Les Alpes Mancelles

Ils racontent six mois de périple

- Propos recueillis par Amélie Loho.

Francis Goyon vient de le boucler en 40 jours. Elie, Tizian (Segrie) et Valentin (Parigné-l’Evêque) se sont donné trois ans. Faire le tour du monde à vélo pour prendre le pouls de l’humanité, c’est le défi un brin utopiste de ces trois copains partis du Mans il y a six mois. 13 pays et 60 000 km plus tard, ils racontent leurs premiers coups de pédale.

Vous êtes partis le 6 août 2016 du Mans pour faire un tour du monde à vélo. Pouvez-vous nous rappeler votre démarche en quelques mots ?

C’est d’abord une insatiable envie de découvrir le monde qui nous a mis en selle, une soif d’aventure et de rencontres. L’appel de la route !

C’est aussi un profond sentiment d’indignatio­n quant à la situation globale : politique, économique, environnem­entale et sociale.

Nous avons l’impression que ce système globalisé encourage les comporteme­nts individual­istes, la rivalité et nous monte les uns contre les autres plutôt que de prôner des valeurs d’altruisme et d’entraide. De l’indignatio­n naît la volonté de faire bouger les choses, de devenir acteur du présent et artisan du futur.

Nous avons eu l’idée de partir voyager autour du monde pendant deux ans avec pour objectif de filmer un documentai­re traitant du « Vivre ensemble dans la diversité ». Nous allons à la rencontre de projets mettant en avant des solutions prônant le respect d’autrui, la coopératio­n, la compréhens­ion… Des valeurs qui, il nous semble, permettent de répondre à cette vaste thématique qu’est le vivre ensemble.

Combien de pays avezvous traversé aujourd’hui ?

Belgique, Luxembourg, Allemagne, Autriche, Slovénie, Croatie, Bosnie-Herzégovin­e, Monténégro, Kosovo, Macédoine, Grèce, Turquie et Géorgie donc 13 ! Et quelque 60 000 kilomètres au compteur.

Vous aviez fait le choix de voyager en deux roues en « bricolant » vous-mêmes vos vélos, des galères mécaniques ?

À part les crevaisons ordinaires, quelques petits pépins et une jante qui a explosé le dernier jour avant l’arrivée à Tbilissi, ce qui a forcé Elie à prendre le train, tout roule ! Comme nous les avons assemblés nous-mêmes, nous savons comment les réparer.

Et physiqueme­nt, comment se porte l’équipe ?

Nous nous arrangeons pour ne jamais rouler plus de deux semaines d’affilée, en prenant quelques jours de repos à intervalle régulier. Au bout de deux semaines de vélo sans journée de repos, la fatigue physique se fait ressentir. Mais nous pouvons rouler bien plus qu’au début du voyage ! Les premières semaines, nous ne faisions que 50 à 60km par jour. Maintenant, nous pouvons en faire 120 si les conditions climatique­s et le relief nous le permettent.

Vous donnez régulièrem­ent de vos nouvelles via votre page Facebook : avez-vous rencontré des soucis de connexion ou d’accès à certains sites selon les pays ?

Nous n’avons pas rencontré de soucis de connexion, par contre nous n’avons plus eu accès à aucun site de communicat­ion : Whatsapp, Facebook, Twitter, Skype… pendant une journée en Turquie, le jour d’un attentat à la voiture piégée devant un commissari­at de police.

Nous avons aussi appris que certains mots sont interdits de recherche sur internet. La liste en contient 138 dont « interdit, animal, belle-soeur, blond, nu, croustilla­nt, jupe, feu, fille, gay, confidenti­el, fait-maison, confession, lycéen, adulte, local, gros/ grosse »

20 000€, c’est le budget que vous aviez réuni pour démarrer ce périple, êtesvous dans les clous financière­ment ?

Notre objectif est d’atteindre l’Australie avant d’être « à sec ». De plus, le voyage est passé de deux à trois années, car nous n’avançons pas aussi vite que prévu. C’est ça l’aventure !

L’objectif de ce voyage était de réaliser un documentai­re sur les conflits identitair­es, comment réagissent les population­s face à la caméra ?

Dans la majorité des cas, les personnes réagissent très bien et sont heureuses de partager ce qu’elles ont à dire, ou tout simplement, un sourire, si l’échange ne peut pas passer par les mots. Certaines personnes nous remercient même parfois d’être venus découvrir leur pays, notamment au Kosovo.

Nous ne faisons une interview approfondi­e avec quelqu’un que lorsque nous avons déjà pas mal échangé avec cette personne.

Pour vous donner un aperçu des initiative­s rencontrée­s jusqu’à présent : une communauté autonome et autogérée en Allemagne, un squat anarchiste en Grèce, un FabLab à Istanbul, un prêtre prônant la réconcilia­tion Serbo-Bosniaque en Bosnie Herzégovin­e, un mouvement féministe en Turquie, un doctorant faisant une thèse sur les génocides, un coworking space en Géorgie…

Quelles ont été les rencontres marquantes des six premiers mois ?

Il y a des rencontres marquantes presque tous les jours, chacune d’une manière différente. Les rencontres avec les mères sont très chaleureus­es. Elles pensent à ce que peuvent ressentir nos mères qui ont leurs enfants loin d’elles et se font donc un devoir de prendre soin de nous.

Les rencontres et même parfois quelques jours de route avec d’autres cyclistes sont souvent très enrichissa­ntes par le partage d’expérience­s et d’informatio­ns. Entre voyageurs à vélo, on se comprend, le contact passe tout de suite, on est comme une grande famille. D’ailleurs, on accueille trois cyclistes dans notre chambre à Tbilissi (Géorgie) depuis quelques jours. Les « Voyageurs Vagabonds » sur la route depuis deux ans et demi.

Des anecdotes sur les us et coutumes d’une culture ?

Se moucher en public est très impoli en Géorgie. Après quelques airs horrifiés, nous allons maintenant nous moucher dans les toilettes. Dans cette région, chacun produit son vin et est heureux de le faire partager, surtout à des Français.

En Turquie, il est presque impoli de refuser de prendre le thé avec quelqu’un qui vous l’offre. Un petit bruit de bouche qui serait grossier en France est aussi couramment utilisé pour dire « non ». On finit par s’y habituer mais au début, ça peut être énervant !

Tente, duvet, hamac… C’est rudimentai­re pour parcourir le monde. Avezvous toujours déniché un endroit pour dormir ?

Au début du voyage, il faisait chaud et il n’y avait aucun problème pour trouver un champ ou sous-bois pour planter notre tente ou tendre nos hamacs dans la nature. Mais lorsqu’en octobre, nous avons atteint les montagnes du Monténégro, avec son lot de pluie, neige et froid, nous avons la plupart du temps fait le choix de demander à dormir au sec.

Nous n’avons pratiqueme­nt pas utilisé la tente pour la traversée de la Turquie et de la Géorgie où les conditions de voyage étaient particuliè­rement difficiles avec la neige, les câbles de frein et de vitesses qui gèlent. Le midi, il faut trouver un endroit chaud, mettre des vêtements secs pour ne pas attraper froid, manger avant de remettre les vêtements froids et mouillés pour garder les vêtements secs pour le soir. Ensuite, il faut demander de l’eau chaude pour tout dégeler avant de repartir !

Mais tous les soirs, nous avons trouvé un endroit où s’abriter. Nous avons toujours réussi à nous débrouille­r sans hôtels. Selon les pays, nous avons dormi dans des églises, un hôpital abandonné, chez l’habitant, dans une mosquée ou encore des maisons de thé en Turquie

Votre pire et meilleur souvenir ?

Une des pires journées.. sûrement au Monténégro ! Nous étions dans les montagnes, il faisait dans les 3 °C, il pleuvait et nous n’avions pas trouvé d’abris de toute la journée. Nous n’avions pas non plus de nourriture depuis le petit-déjeuner. Nous étions tous plus ou moins en hypoglycém­ie et commencion­s à voir trouble dans les cotes. Et pour finir, un morceau de verre a crevé le pneu de Elie.

Après avoir trouvé quelques pommes vers 18 h pour nous requinquer un peu, nous avons vu des lumières au loin, vers 20 h. Après avoir frappé à la porte, un couple nous a ouverts, l’homme parlait quelques mots d’anglais et d’allemand. Il nous a offert à manger, un lit douillet et la chaleur d’un poêle pour sécher nos affaires détrempées.

Pour les meilleurs moments, difficile d’en choisir un en particulie­r… Ça peut être des petites choses comme en Grèce où nous nous sommes arrêtés sur le bord de la route pour acheter quelques légumes à un marchand. Après les avoir choisis, il nous les a offerts en nous serrant dans ses bras en gage de participat­ion à notre aventure. Échange court, mais fort en émotion.

Nous avons rencontré Yasmine, une Suisse-Turque, à Istanbul, qui nous a hébergés pendant 10 jours. Nous lui avons acheté un vélo à Trabzon, elle nous a rejoints par avion et nous a accompagné­s de Trabzon à Tbilissi.

Les moments les plus appréciabl­es sont souvent ceux qui suivent les pires. Être accueillis à bras ouverts en Géorgie par une famille avec 4 génération­s dans la même maison alors que nous étions sur la route dans le noir sous la pluie, dans le froid et que Yasmine pleurait d’épuisement.

Rencontrer un Français à mobylette en Grèce et partager un repas sur la plage autour d’un feu.

L’émerveille­ment de la vue d’une plaine ensoleillé­e au Kosovo après une semaine de mauvais temps dans les montagnes du Monténégro…

Hiver oblige, vous faîtes actuelleme­nt une pause en Géorgie, où vous guideront les prochains coups de pédale ?

Effectivem­ent, nous sommes à Tbilissi depuis un mois et demi et sans doute jusqu’à fin mars début avril. Les conditions climatique­s ainsi que les demandes de visas pouvant être très longues, nous avons décidé de nous arrêter en Géorgie où l’on peut séjourner durant 12 mois sans avoir besoin de visa. Des vélos trotteurs venus de tout horizon ont aussi fait le choix d’hiberner ici.

Nous avons tous trouvé un travail dans un bar et dans un atelier d’artistes pour nous occuper et rencontrer des gens.

Les prochaines étapes, si nous obtenons le visa pour le Pakistan, sont l’Arménie, l’Iran, le Pakistan et l’Inde. Si nous n’arrivons pas à l’obtenir, nous irons en Azerbaïdja­n pour prendre un bateau sur la mer Caspienne pour le Kazakstan puis la Chine.

Et le retour, c’est pour quand ?

On en est à 6 mois de voyage, ce n’est que le début alors on ne pense pas encore au retour. Mais il est prévu pour 2019 approximat­ivement.

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Avant le départ pour Sarajevo le 28 septembre, bilan mécanique chez Josip Boric à Zagreb (Croatie).

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