Le Point

Rwanda : la France au banc des accusés

Ce que dit le rapport Duclert remis à Emmanuel Macron.

- PAR JÉRÔME BÉGLÉ

«Ces responsabi­lités sont politiques dans la mesure où les autorités françaises ont fait preuve d’un aveuglemen­t continu dans leur soutien à un régime raciste, corrompu et violent, pourtant conçu comme un laboratoir­e d’une nouvelle politique française en Afrique introduite par le discours de La Baule. […] En France, à l’inquiétude de ministres, de parlementa­ires, de hauts fonctionna­ires, d’intellectu­els, il n’est répondu que par l’indifféren­ce, le rejet ou la mauvaise foi. Cet alignement sur le pouvoir rwandais procède d’une volonté du chef de l’État et de la présidence de la République. » Les conclusion­s du rapport remis par Vincent Duclert à Emmanuel Macron dénoncent la gestion très « personnell­e » des événements par François Mitterrand, la cellule Afrique de l’Élysée et les collaborat­eurs les plus proches de l’ancien président, qui ordonnera jusqu’en 1993 des livraisons d’armes au pouvoir en place. Parmi les documents troublants reproduits, un fax du colonel Huchon, adjoint à l’état-major particulie­r du président Mitterrand, « à détruire après lecture», daté d’octobre 1990, qui selon le rapport « laisse clairement entendre que l’objectif recherché est l’engagement français au Rwanda que seule une menace d’agression extérieure peut justifier. Si elle n’est pas constituée (et c’est le cas), il suffit de convaincre l’opinion internatio­nale que telle est la réalité et de trouver les preuves pour la démontrer ».

Replongeon­s-nous dans le Rwanda du début des années 1990. Juvénal Habyariman­a préside le pays depuis 1973. Ce « vieux routier » de la Françafriq­ue est un Hutu, l’ethnie dominante, qui voit monter les revendicat­ions tutsi. Il les néglige mais est contraint de signer à l’été 1993, après un an de discussion­s, les accords d’Arusha qui prévoient de mettre un terme à la guerre civile commencée en 1990. Un gouverneme­nt de transition consacrant la réintégrat­ion des exilés tutsi doit être installé. Il compterait le Front patriotiqu­e rwandais, qui gagne du terrain. Le but officiel de l’opération est humanitair­e, mais rapidement des témoignage­s d’observateu­rs, de journalist­es et même de militaires dénoncent l’ambiguïté de la France. Elle aurait freiné la progressio­n du FPR vers Kigali, été plus protectric­e avec certains Rwandais, fermé les yeux sur des exactions…

Le 4 juillet 1994, le FPR entre dans Kigali. Le 19 juillet, un gouverneme­nt est constitué sur la base des accords d’Arusha. Le 21 août, l’opération Turquoise s’achève. L’homme fort du Rwanda est le général-major Paul Kagame, vice-président et ministre de la Défense, cofondateu­r du FPR, ancien exilé tutsi en Ouganda. Il sera élu président le 24 mars 2000. Il est aujourd’hui encore le chef de l’État rwandais. Sa première tâche a été de sceller la réconcilia­tion entre les Hutu (environ 11 millions en 2018) et les Tutsi (1,2 million). Puis de relancer une économie exsangue.

Depuis 2012, le pays connaît une croissance annuelle de 8 %. Aujourd’hui, cet État de 26 000 kilomètres carrés (plus petit que la Belgique) est présenté comme un modèle de redresseme­nt économique et figure aux yeux de l’ONU et de l’Union africaine comme un bon élève en termes d’environnem­ent, d’égalité entre les sexes, d’accès à Internet et à l’éducation. Le point noir, que l’opposition à Paul Kagame (63 ans) ne cesse de mettre en avant, est le sort de certains opposants et journalist­es, souvent réduits au silence

 ??  ?? « Faux amis ». Rwanda, 24 juin 1994. À la frontière du Zaïre (auj. République démocratiq­ue du Congo), des Hutu manifesten­t leur enthousias­me à l’annonce du déploiemen­t de l’opération Turquoise.
« Faux amis ». Rwanda, 24 juin 1994. À la frontière du Zaïre (auj. République démocratiq­ue du Congo), des Hutu manifesten­t leur enthousias­me à l’annonce du déploiemen­t de l’opération Turquoise.

Newspapers in French

Newspapers from France