Un ex-boursier de l’État
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général. Le nouveau géant automobile est issu ■ de la fusion entre le constructeur français et l’italien Fiat Chrysler Automobiles (FCA). Numéro six mondial en 2020, Stellantis emploie 300 000 personnes et pèse 134 milliards d’euros de chiffres d’affaires. Les familles Agnelli et Peugeot, principaux actionnaires, ont insisté pour que le patron de 62 ans pilote au moins cinq ans la nouvelle société. Ils savent que garder l’artisan du redressement de PSA et d’Opel représente la meilleure assurance pour éviter à la fusion franco-italo-américaine une sortie de route. Confessions d’un patron qui ne craint ni les chicanes ni la grande vitesse.
Le Point: Voilà plus de cent jours que vous pilotez le groupe Stellantis, né le 16 janvier dernier. Qu’est-ce qui a déjà changé? Carlos Tavares:
Après treize mois très intenses qui ont été consacrés au dépôt de 12 500 documents – excusez du peu –, auprès de toutes les administrations de la planète, nous avons déployé une nouvelle organisation, différente de celle de PSA et de FCA. Je pilote Stellantis, une entreprise mondiale, sur le principe de l’efficience au service de la performance avec neuf comités opérationnels qui impliquent tout ou partie de la quarantaine de dirigeants. Les réunions numériques rassemblant les dirigeants de Stellantis installés sur différents continents ont remplacé l’essentiel des réunions physiques. Je pratique beaucoup le télétravail, mode de fonctionnement qui préserve la qualité de vie des collaborateurs et qui minimise la notion de siège physique.
En 2007, Daimler a détricoté la fusion qu’il avait célébrée neuf ans plus tôt avec Chrysler, revendu à Fiat en 2009. Comment éviter les guerres intestines entre les équipes de PSA et de Fiat-Chrysler?
Le spectre de cet échec est bien présent dans nos esprits. J’ai écouté les dirigeants de FCA sur leur retour d’expérience, pour en analyser les causes. Aujourd’hui, j’essaie de réduire les risques de tensions. Le moindre bruit de fond est immédiatement traité. Nous avons été assez rigoureux, pour ne pas dire arithmétiquement rigoristes, dans la préservation des grands équilibres. Au niveau de l’équipe de direction, par exemple, c’est vraiment du 50-50 : 50% en provenance de PSA et 50% de FCA. Mais soyons humbles et modestes : l’avenir nous dira si nous sommes arrivés à éviter les guerres intestines. Nous ne sommes pas en train de gérer les intérêts particuliers de Pierre, Paul ou Jacques pour les années à venir, mais d’ancrer notre groupe sur le podium mondial des constructeurs.
Carlos Tavares naît le 14 août 1958 à Lisbonne.
Il étudie au lycée français de Lisbonne, où sa mère enseigne la langue de Molière.
À 17 ans, il part pour Toulouse afin de suivre une prépa de maths comme boursier de l’État français. Il intègre ensuite du premier coup l’École centrale de Paris.
En 1981, il débute comme ingénieur chez Renault.
En 1998, il pilote avec brio le programme Mégane 2.
En 2005, il devient vice-président exécutif de Nissan.
En août 2013, il démissionne avec fracas du Losange, où il était le numéro deux de Carlos Ghosn.
Depuis 2014, le président du directoire de Groupe PSA a redressé Peugeot puis Opel.
En octobre 2020, Groupe PSA et Fiat Chrysler Automobiles (FCA) annoncent leur fusion. • 16 janvier 2021, naissance de la société Stellantis, sixième constructeur mondial, dont il devient directeur général.
Pour atteindre cet objectif, il faudra forcément accélérer en Chine. Votre part de marché y est inférieure à 1%…
Nous avons bien avancé sur le diagnostic pour comprendre ce qui n’a pas fonctionné et nous présenterons une nouvelle stratégie d’ici la fin de l’année qui nécessitera des changements structurels assez profonds. Il est, en effet, impensable qu’une entreprise comme la nôtre connaisse autant de succès en Amérique du Nord, en Amérique du Sud et en Europe et qu’elle ne soit pas performante en Chine.
Stellantis gère 14 marques. Allez-vous en supprimer?
On va donner sa chance à chacune d’entre elles. Elles sont porteuses d’une histoire et d’émotions pour nos clients. Il est intéressant de noter que, dans l’histoire de l’industrie automobile, elles ont souvent survécu à différents propriétaires. J’ai garanti à leurs patrons qu’ils auront le financement pour développer leur marque durant les dix prochaines années. Mais il n’y a pas de situation statique ni protégée à l’infini.
Est-ce le cas aussi du côté de l’emploi? Stellantis compte environ 300 000 personnes…
La question de fond, c’est celle de la liberté individuelle de mouvement. La société d’aujourd’hui, celle du XXIe siècle, veut-elle la promouvoir et la protéger ? Ou ferons-nous collectivement le choix de la liberté de mouvement, mais en transports publics ? L’avenir de l’emploi dans notre industrie dépend directement de ces choix de mode de vie qui seront faits dans nos sociétés. Si c’est la deuxième solution qui prévaut, Stellantis devra changer d’activité, s’adapter. Pourquoi ne pas fabriquer du matériel médical, par exemple ?
Compte tenu des enjeux écologiques, la voiture n’est-elle pas condamnée à disparaître en Europe?
Personne ne conteste l’urgence de transformer l’industrie et de l’orienter vers des objets de mobilité totalement propres. Contrairement aux idées reçues, les lobbys anti-automobile sont beaucoup plus puissants que ceux en faveur de l’automobile. D’ailleurs, l’automobile et l’écologie ne sont pas antagonistes. Mais certains écologistes sont en retard aujourd’hui. Ils vous diront qu’il faut faire du zéro émission de CO2 du « réservoir à la roue ». Or il faut regarder l’analyse du cycle de vie de manière plus large, l’empreinte carbone complète, de l’extraction des matières premières à la fabrication et au recyclage de toutes les pièces de la voiture, y compris la batterie. Le déplacement en lui-même nécessite de l’énergie. La question est de savoir comment vous produisez l’énergie et l’objet qui vous permet d’être mobile avec des points de recharge suffisants. Mais aujourd’hui les citoyens européens ne posent pas aux politiques cette question essentielle : « Laissez-vous un boulevard aux lobbys anti-automobile ou voulez-vous promouvoir la protection de votre liberté de mouvement avec des objets qui, d’un point de vue envi
« Je ne voterai pas pour des politiques qui ne protégeraient pas ma liberté de mouvement individuelle. »
Peugeot
un espace de respiration, que ce soit pour se ■ déplacer, pour entreprendre, pour débattre, prendre une décision et l’exécuter. On ne peut pas piloter un pays ni une entreprise uniquement avec des émotions. Bien qu’elles soient nobles, elles empêchent de regarder le fond des choses et d’anticiper des phénomènes plus complexes.
Les constructeurs traditionnels sont concurrencés par Tesla et les géants du numérique qui lorgnent le secteur. Comment résister?
Tesla est un concurrent de Stellantis et nous stimule pour nous transformer plus vite. En 2020, PSA était le leader de la réduction des émissions de CO2 sur le marché européen. Cette année, nous avons une trentaine de modèles de véhicules électriques disponibles qui représentent 14 % de nos ventes. L’électrique représentera 38 % de nos ventes en Europe d’ici à 2025 et 70 % en 2030. Quant aux géants du high-tech, ils mesurent la complexité de l’industrie automobile, qui doit mettre en oeuvre des innovations technologiques nécessitant beaucoup de capitaux pour une rentabilité faible, à un chiffre. Le bon sens pour eux revient à nouer des partenariats stratégiques avec les constructeurs. Nous travaillons ainsi avec Waymo, de Google, sur les véhicules autonomes.
Quelles méthodes de management appliquezvous?
Je suis un manageur soucieux d’adapter son entreprise et son business modèle à un monde qui évolue très vite en matière de mobilité tout en préservant la performance du court et moyen terme et en préparant le long terme, c’est-à-dire au-delà de 2025. Il y a des livres de management qui m’inspirent. Ceux de Jim Collins, tels que Good to Great, qui demeure d’une rare actualité, ou ceux relatant comment Alan Mulally a redressé Ford… Tout ce qui concerne l’innovation et les modèles d’affaires disruptifs m’intéresse.
Vous aimez répéter que vous êtes un «psychopathe de la performance». Que faut-il entendrepar là?
La pérennité d’une entreprise repose entièrement sur la performance, qui n’est pas que financière, mais aussi environnementale ou managériale. La première obligation d’un dirigeant, c’est d’obtenir des résultats qui protègent l’entreprise dans sa globalité, avec l’emploi qui est la conséquence du travail bien fait. Pour y parvenir, il ne faut surtout pas faire de politique. Il faut travailler en équipe et mettre une entreprise en ordre de marche pour affronter les situations darwiniennes.
Vous ne fréquentez pas le forum de Davos. C’est rare pour un grand patron.
1er Toyota 2e Volkswagen
3e Renault-NissanMitsubishi 7,7 4e General Motors 6,8 5e Hyundai-Kia
6,3
6e Stellantis* 5,9
7e Honda
4,4 9,3
général délégué. Ancien de TF1,
(55 ans, IAE Paris) est quant à lui directeur général adjoint.
(48 ans, Sciences Po et DESS à Paris I) dirige les ressources humaines et (46 ans, DEA d’histoire et DEA de sciences politiques) la communication et le marketing. (48 ans, ESC et MBA de l’université de New York à Buffalo) est directrice de l’organisation client. (52 ans, Neoma) est le directeur financier. (54 ans, Celsa et Sciences Po Bordeaux) est responsable d’Ipsos UU, l’entité spécialisée dans les études qualitatives, et (49 ans, IAE d’Aix-en-Provence) dirige l’innovation et les stratégies marketing. Enfin, (44 ans, ESTP) est le directeur des activités « customer experience » et des opérations France
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Hélène de Viviés Jacques Deregnaucourt Anne Gresser Anne-France Allali
Frédéric Corbay Valérie-Anne Paglia
Olivier Lagrand Thierry Lalande