L’« atmosphère » de Rambouillet
Sur Facebook, Jamel Gorchene avait relayé des publications ou positions d’Erdogan et de Mélenchon.
La France s’habitue-t-elle ? Après l’attentat de Rambouillet, les mêmes scènes, les mêmes déclarations – comment pourrait-il en être autrement ? – et ce sentiment de répétition qui use.
La guerre que l’on nous mène paraît sans fin. Il y a cinq ans, on se disait qu’une défaite de l’État islamique dans son fief de Raqqa porterait un rude coup au terrorisme. Ce fut fait, notamment grâce à l’aide des Kurdes. On pensait aussi que le démantèlement des réseaux nous permettrait de vaincre. Ce fut largement le cas, grâce au travail des services de police et de renseignement, qui ont déjoué de nombreux attentats. Et pourtant…
Le « djihadisme d’atmosphère », expression de Gilles Kepel (lire p. 46), est lui bien plus difficile à saisir. Des terroristes comme Jamel Gorchene, il y en a potentiellement des milliers, et pratiquement indétectables. Il ne nous resterait donc qu’à endurer ?
Il demeure toutefois un front sur lequel nous n’avons pas encore gagné : celui de la bataille culturelle, et donc politique. L’analyse, par Gilles Kepel, du compte Facebook de l’assassin de Rambouillet révèle que celui-ci relayait des déclarations ou publications de Recep Tayyip Erdogan, mais aussi de Jean-Luc Mélenchon, tous deux pourfendeurs à leur manière de Charlie Hebdo, et de ce qu’ils nomment « islamophobie ». Il serait idiot de leur attribuer une part de responsabilité dans l’attentat, personne n’est comptable des actions de ses admirateurs. Pour autant, on ne peut ignorer qu’au cours de son itinéraire le tueur a trouvé du réconfort dans leur magistère apparent.
Alors que faire, comme disait Lénine ? Eh bien, justement, relire l’histoire du communisme. Antonio Gramsci avait constaté l’erreur de Marx, lequel pensait que la révolution interviendrait dans les pays industrialisés, forts d’un prolétariat nombreux. Finalement, ce fut en Russie qu’elle se produisit, bien que celle-ci fût nettement moins avancée que l’Allemagne, par exemple. Gramsci en conclut que la méthode efficace était celle qui vise à conquérir l’hégémonie culturelle en pesant notamment dans les médias et les institutions éducatives.
Or, si l’islamo-gauchisme, ou marxisme islamistophile, n’est pas près de devenir majoritaire dans la population française – les enquêtes d’opinion le montrent –, les élites universitaires, politiques et médiatiques y cèdent de plus en plus.
A priori, ce mouvement n’avait rien d’impressionnant. Le recyclage d’un vieux schéma marxiste sur le plan religieux, enrôlant de force les musulmans dans la fonction de lumpenprolétariat, et élevant les islamistes au rang d’avant-garde révolutionnaire, aurait dû passer pour ce qu’il est, une manipulation pataude et, au passage, incroyablement
condescendante à l’égard les musulmans. Sauf que, faute de contradiction suffisante, ses représentants ont pu s’affranchir de leurs limites naturelles, celles des marges, de l’extrémisme. « Les hommes ne sauraient jouir de la liberté politique sans l’acheter par quelques sacrifices », écrivait Tocqueville. Apparemment, ces sacrifices étaient trop lourds pour beaucoup. Heureusement, quelques combattants persistent à défendre la France, au premier rang desquels ceux qui savent ce que c’est que l’islamisme, comme Mohamed Sifaoui, Fatiha AgagBoudjahlat ou encore le courageux recteur de la Grande Mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz.
Le combat « gramscien », comme on dit quand on est snob, ne se limite d’ailleurs pas à la question de l’islamisme. Comme l’expliquait Carlo Strenger dans Le Mépris civilisé, livre écrit après les attentats de 2015 –pardon, chers lecteurs, d’y revenir, mais personne n’a dit les choses aussi bien –, notre faiblesse tient à notre incapacité à défendre la philosophie des Lumières. Or celle-ci n’est pas seulement minée par l’islamisme, mais aussi par le politiquement correct et son successeur, la cancel culture.
La première chose à faire serait donc de ne pas les nourrir. Le 18 avril, sur la chaîne américaine CBS, Emmanuel Macron, évoquant le racisme en France, s’est lancé dans un développement sur la colonisation et a estimé au passage nécessaire de « déconstruire notre propre histoire ». Malheureux choix de vocabulaire. Même s’il a récusé, dans la même interview, l’idée d’une nation qui ne serait qu’une « addition » de « races » ou de « minorités », contredisant ainsi les thèses « woke », l’usage de ce mot de « déconstruction », tellement associé aujourd’hui à la cancel culture, résonne comme un début de concession. « Le
maïs n’a jamais raison devant le tribunal des coqs », dit un proverbe togolais. S’il est une leçon à retenir de Rambouillet, et du profil Facebook du tueur, c’est celle-ci : ne jamais laisser penser que nous sommes comestibles Étienne Gernelle ■
P-S: en plein bouclage, nous apprenons le décès de MarieFrançoise Leclère, figure du journalisme et du Point, dont elle fut longtemps rédactrice en chef de la rubrique culture. Quelle tristesse ! Nous pensons d’abord à sa famille, à ses proches, et ensuite à ce que nous lui devons (lire p. 78).