Michel Boittin, père de la SERAP
Avec Paul Champs (pétrolier), Michel Boittin est l’un des grands entrepreneurs du Bocage mayennais. En 40 ans, il a su, avec ses salariés, faire croître le groupe Serap, jusqu’à ce qu’il devienne la grande entreprise qu’elle est aujourd’hui. Rencontre.
« Quand j’étais jeune, il y avait beaucoup d’enfants à la
campagne », se souvient Michel Boittin. Pour la plupart, des fils et filles d’agriculteurs. Si beaucoup se destinaient à renouveler la vie de leurs parents, « nous étions une bonne quinzaine, à Saint Berthevin, à avoir envie d’autres choses ». Certains rêvaient de monter à Paris, ou d’être embauchés dans l’industrie. « C’était mon cas ! », reconnait-il. Exposant son projet à ses parents, Michel Boittin ne rencontrera pas de refus. « Mes parents avaient déjà eu trois enfants avant moi. Mes frères avaient donné leur accord pour reprendre la ferme. Du coup, ils m’ont dit, si tu veux faire des études, vas-y. Et nous pourrons aussi t’aider à payer. Une chance formidable ».
Commence alors un long parcours pour le Saint-Berthevinois. « A Nantes, je passe mon baccalauréat scientifique et technique. A Paris, en 1953, j’entame une formation d’ingénieur électromécanicien ». Et le service militaire, obligatoire à l’époque ? « Il y avait en ce temps-là possibilité de le faire après l’acquisition des
diplômes. Je l’ai saisie ».
Le projet de Michel Boittin prend forme, même si rien, en apparence, ne semble le rapprocher du futur directeur d’une entreprise produisant des cuves à lait réfrigérée. En 1956, il sort diplômé. A la fin de cette année-là, il a une révélation. « J’ai constaté que l’électromécanique ne m’intéressait que moyennement. Moi, ce que je voulais, c’était devenir frigoriste. Je percevais le changement, que la frigorisation alimentaire allait être une
révolution ». Ni une ni deux, Michel Boittin suit son instinct et entame donc une seconde formation, le faisant ingénieur frigoriste.
Et après ? Bon élève, bien diplômé, et dans une époque de Trente Glorieuses à forte croissance économique, plus rien ne semble pouvoir s’opposer à ce que Michel Boittin intègre ou fonde une entreprise dans un secteur d’activité précis. D’autant que le jeune homme est ambitieux et souhaite apporter sa pierre à l’édifice industriel français.
Sur le Paquebot France
Oui mais non : « il m’a fallu faire mon service militaire
avant ! ». Michel Boittin passera ainsi 3 ans dans l’armée.
Jusqu’en février 1960. « J’en ai gardé un bon souvenir. Nous avions des chefs compréhensifs qui connaissaient beaucoup la nature humaine. Auprès d’eux, j’ai appris à travailler en équipe ».
Peu de temps après, Michel Boittin sera embauché en mai 1960 en tant qu’ingénieur aux Chantiers de l’Atantique à SaintNazaire et Paris. Il sera affecté au projet de climatisation du Paquebot France, en tant qu’adjoint au directeur du département recherche et développement. Un poste prestigieux.
« Si le boulot était intéressant, la vie parisienne ou à Saint-Nazaire ne me plaisait pas », confie-t-il. « Je perdais trop de temps en transport. Le fait de penser à aménager mon emploi du temps en fonction des bouchons ne me convenait pat. La qualité de vie à la campagne me manquait ».
A l’écoute de la campagne
C’est alors qu’au même moment, dans les campagnes françaises, justement, se produit un changement. Elle concerne la production et la collecte de lait. Une dizaine d’entreprises apparaissent pour vendre une invention totalement révolutionnaire pour l’époque qui permet d’éviter les pertes : les refroidisseurs. La SERAP, crée à Pontmain, en 1963 par Marcel Badiche, puis transférée à Gorron en 1966, était l’une de ces jeunes sociétés.
En 1967, après plusieurs années de développement, la SERAP est au bord du dépôt de bilan. Michel Boittin en est informé, et, en décembre, il décide de rejoindre la société. « Aux chantiers de l’Atlantique, on m’a dit que j’étais fou de
changer », se souvient-il. L’ingénieur frigoriste sera embauché tout d’abord en tant que directeur technique. Pour aider au redressement de l’entreprise, il cherche des idées. « J’ai toujours voulu avoir un rayonnement international. J’ai alors récupéré toute la documentation mondiale en matière de refroidisseur de lait, notamment ceux de l’américain Mueller », qui, à l’époque avait dix ans d’avance. « J’ai dit à l’équipe : quand nous saurons faire ce qu’ils font, là, on pourra dire que nous sommes de vrais fabricants de refroidisseurs de lait ! ».
Si la SERAP va mal, elle maîtrise tout de même deux technologies différentes : l’inox et le plastique. Michel Boittin se sert de ces savoirs faire pour impulser une dynamique de renouvellement et de diversification des gammes de produits, pouvant aller jusqu’à des créneaux abandonnés depuis (comme les kayaks, au début des années 70). Les actions seront souvent couronnées de succès, années après années, ce qui permettra à la SERAP, non seulement de se redresser, mais encore de résister à deux périodes critiques principales, le premier choc pétrolier de 1974 et la mise en place des quotas laitiers en 1984.
En 1974, constatant qu’on ne pouvait aller dans deux directions technologiques très différentes en même temps, « j’ai décidé d’abandonner définitivement le plastique pour la conservation du lait ». En 1984, devant la chute des ventes des tanks à lait, « je n’avais pas eu le choix, j’ai été obligé de licencier ». Ces crises, tels deux goulets d’étranglements, ont entraîné une sélection des sociétés de refroidisseurs de lait. Seules ont survécu les meilleures, dont la Serap.
Depuis, l’entreprise est en
croissance continue. « Nous sommes actuellement deuxième mondial derrière Delaval ». La Serap dépasse donc aujourd’hui son modèle d’il y a 50 ans, Mueller.
En 2000, Michel Boittin a décidé de laisser la place à son fils, Eric Boittin, qui y sera embauché sans traitement de faveur. Le nouveau gérant continue l’oeuvre de son père, avec encore de nouvelles idées à succès, « dont la production de cuves haut de gamme destinée aux vins ».
Avec le recul, Michel Boittin estime que le rôle de l’armée, dans sa façon de gérer les hommes, et de les guider pour leur permettre d’accomplir une grande oeuvre collective a été l’un des éléments déterminants dans la façon qu’il a eue de gérer
la Serap. « Nous avons aussi un service d’étude interne (comme l’acronyme Serap le signifie) qui fonctionne en faisant se croiser les savoirs, les méthodes de travail et s’inspirant du modèle japonais, notamment. Cela crée une émulation favorable ». Par ailleurs, pour son entreprise, ses salariés, et pour lui-même, Michel Boittin a aussi souvent choisi la voie de l’originalité, nécessairement plus difficile de prime abord, mais peut être plus payante sur le long terme. « Je ne pense pas que je serais allé si loin si j’avais fait comme les autres de ma promo ».
La créativité des Français
De ses connaissances patiemment acquises et sélectionnées, Michel Boittin pense également
qu’en France, « si on n’a certes pas la capacité de travail de groupes des Japonais ou des Allemands, nos ingénieurs français, à l’instar de ceux du Nord de l’Italie, ont une créativité qui est exceptionnelle et qui est à faire valoir. Nous devrions aussi éviter de fonctionner en circuit fermé ».
S’épanouir dans son travail
Aujourd’hui, Michel Boittin, âgé de 83 ans, participe toujours à l’oeuvre de la Serap, de temps à autre. Mais il prend une retraite bien méritée, toujours dans sa maison de jeunesse, à SaintBerthevin-la-Tannière. Fidèle à ses convictions de toujours, il n’oublie pas que, pour que tous soient contents (salariés, fabricants, patrons, acheteurs) c’est que « l’homme doit trouver de l’épanouissement dans son travail ».
La chance des études Avec le recul