Le whisky, péché mignon de Don Gaëtano
Abbé de Fresnay
L’abbé Gaëtan de Bodard cède au charme du whisky, « pour le climat » qu’il installe. Le serviteur de Dieu a mis la main sur une autre forme de communion avec autrui.
« Dès que j’ai eu 7 ou 8 ans, on m’a versé un fond de vin à table. Toujours. En le coupant avec de l’eau d’abord ». Pour le père de l’abbé Gaëtan, qui travaille chez un caviste, pas question de priver l’un des siens de Bordeaux, de Champigny ou de Saumur. « Si mes frère et soeur sont devenus des amateurs de vin… ça n’a pas marché pour moi ». Au point qu’aujourd’hui encore, un Lalande de Pomerol ou un Meursault puissent laisser l’abbé fresnois à peu près… insensible, bigre. Non, son truc, à l’abbé Gaëtan, c’est un whisky qui tient la route. Instantanément, son âme se met à vibrer.
Zéro « culture du whisky »
« Il n’y a jamais eu de whisky à la maison ». Son respect, le père de l’abbé Gaëtan le réserve à l’Armagnac, à la Prune, à la Mirabelle. Pour le whisky, il n’éprouve que mépris. Il aime d’ailleurs répéter qu’il lui trouve « un goût de punaise ». Son fils Gaëtan est prié de le croire sur parole. « Je n’ai pas de culture du whisky ». De toutes les manières, son père ne tarde pas à remiser les alcools forts quand le seuil légal de tolérance de la justice est significativement abaissé.
« Un climat »
« C’est pendant ma formation que j’ai goûté pour la première fois du whisky ». Gaëtan est à Rome. Il se destine à la prêtrise. Un de ses coreligionnaires lui sert un Bushmills. « J’aime bien. Je trouve ça sympa ». Gaëtan ignore encore qu’il vient de se découvrir une passion. Désormais, quand il partage une soirée avec ses coreligionnaires, il observe leur rituel. « Nous prenions du Bushmill en apéro et du Black Bush en digestif. L’un de nous fumait le cigare… Le whisky, c’est un climat ». Sa… religion est presque faite.
Impressions durables
« Padre, vous avez un très grand appartement. Pouvons-nous y organiser une soirée dégustation de whiskies ? ». Gaëtan est devenu prêtre cinq ans plus tôt. Il est maintenant aumônier militaire à Tarbes, chez les parachutistes. A la requête de ce lieutenant, il répond favorablement. Simplement, il ne bouleversera pas son emploi du temps : le train qu’il doit prendre dans la soirée, il le prendra. Aujourd’hui, il garde précisément en mémoire la dégustation à l’aveugle à laquelle il a participé. Aberlour 10-12 ans d’âge, Jack Daniel’s single barrel, Royal Crown, Bowmore, Lagavulin, Talisker… l’impressionnent durablement.
Entourage scotché
« Tous ces tourbés, iodés, fumés… J’ai eu le coup de coeur ». L’abbé Gaëtan se plonge dans les catalogues de promotions des grandes surfaces. Il achète quelques whiskies. « J’appréciais mais je n’y connaissais rien ». La situation est intenable. Il se plonge dans un livre dédié. Cette fois, ses noces avec le whisky sont scellées. Scotché, son entourage s’empresse de multiplier les attentions. Il arrive même qu’on l’invite à manger des plats cuisinés au whisky. Sauf que l’abbé n’est pas « bouffe ». Il est donc objectivement incapable de détecter le whisky dans un mets. C’est parce qu’il devine qu’on a voulu lui faire plaisir qu’il peut le savoir.
Lichettes sans se presser
« On se dit que je suis forcément un homme ascétique qui passe sa vie à genoux à prier ». L’abbé Gaëtan se plaît donc à rappeler que la Bible est bien en prise avec la réalité. « Quand on y voit le nombre de fois où l’on mange et où l’on boit ! ». Attention cependant. L’abbé Gaëtan fuit les excès et il observe à la lettre les règles de son sacerdoce. « Pendant le carême, je n’ai pas touché au whisky. Hormis le vin de messe, je n’ai pas bu une goutte d’alcool ». Mais surtout, il faut avoir en tête la manière dont l’abbé Gaëtan boit du whisky : par lichettes, lentement et en compagnie d’amis. Il insiste. « Ce que j’aime, c’est l’ambiance autour de la table ».
Passion maîtrisée
« Je n’ai pas fait voeu de pauvreté, mais cela me met mal à l’aise de payer un whisky plus de 45 ou 50 € ». En clair, l’abbé Gaëtan encadre scrupuleusement sa passion. Elle ne doit jamais le dominer. Il se sent même « gêné » qu’on lui ait récemment offert un whisky japonais onéreux. Reste que, pour le coup, il ne peut s’interdire d’apprécier le cadeau. Celuici lui offre l’opportunité d’élargir le spectre des goûts que son palais affectionne. « Je le juge très fin. Moi qui suis habitué aux whiskies charpentés ! ».
Non hédonisme
« J’ai une quarantaine de whiskies. Ils ne sont pas destinés à être collectionnés ! ». A ses hôtes, l’abbé en apporte régulièrement « deux, différents ». Aux participants à un groupe qui planche sur la parole de Dieu, également. Alors oui, le whisky est omniprésent dans la vie de l’abbé Gaëtan. Mais non, il n’échappe jamais à son contrôle.
« Je n’ai pas la culture de l’apéro ». Autrement dit, en apportant ses bouteilles, l’homme de Dieu enseigne. Il apprend à ses cercles une autre forme de communion, à laquelle le rituel de dégustation, dont la générosité est calculée, participe. L’expression de sa passion est volontairement bridée. Et l’abbé Gaëtan revendique son non-hédonisme.
Culte de la mesure
« L’abus ne convient pas au whisky, c’est une boisson noble ». L’abus ne convient pas davantage à l’homme de foi… ni à l’homme tout court. « Je ne recherche pas l’alcool pour l’alcool ». L’abbé fresnois campe indéfectiblement dans la mesure. « Je suis toujours hyper vigilant ». Le mérite ne reviendrait pas à son imagination, féconde, mais à la puissance évocatrice du whisky.
« L’alcool détente, je ne connais pas. Quand je suis fatigué, je tape dans le chocolat ».