Biden ou la revanche de Mitterrand
En ouvrant les vannes de la dépense publique, le président américain enterre la révolution libérale des années 1980.
L’ère du de l’État qui s’occupe de tout, est de retour en Amérique. Enfoncés, Roosevelt et son New Deal, Eisenhower et son plan de modernisation, Johnson et sa « Great
! Joe Biden a mis sur la table 1 900 milliards de dollars pour la relance économique post-Covid, soit près de 9 % du PIB américain. Le démocrate y a ajouté un plan pluriannuel de modernisation des infrastructures, puis un autre en faveur de l’éducation et de la famille, pour des montants équivalents. Au total, quelque 6 000 milliards de dollars !
Les commentateurs attendaient un président « de transition ». Donald Trump raillait « Joe l’endormi ». Les républicains comptaient l’enfermer dans la guerre culturelle qui agite les ÉtatsUnis. Biden les a pris à contre-pied. Infatigable, focalisé sur l’économie après avoir mené la plus ambitieuse campagne de vaccination de l’Histoire, il met le cap à gauche toute au moment où le Parti républicain, resté trumpiste, dérive vers la droite. La polarisation de l’Amérique se poursuit. Le centre a implosé.
L’État nounou est dans l’air du temps. Le Pew Research Center a révélé récemment l’insatisfaction, en Amérique comme en Europe occidentale, vis-à-vis du capitalisme pré-Covid jugé inégalitaire. L’aspiration à «d’importantes modifications du système économique », voire à une « refonte totale » de celui-ci, réunit 70 % des sondés en France et 50 % aux États-Unis, en Allemagne et au Royaume-Uni. Seule une infime minorité (3 % en France, 12 % aux États-Unis) se prononce pour le statu quo économique. Les augmentations d’impôts annoncées par Biden – qui ne financeront qu’une partie des dépenses supplémentaires – sont populaires car il a promis de « taxer les riches » et d’épargner la classe moyenne.
La révolution libérale des années 1980 est enterrée. La Première ministre britannique Margaret Thatcher, qui, en 1979, professait qu’il n’y avait « pas d’alternative » à la libéralisation de l’économie, transformait le Royaume-Uni en une nation moderne, influente et prospère. À sa suite, l’Américain Ronald Reagan, entré à la Maison-Blanche en janvier 1981, affirmant que « le gouvernement est le problème», coupait dans les dépenses fédérales, diminuait les impôts et se faisait le héraut de l’entreprise.
À l’inverse, François Mitterrand, parvenu au pouvoir quatre mois plus tard en France, nationalisait à tour de bras et créait l’impôt sur les grandes fortunes (IGF). Son cavalier seul ne dura pas. Le président socialiste dut renouer avec l’orthodoxie économique pour maintenir la France dans l’Europe et dans la mondialisation. Puis toute la gauche sociale-démocrate se convertissait au « moins d’État », avec Tony Blair en Grande-Bretagne, Gerhard Schröder en Allemagne ou Bill Clinton aux États-Unis. Biden clôt un cycle. Quarante ans après l’élection de Mitterrand, les idées économiques de gauche sont en vogue. La crise financière puis la pandémie laissent derrière elles des systèmes politiques fragilisés et des populations en quête de protection.
La France et l’Europe doivent-elles, pour autant, se rallier à la dynamique dispendieuse lancée par Washington ? Ce serait oublier que les États-Unis, dont le taux de prélèvements obligatoires n’est que de 24 % du PIB, disposent d’une marge de manoeuvre appréciable, là où la France, qui détient avec le Danemark le triste record des pays développés (45 %), n’en a pas. L’Amérique de Biden réinvente un État providence dont les Européens jouissent depuis belle lurette. En revanche, s’il y a une chose que l’Europe peut retenir de son début de mandat, c’est l’efficacité de l’outil budgétaire fédéral. Grâce à lui, le président américain orchestre une spectaculaire relance post-Covid qui laisse sur place les économies du Vieux Continent. L’Union européenne, qui s’est dotée d’une monnaie unique sans l’assortir d’un budget commun, ferait bien d’y réfléchir
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