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Un héros domfrontai­s

Passionné d’histoire locale, Bernard Desgrippes vient de consacrer un livre à Eugène Lelouvier. Un aventurier natif de Domfront dont la vie exceptionn­elle est digne d’un roman de Jules Verne… C’est d’ailleurs le petit-fils de l’écrivain qui signe la préfa

- Valentin BIRET

Passionné d’histoire locale, Bernard Desgrippes vient de consacrer un livre à Eugène Lelouvier (à gauche sur la photo). Un aventurier natif de Domfront à la vie exceptionn­elle, digne d’un roman de Jules Verne… dont le petit-fils signe la préface.

« Un petit bonhomme d’1,59m, d’une intelligen­ce supérieure, une mémoire prodigieus­e, parlant plusieurs langues et dialectes, une force de persuasion à toute épreuve »… Auteur d’un livre qui retrace la vie du Domfrontai­s Eugène Lelouvier, Bernard Desgrippes ne tarit pas d’éloge à l’égard d’un aventurier « exceptionn­el, au courage sans limite ».

Des étoiles plein les yeux à l’évocation de son héros, Bernard Desgrippes, Domfrontai­s lui aussi, vient de commettre un livre qui retrace la vie incroyable du non moins exceptionn­el Eugène Lelouvier. Un parcours d’aventurier qui vaut au livre, édité au Pays Bas-Normand, d’être préfacé par Jean Verne, arrièrepet­it-fils de Jules Verne. C’est dire s’il s’y connaît en matière d’aventurier­s !

Tout commence il y a trois ans, quand l’historien tombe sur une carte postale ancienne, dont il est collection­neur, envoyée de Domfront. Elle est signée de la poétesse Félicie Schalck de la Faverie. « Mon petit Pierre, je t’envoie le portrait du petit Domfrontai­s qui veut faire le tour du monde. Tu liras, dans le journal de Domfront, la lettre où il raconte son voyage. Cela est très amusant. Je t’embrasse ».

Trois ans d’un travail acharné

Il n’en faut pas moins pour piquer la curiosité du boulimique d’histoire locale qui se porte acquéreur de la carte postale, vendue aux enchères… Pour 222 €. Pendant trois ans, quotidienn­ement, Bernard Desgrippes se plonge dans l’histoire de l’aventurier

domfrontai­s, qui n’en finit plus de l’étonner. « J’ai pu retracer toute sa vie, depuis sa naissance à Domfront jusqu’à sa mort. J’ai voulu sauver sa mémoire de l’oubli : c’est un travail énorme, mais tellement enthousias­mant », résume l’auteur

L’incroyable Eugène Lelouvier. « Pendant ces trois années, Lelouvier a fait partie de la famille, il s’invitait à table. Dès que je lançais des pistes, j’étais inondé de messages, certaines personnes pouvaient m’envoyer plus de 100 e-mails ! ».

L’époque de tous les possibles

Une ferveur qui s’explique par le destin exceptionn­el d’un homme né en 1873, à une époque où tout semble possible. C’est le temps des grandes inventions, des expédition­s, des pionniers de l’aviation et des exposition­s universell­es.

« A 15 ans, Eugène Lelouvier obtient le concours de l’école des Arts et métiers d’Angers… Qu’il quitte trois semaines plus tard pour entrer dans la marine marchande » amorce l’auteur. Un caractère bien trempé qui lui guidera toute

sa vie. « En 1890, il fait naufrage dans la Manche, tombe à l’eau et s’accroche à un morceau de mât du voilier. C’était un hiver épouvantab­le, on installait des bars sur la Seine gelée, à Paris ! Eugène Lelouvier est récupéré le lendemain par des pêcheurs anglais, qui ne se déroutent pas et l’emmènent pêcher. Pendant ce temps, il est porté disparu. Il ne réapparaît­ra qu’un mois plus tard, alors que sa famille disait déjà des messes… ».

A 17 ans, le Domfrontai­s embarqué à bord du Brick Emma fait naufrage au large de la Martinique. Suite à une mutinerie, il devient, à 17 ans, capitaine du navire, sauve le bateau et l’équipage. Arrivé à Fort-de-France, Lelouvier abandonne la marine marchande et rentre en France pour intégrer l’infanterie

de marine. « A 19 ans, il va chercher un camarade blessé qu’il ramène sur ses épaules, sous le feu de l’ennemi. Cela lui vaut d’être décoré de la médaille Tonkin », rapporte Bernard Desgrippes dans son livre. « Seul problème : il se fait « piquer » sa copine par un officier : il mettra un tel bazar à son domicile qu’il se fera condamner à être bagnard ». Mais la forteresse d’Oléron puis celle de Fort-de-France n’auront pas raison de sa rage. « A son retour, il casse tellement la figure de l’officier qu’il le croit mort, et est condamné à trois mois de prison ».

Sa peine purgée, il s’engage dans la légion étrangère. A Oran, il est envoyé en première ligne contre Bouamama, qui avait lancé un djihad contre la France. Au bout d’un an, Eugène Lelouvier se révolte contre l’armée, passe en conseil de guerre et redevient bagnard - on dit alors « camisard » - à Biribi.

Le tour du monde

Malgré son livret militaire effroyable, le Domfrontai­s est employé aux magasins Félix Potin, où germe alors son idée de tour du monde à pied, qu’il amorcera en tant que journalist­e pour le quotidien La Patrie.

« Il donne des conférence­s, des concerts, chante

des extraits de la Traviata, joue La Marche des Turcs au piano… » énumère Bernard Desgrippes. Parti sans argent, le « petit bonhomme » d’1,59m est obligé de travailler « et partout où il passe, on veut le garder ».

A Varsovie, il participe à l’arrestatio­n d’un espion russe, ce qui lui vaut d’être attaqué par cinq bandits

l’année suivante, en Sibérie. « Il en tue deux, en blesse deux, et il est blessé lui-même au ventre. Le service des postes de Sibérie le recueiller­a, puis il sera soigné par une infirmière suisse, qui deviendra sa femme », rapporte l’auteur du livre. Eugène Lelouvier se marie le 10 mai 1903 « et le lendemain, il reprend son tour du monde, en Sibérie ». C’est là qu’il imagine la course Paris-Pékin, pour laquelle il fait des repérages dans le désert de

Gobi. Son trajet s’arrêtera en Mandchouri­e. « De Moscou à Irkoutsk, il marche sur les pas de Michel Strogoff (roman d’aventures de Jules Verne,

ndlr). Quand il devient capitaine à 17 ans, là encore c’est du Jules Verne, tout comme quand il crée sa course autour du monde », analyse l’auteur du livre.

Du Congo à New York

Six mois plus tard, Lelouvier part pour quatre ans au Congo au service de concession­naires d’ivoire et de caoutchouc. « En 1905, il apprend que deux missionnai­res du Saint-Esprit sont capturés, et part les délivrer. Il est touché par une flèche empoisonné­e, et transporté à Brazzavill­e pour être soigné ».

En 1906, l’aventurier domfrontai­s rentre en France, où il est employé comme mécanicien chez De Dion-Bouton. C’est là qu’il invente la course ParisPékin. Envoyé par le constructe­ur pour reconnaîtr­e le parcours, il est le premier à traverser le désert de Gobi sans assistance. Arrivé à Pékin, il est évincé de l’équipage auquel il était promis et, vexé, annonce la création d’une course encore plus grande : le tour du monde en voiture.

Il quitte alors De Dion-Bouton et rentre chez Warner comme mécanicien-pilote. Son projet de course autour du monde est tellement énorme que le New

York Times s’en empare et vient dénaturer le projet du Français qui décide alors de faire son propre tour du monde. Un échec qui se solde par un abandon au bout de huit jours.

Un génial inventeur

Il retourne en Russie avec sa femme, devient mécanicien, d’abord pour avions à Moscou, puis pour bateaux à Odessa, avant de monter un garage. La première guerre mondiale éclate, Lelouvier est mobilisé en France et construit des moteurs d’avions.

C’est là qu’il invente un système capable de sauver les pilotes d’avion dont le réservoir aurait été percé par des balles. Il dépose un brevet et voit son système adopté par l’armée.

« Mais en 1918, alors qu’il procède à l’essai d’un moteur d’avion, celui-ci explose et Lelouvier reçoit un morceau d’hélice dans le visage. Il est défiguré et devient une « gueule cassée », rapporte Bernard Desgrippes. Démobilisé, l’aventurier revient à Paris et chercher à écrire ses mémoires, oeuvre qu’il ne terminera jamais.

Ce destin incroyable, le Domfrontai­s Bernard Desgrippes a pris un plaisir non dissimulé à le retranscri­re dans son livre. « Pas besoin d’en rajouter ni de romancer, sa vie était tellement extraordin­aire ! » De quoi douter de la véracité des faits ? « J’ai tout recoupé, vérifié, décortiqué : tout est vrai. Lelouvier s’est trompé une seule fois, quand il raconte que son « boy » est devenu officier : en réalité il est devenu fonctionna­ire. C’est la seule fois où je l’ai pris en défaut ». A travers L’incroyable Eugène Lelouvier, Bernard Desgrippes espère faire vivre encore longtemps la mémoire de cet aventurier domfrontai­s au grand coeur. Et pourquoi pas la raconter aux scolaires des établissem­ents locaux. « Ses valeurs, sa culture, sa persévéran­ce : c’est un exemple pour nous tous ».

Préfacé par Jean Verne La rage au ventre « Tout est vrai ! »

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L’auteur de « L’incroyable Eugène Lelouvier », Bernard Desgrippes.
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Le Domfrontai­s Eugène Lelouvier.

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