26 000 pommiers sacrifiés
Propriétaire d’un verger de 38 hectares à Saint-Fraimbault, Yves Jeannin s’est vu refuser sa production de pommes. Sa coopérative lui a proposé d’arracher ses 26 000 arbres moyennant une indemnité de rupture de contrat. Il a accepté non sans regret.
Depuis trois semaines, Yves Jeannin assiste à l’arrachage de ses 26 000 pommiers basse-tige. Le chantier est impressionnant. La machine de l’entreprise forestière a commencé la destruction. Un à un, les arbres tombent. Les troncs s’amoncellent, à même le sol, en attendant d’être transformés en granulé pour alimenter la chaudière d’une entreprise spécialisée dans l’incinération des ordures ménagères. Le terrain mis à nu laisse place désormais à un paysage désolé à perte de vue.
De 11 à 38 ha de pommiers
Propriétaire du manoir de La Courteille, Yves Jeannin possédait 200 ruches avant de se mettre au service et à la disposition des pommes en 1985. « Apprenant que Pernot-Ricard allait créer Les Cidreries réunies et racheter toutes les cidreries à vendre, j’ai pris contact avec eux pour leur proposer de planter 11 ha de pommiers basse-tige », se souvient-il.
La première plantation est effectuée en février-mars 1986. Les autres plantations arriveront tous les deux ans, pendant 10 ans, jusqu’à obtenir 38 hectares. « Les rendements étaient de 25 à 30 tonnes/ hectare. J’en suis arrivé à 45 tonnes/hectare pour 26 000 pommiers basse-tige. L’objectif était de vivre de cette activité comme un producteur de lait vit du lait de ses vaches ».
En contrat avec Agrial
L’exploitant frambaldéen est en contrat avec les cidreries Distilleries réunies qui deviendront CSR puis CSR-Agrial. Il livre l’intégralité de sa production à la coopérative Agrial, leader français du cidre, auprès de laquelle il se fournit en intrants.
Son exploitation justifie 2 emplois à temps plein à l’année, plus 1 à 2 saisonniers à la récolte. Tout s’est bien passé, jusqu’au jour « où Agrial s’est aperçu que les cuves étaient pleines et que la consommation de cidre en France baissait de 2 % par an depuis des décennies, poursuit-il. Chaque PDG arrive tout feu, tout flamme pensant redresser la situation et repart avouant ne pas savoir vendre du cidre. En revanche, ils savent vendre du pommeau, du jus de pommes et de la compote de pommes. La Calvados subit la même chute que le cidre. Bien que la qualité du cidre et du calvados devienne exemplaire ».
Le couperet tombe. « Suite à la constatation des stocks, le conseil d’administration d’Agrial a décidé d’établir un quota par producteur et a proposé l’arrachage total pour ceux qui l’acceptent moyennant une indemnité de rupture de contrat qui varie d’un producteur à l’autre, en fonction des rendements, sur
« L’objectif était de vivre de cette activité »
une moyenne des 4 dernières années ».
« J’aurais préféré 1 ou 2 successeurs »
En février dernier, Yves Jeannin s’est donné un mois pour prendre sa décision. La mort dans l’âme, il s’est résolu à faire une campagne pour dire adieu à ses pommiers en octobre. « J’aurais préféré 1 ou 2 successeurs qui auraient pu vivre de leur travail, sachant qu’un pommier à cidre peut vivre au moins 50 ans. J’étais en discussion terminale entre une entreprise du Calvados et un futur exploitant qui ont abandonné lorsqu’ils ont appris que les cuves d’Agrial étaient pleines. Pourtant, l’année dernière, à l’assemblée générale, Agrial nous avait dit que tout allait bien et d’un seul coup rien ne va plus ».
De nouveaux défis
L’exploitant est anéanti. « J’étais dans l’état d’esprit d’un salarié arrivant sur le lieu de son travail et voyant le rideau baissé ».
Passé ce cap difficile, il vit aujourd’hui cette situation avec fatalisme « La vie est faite d’abandon. Il faut savoir partir », affirme-t-il, mais se dit prêt à relever de nouveaux défis. « La suite de mon histoire est à écrire. J’ai des projets mais pas de bagarres avec des hommes. Je suis profondément pacifique ». Telle est sa philosophie.