêve de gosse », confie la réalisatrice, qui vient également de signer chez Universal un nouveau film sur Dracula, version « western futuriste ». Pour l’heure, ses origines se rappellent violemment à elle : Chloé Zhao s’est vue qualifiée de « traîtresse » sur les réseaux sociaux chinois à la suite de propos qu’elle aurait tenus dans la presse américaine sur les « mensonges omniprésents » de son pays d’origine. Elle n’espère maintenant qu’une chose: que Nomadland puisse un jour sortir en Chine
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