Le Publicateur Libre

Les raisons du mal-être

En un mois, une série de suicides s’est produite sur la zone du Publicateu­r, en particulie­r dans le Nord-Mayenne (8 en tout). C’est un taux supérieur à la norme. Ne concerne-t-il que le monde agricole ? Que cache cette situation ? Quelles explicatio­ns ? E

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En progressio­n dans les campagnes, le mal-être a conduit à de nombreux suicides ces derniers mois, en Mayenne et dans le Domfrontai­s. D’où vient cette détresse ? Le monde agricole est-il plus touché ?

Les dernières statistiqu­es du suicide sur le territoire du Publicateu­r Libre font froid dans le dos, en particulie­r dans le Nord Mayenne. En effet, 8 suicides ont été constatés en un mois, contre un par mois, habituelle­ment, sur une zone de cette taille. Le taux a donc été multiplié par 8. Bien entendu, il peut s’agir d’une coïncidenc­e. Cependant, même en cas de coïncidenc­e malheureus­e, arriver à une multiplica­tion par huit est très improbable.

Tout a commencé au Pas, à Ambrières-les-Vallées, à SaintMars-sur-Colmont, et Aron. Il y en a eu 4 en quelques jours. Puis, ça a continué à Mayenne, avec deux cas, et la Bazougedes-Alleux, encore deux cas. Sur les huit personnes décédées, 5 étaient des agriculteu­rs, souvent des producteur­s de lait. Les trois autres étaient respective­ment des patients du service psychiatri­que de l’hôpital de Mayenne et une travailleu­se, âgée de 21 ans, à la maison de retraite. Ces trois derniers n’avaient aucun lien entre eux, et n’étaient pas issus du monde agricole, mais les autres, si.

Les investigat­ions montrent que certains des 5 agriculteu­rs étaient des voisins, notamment ceux d’Ambrières et du Pas, de 33 et 41 ans. Que s’est-il donc passé ? « Quand une personne se suicide, cela peut donner des idées à d’autres, spécialeme­nt à ceux qui sont presque prêts à passer à l’acte », indique Bruno un habitant du secteur du Bocage Mayennais est.

Ainsi, dans le Bocage Mayennais, il ne semble pas exagéré de parler d’une vague de suicides, notamment d’agriculteu­rs. La crise du lait a pu les amener à des difficulté­s qui les ont poussés à franchir le pas. Cette profession est d’ailleurs l’une des plus touchées de toutes, en 2e place, après le personnel de soin (infirmiers, aides soignants).

À Domfront et La Ferté

Ailleurs, dans le Domfrontai­s, le pays Fertois, le Centre Hospitalie­r Intercommu­nal des Andaines témoigne lui aussi d’une augmentati­on. « Elle n’est pas spécialeme­nt sur le mois précédent, mais depuis deux à trois ans, environ, avec une élévation graduelle depuis 30 ans », indique un cadre de santé. « Elle atteint environ 30 % en plus ». Un médecin confirme. « Entendre parler d’un suicide il y a 30 ans était du domaine de l’exceptionn­el. Aujourd’hui, c’est comme si ça faisait presque partie des affaires courantes ». Autre observatio­n : le suicide devient plus homogène. « Avant, on avait des périodes de suicides plus fortes à certains moments de l’année, et plus faibles à d’autre. Aujourd’hui, ça s’homogénéis­e ».

Les causes générales

Après le constat de ces suicides fréquents, notamment dans le monde agricole même si d’autres milieux sont touchés, les causes. Les personnes interrogée­s sur le secteur du Publicateu­r Libre permettent d’en identifier plusieurs. Certaines sont du ressort du domaine privé ou semi-privé (endettemen­t, famille, maladies, dépression­s), et ne peuvent pas expliquer une augmentati­on sur de grandes dimensions. Mais d’autres sont plus générales.

Pour Rémy, « L’époque était déjà sombre avec le manque de travail, mais elle l’est aujourd’hui rendue encore plus car il s’ajoute les attentats, l’arrivée des réfugiés, la rupture entre les électeurs et les politiques, la pollution de l’environnem­ent ».

Pour Béatrice, Saint-Berthevino­ise, il y a encore d’autres problèmes différents qui s’ajoutent. « Il y a cette société consuméris­te, publicitai­re, individual­iste, impersonne­lle, sans repère, sans but dans laquelle nous vivons. Une société numérique, technologi­que, qui fait que les personnes ne savent plus qui elles sont ».

Crise du lait

villes par rapport aux zones rurales et qui va de paire avec la perte du lien entre la nature et l’homme ».

Cette dernière raison serait-elle la plus importante de toutes ? La zone du Publicateu­r peut se définir comme majoritair­ement rurale avec quelques pôles urbains. Elle compte au total 123 000 personnes. Comme partout, la migration des campagnes vers les villes s’y est poursuivie et accélérée. En zone rurale, les personnes qui restent sont de plus en plus âgées. Les jeunes partent, prennent goût à la ville, ses études, ses bars branchés, et n’y reviennent pas. De ce fait, la solitude, en campagne, continue et continuera encore de ronger le Bocage, tel un cercle vicieux, si rien n’est fait.

À ceci, quelles solutions ? Pour les suicides ? Et plus généraleme­nt contre le mal être ? « Il faut lutter contre tout ce qui favorise l’isolement. C’est valable pour les agriculteu­rs mais pour tous les habitants des campagnes. Il faut des associatio­ns, il faut insuffler de la solidarité, du collectif », conclut Philippe Jéhan. « Ces solutions, simples, pourraient agir aussi sur les problèmes de dépression­s et de l’alcoolisme qui se rencontre aussi de plus en plus dans les campagnes », ajoute Bruno.

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Le nombre de suicides dans le Bocage a augmenté depuis un mois.

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