Hollywood Gary
Puisque Romain Gary adorait se dissimuler derrière les masques, on peut parier qu’il ne fut pas mécontent de se déguiser en consul de France à Los Angeles pendant quelques années (1956-1960) ensoleillées et frimeuses. Il est vrai qu’à cette époque Romain le Magnifique était encore loin de son grand destin : à Paris, personne (sauf Camus, auquel il ressemble tant) ne le prend au sérieux. Malraux s’est attribué l’héroïsme ; Kessel a fait main basse sur la mélancolie tsigane ; et la mode naissante du Nouveau Roman disqualifie par avance la littérature qu’il mijote dans ses alambics humanistes. Pour ce rêveur slave qui veut servir la France, il ne reste donc que des seconds rôles. En attendant le retour aux affaires du de Gaulle donquichottesque dont il se veut le simple féal…
C’est dans cet état d’esprit qu’il s’installe dans sa résidence officielle du 1919 Outpost Drive. Son avenir piaffe. Le Compagnon de la Libération mêle sa prose savoureuse à la langue de bois des dépêches pour le Quai d’Orsay. Il est heureux et s’ennuie – ce qui est un excellent dosage existentiel pour les écrivains. L’ouvrage (mi-enquête, mi-fiction) de Kerwin Spire – qui a collaboré à la publication de Gary dans la Pléiade – fait ainsi la chronique de ces saisons jusque-là fort peu explorées. Une sorte de Gary avant Gary…
Par chance, «Monsieur le Consul » est à son affaire dans ce paradis glamour: il fréquente le gratin du septième art, partage des havanes monstrueux avec le patron de la Fox, déjeune chez Frascati avec Orson Welles, Maurice Chevalier et Marilyn, circule en Oldsmobile décapotable – tout en se penchant gravement, pour la galerie, sur le début de la guerre d’Algérie ou le blocus du canal de Suez. Romain le Magnifique fait ses gammes. Le petit rêveur de Vilnius et de Nice est ébloui par les stars, leur beauté, leur solitude. Bientôt, il rencontre la juvénilefatale Jean Seberg… Pendant ce temps suspendu, ses futurs chefs-d’oeuvre mûrissent en coulisse et son premier Goncourt (Les Racines du ciel) s’impatiente…
De cet épisode si particulier de l’odyssée garyenne, on ressort attendri devant un type merveilleux et charmeur qui rumine, veut se montrer digne de sa mère adorée et se tient prêt à en découdre avec la gloire. D’ailleurs, il sait déjà que, si le masque diplomatique ne suffit pas, il pourra toujours s’en confectionner un autre, plus efficace, grâce auquel, pourquoi pas, il empochera même un second Goncourt et entrera définitivement dans la légende
■ Monsieur Romain Gary. Consul général de France. 1919 Outpost Drive. Los Angeles 28, California, de Kerwin Spire (Gallimard, 324 p., 20 €).
LE PETIT RÊVEUR DE VILNIUS ET DE NICE EST ÉBLOUI PAR LES STARS, LEUR BEAUTÉ, LEUR SOLITUDE…