TAP à Sillé : « entre le meilleur et le pire, il y a sûrement des choses à inventer »
Les Temps d’activités périscolaires seront remplacés par la garderie à la prochaine rentrée scolaire. Tribune libre d’Eric Lucas, ex-professeur à la cité scolaire Paul Scarron, président directeur de la radio Fréquence Sillé et intervenant TAPS.
« Les activités périscolaires, c’est bien ou pas ?
Oui catégorique. Au moment où la réforme a allongé le temps de présence des élèves à l’école sans pour autant augmenter le temps d’enseignement, c’était plutôt une bonne idée d’introduire dans l’école de nouvelles activités permettant l’acquisition de nouvelles connaissances, savoir-faire et savoir-être en installant entre les enfants et des adultes une relation différente de la relation élève-enseignant.
Faire intervenir des associations ou des entreprises culturelles professionnalisées ou reposant sur le bénévolat, permettre à des talents individuels de transmettre une passion bien maîtrisée ou un savoir-faire, ça ne pouvait être que positif pour élargir chez les élèves l’appétence ou le plaisir vers des domaines qu’ils n’avaient pas eu l’occasion de rencontrer.
On pense que les familles et les enfants vont spontanément vers le tissu associatif pour accéder à de nouvelles activités mais c’est très loin de concerner 100 % des enfants, pour ne pas dire que ça ne concerne qu’une minorité. Cette inégalité s’est trouvée en partie réduite par le fait que, au lieu d’espérer que l’enfant aille vers une activité, ce sont, en fait, les activités dans leur grande diversité qui sont venues à lui dans un menu qui lui était proposé simplement et avec une évidente accessibilité. En cela, les TAP agissent comme un réducteur d’inégalités sociales et culturelles et répondent aux principes fondamentaux de l’école de la République dont celui de la gratuité.
Les TAP à Sillé, c’était bien ou pas ?
Madame la Ministre Najat Vallaud-Belkacem l’a dit, répondant à une élève de Sillé lors d’une émission enregistrée au Ministère de l’Education nationale le 23 mars : « Je suis ravie d’entendre tout ce que vous avez fait et je suis jalouse car j’aurai adoré, quand j’étais enfant, avoir cette chance et ces opportunités fantastiques au-delà de ce qu’on apprend à l’école d’apprendre d’autres choses qu’on n’apprend pas à l’école, qui sont moins académiques et qui sont donc de l’ordre du loisir, de la culture, de la pratique sportive et surtout d’avoir un éventail aussi large. »
Rien à ajouter : radio, sport, kirigami, menuiserie, scratchbooking, anglais, médiathèque, écriture, théâtre, musique, arts martiaux, cirque, danse, farandole des mots, kayak, tir à l’arc, cinéma d’animation, journalisme, modelage, peinture sur bois, VTT….. La liste est longue, riche et diversifiée.
La commune de Sillé, il faut rendre hommage à Gérard Galpin, a fait sans aucun doute pour le mieux pour promouvoir une vraie offre éducative. Les taux de participation et de satisfaction des élèves et des familles ont été élevés et en témoignent aussi bien le ressenti informel que, semble-t-il, l’enquête menée récemment par les parents d’élèves.
Les TAP, ça coûte cher ou pas et à qui ?
Début avril, Gérard Galpin m’a appelé pour m’informer que les TAP allaient disparaître. Il m’a expliqué les problèmes financiers liés à ces activités et qu’il considérait que la commune ne pourrait plus assumer cette charge.
Rien ne l’obligeait à m’en informer mais j’ai cru sentir qu’il voulait avoir mon ressenti et sa graduation entre accord, désaccord ou sérieuse irritation.
N’étant qu’une simple voix non représentative de cette partie prenante que constituent « les intervenants », je lui ai simplement dit que c’était un choix politique de mettre des ressources dans l’éducation ou dans autre chose et que je regretterai la disparition de cette offre que Sillé avait su si bien construire. Comme il évoquait aussi l’idée d’appuyer financièrement des projets pédagogiques avec des intervenants extérieurs, je n’ai pu qu’adhérer aussi à cette idée.
Tout ce qui fait ouvrir l’école vers l’extérieur ou faire rentrer la Cité dans l’école est évidemment positif que ce soit dans le cadre scolaire ou le cadre périscolaire.
Alors un budget de 26 000 € avec, en gros, 10 000 € venant de l’Etat (50 € par élève et par an) est-ce vraiment trop cher pour les enfants ? C’est une appréciation politique qui entraine des choix !
Les TAP, ça coûte cher ou pas et à qui (suite) ?
Les décideurs dans ce domaine sont la municipalité, qui tient les cordons de la bourse, sort de l’argent et reçoit l’aide de l’Etat, le Conseil d’Ecole où échangent les enseignants, les parents et la municipalité. On oublie deux autres groupes importants : les élèves eux-mêmes et les intervenants. Si j’ai bien compris, la municipalité a décidé, seule, de tout supprimer brutalement à la rentrée : modification du rythme scolaire et fin des activités éducatives. Un mois plus tard, le Conseil d’Ecole extraordinaire, maternelle et primaire, s’est prononcé largement contre cette mesure. Et maintenant, que va-t-il se passer ?
Je crois qu’il faut dissocier deux enjeux : celui de l’organisation du temps scolaire et celui de la richesse éducative. Sur le premier, je n’ai pas légitimité à donner un avis, et personne ne me le demande, mais sur le deuxième, je peux le donner avec le regard de l’expérience et parce que l’on me le demande, de ci de là, localement et nationalement.
Alors qui paye le coût de la richesse éducative ? On l’a compris : l’Etat bien sûr et la Municipalité mais on oublie de dire que les intervenants ont contribué aussi à la possibilité de cette offre riche en acceptant d’animer les ateliers à un tarif « hyper-solidaire ».
A la radio par exemple, nous avions en moyenne trois intervenants de front par séance pour garantir un encadrement le mieux soigné et le plus responsable. 17 € de l’heure soit 51 € pour 3 heures, c’est du « bénévolat amélioré » et loin des tarifs normaux d’intervention puisque notre référence, selon la nature de l’activité, va de 96 € à 210 € par demi-journée en intervention extérieure.
Ce choix, nous l’avons fait pour ne pas charger les dépenses municipales et surtout permettre à beaucoup d’autres activités de pouvoir être offertes aux enfants. La plupart des intervenants étaient indemnisés 16 € de l’heure et des structures extérieures ont pu être indemnisées à un niveau plus élevé. Mais, pour tous les intervenants silléens, il y a eu un vrai choix solidaire.
Cette dimension économique ne doit pas être oubliée dans les débats d’aujourd’hui.
Alors, cher ou pas ? Comparons. J’ai mené avec Fréquence Sillé, pour le Syndicat National des Radios Libres dont j’assure depuis plusieurs années la Délégation Nationale à l’Education et la Coopération, ce qui fait de moi l’interlocuteur du Ministère de l’Education Nationale pour les radios associatives, une enquête nationale sur les liens entre les radios associatives et le système scolaire. On y apprend que le tarif horaire le plus élevé par heure d’intervention est de 80 € mais, certes, dans une commune qui bénéficie de la présence d’une puissante entreprise unique en France et qui a donc des moyens. La moyenne d’indemnisation se situe autour de 28 € de l’heure. Beaucoup de radios sont rémunérées entre 30 et 35 € de l’heure. Bien sûr, ces chiffres doivent être relativisés en prenant en compte la dimension et les budgets des communes et la diversité des activités proposées. On peut avoir une offre limitée avec des intervenants bien rémunérés ou une offre très large au bénéfice des enfants avec des indemnisations plus faibles, ce qui est le cas à Sillé où l’option « solidaire » a été acceptée conjointement par la municipalité et les intervenants lors de la 1ère réunion sur les TAP en 2014.
Le pire est-il évitable ?
Il semblerait que le récent Conseil d’Ecole, en rejetant le plan de la Mairie, serait arrivé à la conclusion du maintien du vendredi après-midi comme consacré au « périscolaire » Gérard Galpin ne se dirait pas prêt à maintenir les activités périscolaires cet après-midi-là. Chacun est évidemment libre de ses décisions et peut les justifier par rapport à sa propre logique. Tous les points de vue doivent pouvoir être entendus.
Mais les enfants dans tout ça ? Trois heures de garderie, plus pour ceux qui restent à la garderie en attendant que les parents sortent du travail… c’est trois à cinq heures à « attendre que le temps passe »… Je pense que c’est non seulement improductif en terme éducatif mais peut être même destructeur. Que feront ces enfants de tout ce temps ? Croit-on sérieusement qu’ils prépareront le travail pour la semaine suivante ? Croit-on qu’ils s’adonneront d’eux-mêmes à des activités positives ? Croit-on qu’on évitera les moments de tension, voire pire… et qui les encadrera ? On sait que l’on peut compter, en maternelle, sur les bonnes volontés des ATSEM expérimentées mais à l’école primaire, qui vat-on recruter et donc payer pour une simple garderie ? Les pédagogues savent que l’attention ou l’adhésion des élèves à l’école commence par le sens qu’ils y perçoivent : « je sais pourquoi je suis là et je sens que ça va m’apporter quelque chose ». Les éducateurs savent aussi que les temps à risques avec des enfants sont ceux où ils ne sont pas en activités. Il y a sans doute une réflexion à avoir autour de ces principes.
Une table, des chaises, le coup de fil à un ami : ça semble si simple
Il a manqué de la concertation entre toutes les parties prenantes. Ca paraît simple de se parler entre municipalité, service municipal en charge de l’organisation pratique (et il a pu être vérifié que ce n’est pas toujours le cas), parents, enseignants, intervenants….mais ça ne s’est pas fait. Permettre à chacun d’apporter dans une réflexion, son vécu, ses observations, ses contraintes et priorités, ses compétences spécifiques, ses valeurs…. et en même temps de se mettre à l’écoute des arguments de l’autre, c’est la meilleure méthode pour construire un consensus serein ou du moins collectivement assumé ou, à défaut de consensus, de mieux cerner et acter les divergences.
Si on exclut une volonté politicienne de torpiller une réforme issue du camp adverse, il me semble que les tensions créées autour de la question des TAP viennent du fait qu’on n’a pas quand il le fallait (c’est-à-dire dès décembre 2014) sorti les tables et les chaises pour des réunions, même rapides, avec toutes les parties.
J’ai aussi en tête la réponse apportée par Jean-Marc Milville, Directeur académique des services de l’Education Nationale, début Mai, à une question posée sur Fréquence-Sillé par un élève sur la disparition des TAP à Sillé : « Vous me l’apprenez ».
Une façon de dire que ses services n’avaient pas été non plus ni consultés, ni informés.
Ça paraît simple aussi de donner « le coup de fil un ami », sachant que l’ami n’est pas forcément celui qui dira « amen » à tout pour faire plaisir, parce que justement « ami », mais plutôt celui qui apportera un point de vue divergent ou constructif pour faire avancer la réflexion.
C’est le choix du covoiturage politique : on avance ensemble tout en se parlant naturellement. Est-ce trop compliqué ?
Allez !!! Revenons à la question fondamentale de l’immédiat : « Et l’enfant dans tout ça ? » »