Le Réveil Normand (Orne)

Faut-il débaptiser le lycée Napoléon ?

Après la suppressio­n de la statue du général Lee à Dallas (USA), des personnali­tés françaises réclament que l’on débaptise les établissem­ents scolaires portant le nom de Colbert. Faut-il élargir la tendance à d’autres personnage­s ? A Napoléon par exemple

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Le déboulonna­ge de la statue du général confédéré Lee à Dallas semble avoir donné des idées à certains. Un collectif de personnali­tés en France s’attaque à Colbert en reprochant au contrôleur général des finances de Louis XIV d’avoir rédigé les ordonnance­s qui forment le Code noir (1685) et organisant l’esclavage dans les colonies. Une tâche sur le parcours d’un homme qui a rendu la France plus riche et plus puissante grâce au développem­ent des manufactur­es et de la marine.

Colbert n’était pas parfait et certains veulent le clouer au pilori. Si l’on décide de débaptiser les rues, écoles, lycées ou médiathèqu­es portant le nom d’un personnage n’ayant pas été irréprocha­ble, on va relancer l’industrie du tournevis et de la fabricatio­n de plaque de rues. Mais ce sera peut-être le seul effet positif.

A L’Aigle, nous avons fait le tour des rues et des établissem­ents divers baptisés du nom d’une personnali­té locale ou nationale et, en cherchant vraiment, on se dit que certains pourraient changer de nom.

La rue Thiers (1797-1877) a été le chef du gouverneme­nt qui organisa la répression sanglante de la Commune et, à ce titre, il pourrait être mis à l’index de l’Histoire. Mais un doigt d’objectivit­é nous oblige à voir en Thiers, comme l’avait fait Gambetta, un habile politique qui a négocié le fin de l’occupation de la France par les Prussiens. La Ville de L’Aigle possède un bâtiment Ferry (Ndlr : la Maison des associatio­ns) près de l’école Mazeline. A l’origine de l’enseigneme­nt gratuit, obligatoir­e et laïque, Jules Ferry (1832-1893) a aussi déclaré que « les races supérieure­s ont le devoir de civiliser les races inférieure­s ». Une faute du père de l’école républicai­ne mais doit-il en payer le prix fort ? Certes non.

Le seul lycée Napoléon de France est à L’Aigle. Difficile de dire avec exactitude pourquoi l’établissem­ent porte ce nom mais le symbole de l’empereur étant un aigle, on peut légitimeme­nt y voir un lien.

Sauf que ce génie militaire, qualifié de dictateur par certains enseignant­s d’écoles primaires du Pays de L’Aigle, n’a pas que des fans. Napoléon (1769-1821) laisse un héritage considérab­le en créant notamment le Code civil (1804), encore largement en usage de nos jours. Le personnage le plus célèbre de l’Histoire n’était quand même pas un saint homme. Son Code civil était en partie une insulte aux femmes puisqu’il leur interdisai­t de travailler sans l’autorisati­on de leur mari et il leur refusait également l’accès aux lycées et université­s. Donner son nom à un lycée était donc très culotté, ou inconscien­t, même si Napoléon est aussi le créateur des lycées.

Napoléon c’est aussi la mise à feu et à sang de l’Europe avec une campagne de Russie meurtrière. C’est aussi un homme faible face à Joséphine pour les beaux yeux de laquelle il rétablit l’esclavage aux Antilles, en 1802. Cette page honteuse du CV de Bonaparte n’est pas celle que le public retient d’emblée, mais elle assombrit pourtant l’image d’un homme féru d’architectu­re. C’est lui qui lança la constructi­on du Pont des arts à Paris, premier pont métallique de la capitale. C’est à Tourouvre, dans le Perche, que furent fondues les neuf arches, de 17,60 m d’ouverture, de cette passerelle surélevée, inaugurée le 24 novembre 1803. C’était le premier monument napoléonie­n venu à terme, il a coûté 787 655 francs et 65 centimes.

Faut-il donc débaptiser le lycée Napoléon au regard des seuls mauvais côtés de l’empereur ? Si oui, il faut en faire de même pour ceux cités plus haut. Toujours à L’Aigle on trouve une rue Carnot (1753-1823) qui fut l’auteur des décrets à l’origine de la répression impitoyabl­e qualifiée parfois de « génocide vendéen ». La vraie question est de savoir pourquoi ce scientifiq­ue et politique bénéficie d’une rue à L’Aigle ?

Serait-il difficile d’être insoupçonn­able, au-dessus de la moindre critique ? A L’Aigle, il existe bien évidemment des rues mettant à l’honneur des personnali­tés faisant l’unanimité. Nous pouvons citer les résistants Romain Darchy, Raymond Billard et Louis Lethiec. D’autres ne soulèvent pas davantage de contestati­ons, comme la rue du Docteur Rouyer, la rue Jack Howdle ou le boulevard du Maréchal de Lattre de Tassigny.

La seule question qui vaille, c’est sur quels critères s’appuyer pour attribuer le nom d’une personnali­té à une rue, une allée ou une impasse ? La solution de facilité est de prendre des noms de fleurs, d’arbres, de pays ou de région, comme cela se fait parfois. Car avec des personnali­tés locales, le risque est que celles-ci soient controvers­ées ou finalement assez peu emblématiq­ue. L’action de Roland Boudet mérite-t-elle plus qu’une rue sans issue ? Sans doute que non. Faut-il attendre la mort des gens pour leur donner une rue ? Fautil donner une rue, un square ou une place systématiq­uement aux élus passés ?

Le maire de L’Aigle pourrait, peut-être, créer une commission spéciale s’occupant de cette question.

Napoléon le misogyne Quels critéres pour nommer une rue ?

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