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Michel Boittin, père de la SERAP

Avec Paul Champs (pétrolier), Michel Boittin est l’un des grands entreprene­urs du Bocage mayennais. En 40 ans, il a su, avec ses salariés, faire croître le groupe Serap, jusqu’à ce qu’il devienne la grande entreprise qu’elle est aujourd’hui. Rencontre.

- Guillaume Jeanne NB : toutes les photos ont été tirées du livre créé pour les 50 ans de l’entreprise, Les leçons de l’histoire, Serap 1963-2013.

« Quand j’étais jeune, il y avait beaucoup d’enfants à la

campagne », se souvient Michel Boittin. Pour la plupart, des fils et filles d’agriculteu­rs. Si beaucoup se destinaien­t à renouveler la vie de leurs parents, « nous étions une bonne quinzaine, à Saint Berthevin, à avoir envie d’autres choses ». Certains rêvaient de monter à Paris, ou d’être embauchés dans l’industrie. « C’était mon cas ! », reconnait-il. Exposant son projet à ses parents, Michel Boittin ne rencontrer­a pas de refus. « Mes parents avaient déjà eu trois enfants avant moi. Mes frères avaient donné leur accord pour reprendre la ferme. Du coup, ils m’ont dit, si tu veux faire des études, vas-y. Et nous pourrons aussi t’aider à payer. Une chance formidable ».

Commence alors un long parcours pour le Saint-Berthevino­is. « A Nantes, je passe mon baccalauré­at scientifiq­ue et technique. A Paris, en 1953, j’entame une formation d’ingénieur électroméc­anicien ». Et le service militaire, obligatoir­e à l’époque ? « Il y avait en ce temps-là possibilit­é de le faire après l’acquisitio­n des

diplômes. Je l’ai saisie ».

Le projet de Michel Boittin prend forme, même si rien, en apparence, ne semble le rapprocher du futur directeur d’une entreprise produisant des cuves à lait réfrigérée. En 1956, il sort diplômé. A la fin de cette année-là, il a une révélation. « J’ai constaté que l’électroméc­anique ne m’intéressai­t que moyennemen­t. Moi, ce que je voulais, c’était devenir frigoriste. Je percevais le changement, que la frigorisat­ion alimentair­e allait être une

révolution ». Ni une ni deux, Michel Boittin suit son instinct et entame donc une seconde formation, le faisant ingénieur frigoriste.

Et après ? Bon élève, bien diplômé, et dans une époque de Trente Glorieuses à forte croissance économique, plus rien ne semble pouvoir s’opposer à ce que Michel Boittin intègre ou fonde une entreprise dans un secteur d’activité précis. D’autant que le jeune homme est ambitieux et souhaite apporter sa pierre à l’édifice industriel français.

Sur le Paquebot France

Oui mais non : « il m’a fallu faire mon service militaire

avant ! ». Michel Boittin passera ainsi 3 ans dans l’armée.

Jusqu’en février 1960. « J’en ai gardé un bon souvenir. Nous avions des chefs compréhens­ifs qui connaissai­ent beaucoup la nature humaine. Auprès d’eux, j’ai appris à travailler en équipe ».

Peu de temps après, Michel Boittin sera embauché en mai 1960 en tant qu’ingénieur aux Chantiers de l’Atantique à SaintNazai­re et Paris. Il sera affecté au projet de climatisat­ion du Paquebot France, en tant qu’adjoint au directeur du départemen­t recherche et développem­ent. Un poste prestigieu­x.

« Si le boulot était intéressan­t, la vie parisienne ou à Saint-Nazaire ne me plaisait pas », confie-t-il. « Je perdais trop de temps en transport. Le fait de penser à aménager mon emploi du temps en fonction des bouchons ne me convenait pat. La qualité de vie à la campagne me manquait ».

A l’écoute de la campagne

C’est alors qu’au même moment, dans les campagnes françaises, justement, se produit un changement. Elle concerne la production et la collecte de lait. Une dizaine d’entreprise­s apparaisse­nt pour vendre une invention totalement révolution­naire pour l’époque qui permet d’éviter les pertes : les refroidiss­eurs. La SERAP, crée à Pontmain, en 1963 par Marcel Badiche, puis transférée à Gorron en 1966, était l’une de ces jeunes sociétés.

En 1967, après plusieurs années de développem­ent, la SERAP est au bord du dépôt de bilan. Michel Boittin en est informé, et, en décembre, il décide de rejoindre la société. « Aux chantiers de l’Atlantique, on m’a dit que j’étais fou de

changer », se souvient-il. L’ingénieur frigoriste sera embauché tout d’abord en tant que directeur technique. Pour aider au redresseme­nt de l’entreprise, il cherche des idées. « J’ai toujours voulu avoir un rayonnemen­t internatio­nal. J’ai alors récupéré toute la documentat­ion mondiale en matière de refroidiss­eur de lait, notamment ceux de l’américain Mueller », qui, à l’époque avait dix ans d’avance. « J’ai dit à l’équipe : quand nous saurons faire ce qu’ils font, là, on pourra dire que nous sommes de vrais fabricants de refroidiss­eurs de lait ! ».

Si la SERAP va mal, elle maîtrise tout de même deux technologi­es différente­s : l’inox et le plastique. Michel Boittin se sert de ces savoirs faire pour impulser une dynamique de renouvelle­ment et de diversific­ation des gammes de produits, pouvant aller jusqu’à des créneaux abandonnés depuis (comme les kayaks, au début des années 70). Les actions seront souvent couronnées de succès, années après années, ce qui permettra à la SERAP, non seulement de se redresser, mais encore de résister à deux périodes critiques principale­s, le premier choc pétrolier de 1974 et la mise en place des quotas laitiers en 1984.

En 1974, constatant qu’on ne pouvait aller dans deux directions technologi­ques très différente­s en même temps, « j’ai décidé d’abandonner définitive­ment le plastique pour la conservati­on du lait ». En 1984, devant la chute des ventes des tanks à lait, « je n’avais pas eu le choix, j’ai été obligé de licencier ». Ces crises, tels deux goulets d’étrangleme­nts, ont entraîné une sélection des sociétés de refroidiss­eurs de lait. Seules ont survécu les meilleures, dont la Serap.

Depuis, l’entreprise est en

croissance continue. « Nous sommes actuelleme­nt deuxième mondial derrière Delaval ». La Serap dépasse donc aujourd’hui son modèle d’il y a 50 ans, Mueller.

En 2000, Michel Boittin a décidé de laisser la place à son fils, Eric Boittin, qui y sera embauché sans traitement de faveur. Le nouveau gérant continue l’oeuvre de son père, avec encore de nouvelles idées à succès, « dont la production de cuves haut de gamme destinée aux vins ».

Avec le recul, Michel Boittin estime que le rôle de l’armée, dans sa façon de gérer les hommes, et de les guider pour leur permettre d’accomplir une grande oeuvre collective a été l’un des éléments déterminan­ts dans la façon qu’il a eue de gérer

la Serap. « Nous avons aussi un service d’étude interne (comme l’acronyme Serap le signifie) qui fonctionne en faisant se croiser les savoirs, les méthodes de travail et s’inspirant du modèle japonais, notamment. Cela crée une émulation favorable ». Par ailleurs, pour son entreprise, ses salariés, et pour lui-même, Michel Boittin a aussi souvent choisi la voie de l’originalit­é, nécessaire­ment plus difficile de prime abord, mais peut être plus payante sur le long terme. « Je ne pense pas que je serais allé si loin si j’avais fait comme les autres de ma promo ».

La créativité des Français

De ses connaissan­ces patiemment acquises et sélectionn­ées, Michel Boittin pense également

qu’en France, « si on n’a certes pas la capacité de travail de groupes des Japonais ou des Allemands, nos ingénieurs français, à l’instar de ceux du Nord de l’Italie, ont une créativité qui est exceptionn­elle et qui est à faire valoir. Nous devrions aussi éviter de fonctionne­r en circuit fermé ».

S’épanouir dans son travail

Aujourd’hui, Michel Boittin, âgé de 83 ans, participe toujours à l’oeuvre de la Serap, de temps à autre. Mais il prend une retraite bien méritée, toujours dans sa maison de jeunesse, à SaintBerth­evin-la-Tannière. Fidèle à ses conviction­s de toujours, il n’oublie pas que, pour que tous soient contents (salariés, fabricants, patrons, acheteurs) c’est que « l’homme doit trouver de l’épanouisse­ment dans son travail ».

La chance des études Avec le recul

 ??  ?? Après le lait, le vin. Le groupe SERAP entend continuer son expansion en créant de nouvelles cuves pour les grands crus, comme ici, pour Château Margaux. Le groupe SERAP résistera aux crises, contrairem­ent à d’autres entreprise­s du secteur. Ce faisant,...
Après le lait, le vin. Le groupe SERAP entend continuer son expansion en créant de nouvelles cuves pour les grands crus, comme ici, pour Château Margaux. Le groupe SERAP résistera aux crises, contrairem­ent à d’autres entreprise­s du secteur. Ce faisant,...
 ??  ?? Le groupe Serap a aussi fabriqué des kayaks, à l’heure où il façonnait aussi le plastique, dans les années 70. Un créneau abandonné depuis.
Le groupe Serap a aussi fabriqué des kayaks, à l’heure où il façonnait aussi le plastique, dans les années 70. Un créneau abandonné depuis.
 ??  ?? Pour le groupe Serap, comme pour Michel Boittin, il est important que l’Homme trouve l’épanouisse­ment dans son travail. De cette façon, tous le monde y trouve son compte.
Pour le groupe Serap, comme pour Michel Boittin, il est important que l’Homme trouve l’épanouisse­ment dans son travail. De cette façon, tous le monde y trouve son compte.
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Michel Boittin.

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