Le Point

Dans un homme prend la place d’un porc voué à l’abattoir pour dénoncer le sort fait aux animaux. Un thriller pour trembler mais aussi rire et, surtout, réfléchir.

Rien qu’une bête,

- PAR CHRISTOPHE ONO-DIT-BIOT

C’est un conte mais c’est du sérieux, c’est une tragédie aux airs de farce, sans mauvais jeu de mots. Ça aurait pu : il est question de cochons. Mais vus à hauteur d’hommes. Un homme, en l’occurrence. Il s’appelle Charles Aubignan, il a 70 ans. Il est écrivain, et Laura en est fan. Une beauté, Laura, et le coeur sur la main, avec ça : elle est animaliste. Comme Charles, qui en pince pour la cause mais tout autant pour la fille, rencontrée à une manif contre les abattoirs. Hélas, Laura appartient à Patrick, « végane à cent pour cent ». Ce qui n’empêche pas Charles de s’offrir à Laura « corps et âme », mais pas comme on s’y attendait. Comme un cochon à sa nourrisseu­se, plutôt. C’est pour la bonne cause: montrer aux viandards quelles souffrance­s endurent les animaux avant l’abattage, en frappant « un grand coup ». Le grand coup en question est un grand… remplaceme­nt : Charles va se mettre à la place d’un cochon dans sa porcherie. Et subir ce qu’on leur fait subir. Pendant ce sacrifice volontaire, il sera filmé par Laura et Patrick et tiendra le journal de bord de sa métamorpho­se. Les lettres porcines ! Une fois ces images et ces mots sous le nez, les humains ne pourront que rougir de leur barbarie, et agir enfin pour que cesse le scandale. Voilà donc Charles tout heureux dans la camionnett­e de Laura, en route vers le lieu provençal de son martyre avec la somme demandée pour subvenir aux frais de l’opération (120 000 euros, vraiment ?). Et ne comprenant pas, du coup, pourquoi celle-ci, tout en l’embrassant, se dit obligée de le ligoter. Ni pourquoi, une fois dans la ferme où le couple a élu domicile, Patrick l’appelle « Gros-cul », et Laura, « Ducon ». Ce n’est pas très aimable, et le contrat ne stipulait pas ça. Pas plus que Charles devrait subir un « bistournag­e » (on vous laisse chercher la définition). Quant aux gestes d’amour de Laura, ils se limitent à quelques caresses intimes trop brèves pour installer durablemen­t le plaisir. De toute façon, quand on est bistourné… Charles aurait-il péché par naïveté ?

Il y a du Stephen King dans le nouveau roman de Franz-Olivier Giesbert : on pense à Misery, où un écrivain se retrouve claquemuré chez une lectrice de plus en plus angoissant­e. Charles pourra-t-il échapper à ces geôliers du camp du bien ? Avec, en prime, des dialogues gouleyants, une expertise fermière incontesta­ble (jeunesse normande oblige) et un alliage de sadisme et d’empathie qui vous prend à la gorge tout en vous secouant de rire aux aventures hénaurmes du malheureux Charles, généreux mais ballot, condamné volontaire à faire sous lui dans un box trop étroit, à endurer les piqûres de Végachol, « un produit sensationn­el qui crée une sensation d’insatiabil­ité chez les bêtes d’élevage », et donc à bouffer comme un cochon. Ou plutôt comme une oie, car Charles, de surcroît, est gavé : « J’ai senti la mouture couler en moi comme un petit Jésus en culotte de velours. En tournant la manivelle, Patrick m’emplissait d’onctuosité, d’enchanteme­nt. » Au début, du moins, car le message de cette fable à haute teneur pédagogiqu­e est clair : derrière la persillade de jambon, une hécatombe aux monstrueus­es coulisses. Il suffirait de vivre ce que vivent les animaux pour en prendre conscience et en finir avec cette boucherie. Mais Giesbert, trop espiègle pour se contenter d’un simple plaidoyer pour la cause animale, même si celle-ci lui est chère – les lecteurs du Point le savent – se paie aussi le plaisir de montrer sans fard les travers (de porc !) des ayatollahs de la cause s’ils se mettaient à haïr les humains au nom de la dignité des animaux. Prophétiqu­e ? Qui vivra verrat !

Rien qu’une bête, de Franz-Olivier Giesbert

(Albin Michel, 368 p., 19,90 €).

EXTRAIT

« Vous comptez me manger pour de vrai ? » Tout en me caressant le visage, Laura a soupiré, les yeux rêveurs, les narines frémissant­es, comme si elle était sous l’emprise d’un fumet lointain : « J’adorerais faire honneur à tes meilleurs morceaux. » Franz-Olivier Giesbert, « Rien qu’une bête »

États-Unis au milieu des années trente mais ne sut jamais ce qu’il était advenu de sa famille, dont il chercha en vain la trace après-guerre. « S’il n’y a pas eu d’Holocauste, où est ma mère ? » assène Wilder à un négationni­ste dans une page terrible du roman. Le romancier anglais interroge la source intime de la comédie à la Wilder. Et si l’humour le plus puissant jaillissai­t d’un tragique éprouvé et refusé? Par les temps qui courent, chaque cinéphile est orphelin des salles obscures. Avec ce roman au charme merveilleu­sement doux-amer, Jonathan Coe nous offre de quoi patienter – un peu

Billy Wilder et moi, de Jonathan Coe. Traduit de l’anglais par Marguerite Capelle (Gallimard, 304 p., 22 €).

EXTRAIT

« Quand on a vécu une chose pareille, on la porte en soi, tu vois ce que je veux dire ? La tragédie devient une partie intégrante de toi. Elle est là, pas la peine d’en faire des tonnes, d’étaler toute son horreur à l’écran en permanence. »

« Billy Wilder et moi », Jonathan Coe

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« Fedora » (1978), avec l’actrice Marthe Keller (ci-dessus), fut l’avant-dernier film de Billy Wilder. Jonathan Coe (ci-dessous) en a fait le terrain de jeu de son dernier roman.
Contrecham­p. « Fedora » (1978), avec l’actrice Marthe Keller (ci-dessus), fut l’avant-dernier film de Billy Wilder. Jonathan Coe (ci-dessous) en a fait le terrain de jeu de son dernier roman.

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