Le cas Harvey Weinstein
Annulation de l’une des condamnations de l’ancien producteur : retour de bâton ou retour à la normale ?
Le séisme, la claque, l’écoeurement. Jeudi 25 avril, la plus haute cour de l’État de New York annulait la condamnation de Harvey Weinstein à vingt-trois ans de prison pour viol et agression sexuelle. Une décision justifiée par les « graves erreurs » de procédure commises par le juge en 2020.
Ce verdict avait été confirmé en appel en 2022, mais le producteur avait déposé un recours devant la plus haute cour de l’État de New York. Par quatre voix (trois femmes et un homme) contre trois (une femme et deux hommes), les magistrats ont donc annulé la sentence, dans l’attente peut-être d’un nouveau procès, comme le consigne la juge Jenny Rivera dans la décision de la majorité. Le producteur déchu, et initiateur à son corps défendant du mouvement #MeToo, restera cependant en prison, puisqu’il purge par ailleurs une peine de seize ans d’emprisonnement décidée dans un autre procès en Californie en 2023.
Quelles sont donc ces « graves erreurs » de procédure qui lui ont relativement sauvé la mise ? Le fait qu’il était formellement inculpé pour des agressions commises sur deux femmes, mais que le juge Burke avait autorisé les procureurs à présenter des témoignages de trois autres accusatrices sur des faits prescrits, pour lesquels Weinstein n’était dès lors pas inculpé. Par exemple, ceux dénoncés par l’actrice des Soprano, Annabella Sciorra, qui déclarera à la barre avoir été violée par Weinstein en 1993. En règle générale, de tels témoignages sont interdits en vertu d’un principe essentiel, celui de la personnalité des peines obligeant la justice à rester indépendante aussi bien du pouvoir politique que de celui d’une prétendue opinion publique. En d’autres termes, le fait qu’un prévenu doit être jugé pour ses crimes et ses crimes seuls, au terme d’une procédure contradictoire et impartiale, et non parce que ses actes participeraient, au hasard, d’un «système d’oppression» organisé par les hommes contre les femmes. Soit le symbole que l’affaire Weinstein a, évidemment, vite endossé, tant le tribunal médiatique avait rendu son verdict largement en amont de la justice.
Pour rogner sur ce principe, l’État de New York disposait d’une vieille exception, la règle Molineux, datant de 1901 et permettant au jury d’assister au récit d’«actes répréhensibles antérieurs» susceptibles de prouver un mode opératoire, un système de prédation. Reste que, dans sa décision, la majorité aura estimé que l’accusation n’avait pas prouvé que les témoignages avaient « un lien direct avec un aspect matériel » du dossier. Et qu’entendre d’autres femmes que les plaignantes dénoncer Harvey Weinstein comme agresseur avait produit une influence « préjudiciable » sur le jury.
Pour beaucoup, cette annulation traduit un « retour de bâton », un backlash, comme le veut la formule devenue courante avec l’essai éponyme de Susan Faludi, publié en 1991. Selon l’autrice, les avancées féministes réalisées depuis les années 1950 viendraient se heurter à une réaction conservatrice, alimentée par une panique morale et médiatique, visant tout simplement à les effacer. Un cas d’école de retour en arrière et de balancier.
Sauf qu’un bâton, une manivelle ou un boomerang ne nous revient pas en pleine face si, dès le départ, on a su bien doser son geste. Car ce que « symbolise » l’annulation de la condamnation de Harvey Weinstein, c’est bien la question de la bonne direction qu’aurait dû prendre un mouvement comme #MeToo pour ne pas se retrouver si vite le bec dans l’eau : la défense de l’État de droit, et d’une civilisation relativement pacifiée que ce dernier nous aura permis de construire. Pas le piétinement de ses principes les plus élémentaires sous couvert d’une « juste cause ».
Il n’aurait ainsi pas fallu oublier comment et pourquoi nous en sommes venus à régler nos conflits par le biais d’un système judiciaire structuré autour de l’indépendance et de la logique factuelle, et non en nous en remettant à la vindicte populaire carburant à l’émotion de celui ou de celle qui crie ou émeut le plus fort