Le Point

Qui est Sally Rooney, 30 ans, nouvelle reine des lettres irlandaise­s, qui a déjà vendu plus d’un million d’exemplaire­s de son nouveau livre, « Normal People » ?

- PAR VICTORIA GAIRIN

C’est ce qu’on appelle un phénomène. Alors que Normal People, vendu à plus d’un million d’exemplaire­s à travers le monde, lauréat du British Book Award, nommé au prestigieu­x Man Booker Prize, cité parmi la fameuse sélection des best-sellers du New York Times, paraît aujourd’hui en France, popularisé par son adaptation en série (sous le même titre), son autrice, Sally Rooney, est, elle, promue au rang de « première grande romancière milléniale », souvent qualifiée par la presse anglo-saxonne de « Jane Austen du précariat » ou de « J. D. Salinger de la génération Snapchat »… Rien que ça !

À seulement 30 ans, la jeune Irlandaise, repérée par les éditeurs pendant ses études en littératur­e américaine au Trinity College de Dublin, est déjà l’autrice de deux best-sellers, dont les couverture­s acidulées trônent fièrement l’une à côté de l’autre dans les librairies. Comme au temps de Harry Potter, certaines enseignes en Angleterre ont même été contrainte­s d’afficher que le livre était enfin de retour dans les rayons après une rupture de stock. Les éditeurs se battent pour l’éditer, les lecteurs se l’arrachent : peu commun pour une jeune diplômée qui pourtant ne clame qu’une seule chose, sa normalité. Poursuivan­t le minutieux travail de cartograph­ie des relations amoureuses entamé avec Conversati­ons entre amis (2019), Sally Rooney transforme l’essai avec Normal People, grande épopée sentimenta­le des années 2010. On y suit, mois après mois, pendant quatre ans, la love story en dents de scie d’un jeune couple irlandais, des années lycée aux couloirs de la fac. Connell est pauvre, beau, populaire; Marianne, elle, est riche, mais seule, maltraitée par sa famille comme par ses camarades de lycée. Un rapport de domination invisible s’installe entre les amants, qui ne va cesser d’osciller, de s’inverser. En formidable conteuse, Sally Rooney redessine à sa façon la carte de Tendre post-#MeToo, étudiant avec finesse et acuité l’impact de notre société sur les relations amoureuses : les failles de la masculinit­é, les attentes d’une société patriarcal­e fissurée, la complexité de la sexualité, la difficulté d’être soi, conscient de ses fragilités, et d’évoluer en couple…

Nouveau langage. Non, les SMS, Snapchat et les e-mails n’ont pas tué les histoires d’amour. C’est même tout le contraire, soutient Rooney, battant en brèche les idées reçues sur sa génération. « Internet nous a fourni un nouveau langage et a véritablem­ent ancré l’écrit dans nos vies, confiait-elle il y a quelques mois aux médias anglais. Or le fait que les relations évoluent à nouveau majoritair­ement à l’écrit, pour un écrivain, c’est un formidable terrain de jeu. » La sortie du livre était d’autant plus attendue qu’elle fait suite à la diffusion, sur la plateforme Starzplay et plus récemment sur MyCanal, d’une adaptation télévisée particuliè­rement réussie, produite par la BBC et en partie scénarisée par l’autrice, avec les débutants – mais excellents – Daisy EdgarJones et Paul Mescal. Récemment annoncée par BBC Three, la transposit­ion sur petit écran de Conversati­ons entre amis devrait se faire, quant à elle, sans la romancière, déjà très occupée par la parution de son troisième opus, prévue en septembre prochain outre-Manche et outre-Atlantique. Beautiful World, Where Are You, peut-on lire sur le site de Faber & Faber, raconte la vie de quatre amis dans le Dublin d’aujourd’hui, traversés par la crainte de l’effondreme­nt. Surtout, ne pas se fier à la banalité apparente du propos : les milléniaux sont d’ores et déjà dans les starting-blocks

Normal People, de Sally Rooney, traduit de l’anglais (Irlande) par Stéphane Roques (Éditions de l’Olivier, 320 p., 22 €).

Fnac/Le Point du 26 au 29 avril 2021 (17e semaine)

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Arzalluz, au destin singulière­ment empêché, compte les jours : le public, qui avait fait un triomphe à son exposition – 40 000 visiteurs en un mois –, aura-t-il seulement le temps, lorsque les musées rouvriront, le 19 mai, de venir découvrir ces sublimes pantalons pailletés, ces robes de crêpe ou de mousseline de soie ? Car certains vêtements, prêtés par des collection­neurs privés, devront retourner un jour ou l’autre à Sydney, au Chili, aux États-Unis… « C’est d’autant plus frustrant qu’il n’y avait jamais eu de rétrospect­ive Gabrielle Chanel à Paris », soupire Miren en montrant un portrait de la jeune Coco, féminine, détendue, souriante, si loin du petit visage pincé et peu amène qu’elle a souvent sur les photos. C’est d’ailleurs tout le propos de l’exposition : s’extraire des clichés biographiq­ues et des pièces iconiques – petite robe noire et collier de perles – pour montrer l’oeuvre, enfin, dans son ensemble, beaucoup plus variée, riche, évolutive que ce que l’on en retient d’ordinaire. Et c’est aussi à ce genre de déconstruc­tion que Miren Arzalluz s’est consacrée durant ses huit années à la tête de la Fondation Balenciaga, nuançant le mythe du supposé misanthrop­e, élargissan­t la focale et

démontrant que, avant son arrivée à Paris, l’Espagnol Cristobal Balenciaga fut pendant vingt ans, à San Sebastian, le couturier phare d’un Pays basque alors prisé des stars. « Miren défend une nouvelle méthodolog­ie de l’histoire de la mode, estime Émilie Hammen, enseignant­e à l’Institut français de la mode. Elle contextual­ise le travail des couturiers, montre que leur oeuvre est aussi le produit d’une époque, d’un cadre politique, d’un territoire. Longtemps, ce sont les maisons de couture elles-mêmes qui ont produit leur propre histoire, leur propre mythologie, aussi. Miren, avec d’autres, défend un regard scientifiq­ue, une approche d’historien. »

Robe Seins obus. Sa nomination en 2018 à la tête de Galliera, en même temps que celle de l’Anglais Simon Baker à la direction de la Maison européenne de la photograph­ie, a surpris, et réjoui: il est si rare que le destin de musées français soit confié à des étrangers… Alors que de nombreux pays recrutent largement hors de leurs frontières les dirigeants de leurs institutio­ns culturelle­s, et notamment des Français (citons Sylvie Patry, ancienne d’Orsay, à la tête de la Fondation Barnes, à Philadelph­ie, Sylvain Bellenger à celle du musée Capodimont­e, à Naples, ou

Clément Chéroux, ancien de Beaubourg, conservate­ur du départemen­t photo du MoMA de San Francisco), la France, avec ses pesanteurs administra­tives et politiques ou ses salaires jusqu’à dix fois inférieurs à ceux pratiqués aux États-Unis, par exemple, peine à attirer les talents de l’étranger. « Miren n’est pas passée par le concours de l’Institut national du patrimoine, mais s’intéresser au

CV des gens, à leurs publicatio­ns, à leurs réalisatio­ns, c’est une autre forme de recrutemen­t qui apporte un peu d’air dans ce circuit assez fermé», souligne Émilie Hammen.

À l’époque où elle se porte candidate, Miren, directrice de l’Institut culturel basque, peut se prévaloir de son travail à la Fondation Balenciaga ainsi que des grandes exposition­s qu’elle a déjà conçues un peu partout en Europe, mais elle n’imagine pas que Paris lui donnera sa chance… « Quand j’ai appris ma nomination, j’ai dû prendre des cours accélérés de perfection­nement en français », dit-elle en riant. Benjamine d’une fratrie de trois enfants, elle est née en même temps que la démocratie espagnole – 1978 – et a grandi à Bilbao, dans un Pays basque ensanglant­é

On ne dira jamais assez combien, sur les rives du Nil, la piqûre des moustiques est cuisante. Parcourant le territoire au Ve siècle avant notre ère, le grand historien et géographe Hérodote remarque que les pêcheurs utilisent la nuit leurs filets d’une manière inventive : « Ils enveloppen­t le lit dans lequel ils couchent à l’intérieur de ce filet, avant de se glisser dessous pour dormir. (…) Et les moustiques ne font pas la moindre tentative pour piquer à travers le filet. » La moustiquai­re était née. C’est l’une des cent mille choses que l’on apprend dans le volume troussé par quatre mousquetai­res du savoir antique (Sydney H. Aufrère, Pascal Charvet, Jean-Marie Kowalski, Arnaud Zucker) en l’honneur de quatre autres mousquetai­res, de l’Antiquité cette fois : Hérodote, Diodore, Strabon et Chérémon. Ils ont tous écrit sur l’Égypte de leur temps, soit parce qu’ils l’avaient explorée en étrangers, soit parce qu’ils y étaient nés. Les récits de ce qu’ils y ont vu, pour la plupart retraduits dans ce Quartette d’Alexandrie, constituen­t un fascinant document sur la façon dont les Grecs et les Romains voyaient cette grande civilisati­on. Avec Hérodote, du côté de la pyramide du cruel Khéops, on apprend que les Égyptiens considérai­ent déjà le porc comme un animal impur. Avec Diodore, on revit le meurtre d’Osiris (dont Isis ne retrouva jamais le sexe) et on chasse momies et crocodiles. Avec Strabon, on s’initie auprès de la « société des prêtres » d’Héliopolis, « experts en astronomie et phénomènes célestes », et l’on comprend mieux pourquoi la Grèce, pourtant assez sûre d’elle-même, voulut voir dans l’Égypte son premier modèle. Platon ne disait-il pas qu’à côté des Égyptiens les Grecs étaient de « perpétuels enfants » ? On vogue avec un plaisir fou sur ce Nil de connaissan­ces jusqu’au trésor (inventé par nos mousquetai­res) que constitue Le Livre de Phtomyris, chef-d’oeuvre inconnu du philosophe égypto-grec Chérémon qui nous livrerait, de l’intérieur cette fois, les secrets de la « Terre des dieux ». L’antique bibliothèq­ue d’Alexandrie n’est plus ? Ce Quartette d’Alexandrie, aujourd’hui, la ressuscite

Le Quartette d’Alexandrie, dirigé par Pascal Charvet (Bouquins, 1 120 p., 33 €).

Sympa mais timbré cet Allie Fox, idéaliste forcené et inventeur de génie capable de transforme­r le feu en glace. Poursuivi par les agents de la NSA, il décide de fuir les États-Unis avec femme et enfants pour suivre son rêve au Mexique. Évidemment, le parcours est semé d’embûches, mais ce MacGyver de la débrouille se sort toujours des situations les plus périlleuse­s. On se souvient de Mosquito Coast, sombre fable utopiste du cinéaste Peter Weir (Le Cercle des poètes disparus) portée sur ses larges épaules par Harrison Ford. Rien à voir avec cette série en sept épisodes incarnée par Justin Theroux, neveu de Paul Theroux, l’auteur du best-seller éponyme. On n’est plus sur une île du Honduras, mais au Mexique, où les cartels de la drogue font la loi. Autant dire que notre héros va entraîner sa femme (Melissa George) et ses deux enfants (Logan Polish et Gabriel Bateman) dans une belle série de galères. Une histoire de famille mouvementé­e, donc, au fil de laquelle Allie Fox ne perd jamais son sang-froid, sa bonne humeur ni son côté bon père un brin égoïste qui met les siens en danger. Tout ça pour leur offrir un nouveau départ. Argument imparable au pays de la seconde chance. De quoi le suivre dans cette aventure qui n’a rien à voir avec l’original, mais ne donne pas la migraine

The Mosquito Coast, Apple TV +, chaque vendredi.

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Connell et Marianne, une « love story » de Sally Rooney (à dr.) transposée en série télévisée.
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Adaptation.
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