D. Amiard : « L’absence d’espoir, moteur du vote FN »
A Cures, au 2ème tour de la présidentielle, les électeurs ont voté à presque 45% pour Marine Le Pen. Analyse du maire Dominique Amiard, radical de gauche.
Les Alpes Mancelles : Le vote FN a battu des records de popularité à Cures. Que se passe-t-il ?
Dominique Amiard : Il ne se passe rien de particulier à Cures. C’est une commune ordinaire qui a un vote hélas ordinaire. A savoir que plus vous vous éloignez du Mans et des villes en général, plus le vote protestataire –donc FN- augmente, avec des petites variations locales.
Le vote protestataire des villes s’est plutôt porté sur Jean-Luc Mélenchon et le vote protestataire des campagnes se porte désormais à chaque élection sur le FN.
A Cures, le vote François Fillon était plus faible qu’ailleurs, ce qui a profité au FN au 1er tour. Au 2ème tour, le vote Emmanuel Macron l’a emporté assez logiquement.
Les A.M. : Comment interprétez-vous ce score FN ?
D.A. : Plus on s’éloigne des villes, plus le coût du foncier et de l’habitat chute. On se retrouve donc avec des pourcentages de classes populaires plus importantes. Or, la mondialisation, les grandes transformations économiques en cours fragilisent prioritairement la situation, l’emploi des ouvriers et des employés.
Les A.M. : Comment expliquez-vous qu’on soit sensible, à Cures, à des thèmes comme l’insécurité ou l’immigration, au coeur du programme FN ?
D.A. : Quand l’être humain se sent fragilisé ou l’est, il se replie sur lui-même. A Cures, il n’y a pas d’incivilités, pas de problématique d’immigration, comme dans la plupart des communes rurales. A Cures, le taux de chômage est de 2 à 3% -c’est le plus bas de toute la région- mais pour autant, la situation d’un certain nombre de familles est fragile en raison de revenus faibles (autour du smic), de temps partiels, d’enfants qui ont parfois des difficultés à trouver du travail. Et on peut penser que ce sont ces familles qui, par ce vote protestataire, envoient un message : leurs difficultés au quotidien et leur absence d’espoir. Et cette absence d’espoir, c’est peut-être le principal moteur du vote FN.
Les A.M. : L’absence d’espoir est-elle propre aux populations fragiles rurales ?
D.A. : Dans les grandes villes aussi, il existe des gens en difficulté, mais le sentiment est qu’on n’est pas seuls car on est dans une collectivité, un groupe humain qui, globalement, avance, se modernise, offre des opportunités, permet d’espérer des jours meilleurs demain.
Les A.M. : Quand les électeurs votent FN, le disent-ils ?
D.A. : Le vote FN est partiellement assumé. On ne dit pas forcément que l’on vote FN car il n’existe pas de fierté à voter FN, ce n’est pas un vote d’adhésion, c’est un vote pour dire ses difficultés. Quand vous êtes en ville, vous savez que vous avez à portée de main les transports, les différents services publics, les commerces, l’accès aux soins. En outre, les revenus sont plus élevés et les collectivités ont beaucoup plus de moyens financiers. Quand vous êtes en campagne, vous ressentez l’affaiblissement du territoire sous ces différents angles et vous savez aussi que votre petite commune ne pourra pas vous aider significativement car elle n’a pas l’argent ni les moyens nécessaires pour le faire. Il y a une fracture entre ruralité et urbanité. Il y a aussi une fracture dans les têtes qui découle en partie de la première, mais pas uniquement.
Les A.M. : Comment se traduit cette double fracture, concrètement ?
D.A. : La mixité sociale n’est pas suffisante dans les campagnes. L’emploi s’est concentré dans les villes et la richesse qui le porte avec.
Les A.M. : Mais il n’y a pas d’immigrés dans les campagnes…
D.A. : Le problème de l’immigration ne touchera pas les campagnes ordinaires et profondes tout simplement car les immigrés sont jeunes et qu’ils cherchent du travail qui se concentre aujourd’hui dans les villes.
Les A.M. : Est-il cependant possible de contrer le vote FN ?
D.A. : Des remèdes, j’en vois. C’est une grande ambition nationale et c’est une grande mobilisation des villes pour tirer la France rurale vers le haut avec elles. Si les grands élus de la République, qui sont presque tous des urbains, ne comprennent pas ça, la fracture va s’accentuer… et, à terme, le problème va leur revenir en pleine figure.
Aucune grande métropole, aucun pays ne peut durablement prospérer en ne mobilisant pas les moyens suffisants parce que tous ces territoires et les différents pans de la société ressentent
C’est la situation des années 60. Il y avait alors de l’emploi, des écarts de revenus, des inégalités… mais tout le monde avait le sentiment qu’il pouvait améliorer sa situation. C’est cet état d’esprit qu’il faut retrouver pour faire baisser le vote protestataire.
Ça passe par une mobilisation des grandes métropoles et des décideurs qui en sont issus : ce n’est pas uniquement le problème des élus mais celui des grands décideurs économiques et culturels. A défaut, on aura inévitablement un jour des secousses plus graves du type Trump ou Brexit.
Globalement, dans les campagnes, le vote FN progresse lentement mais sûrement. Pour autant, Cures est à 15-20 mn du Mans. La commune accueille aussi des populations plus aisées, moins fragilisées, voire même bien insérées qui ont majoritairement voté Macron au 2ème tour. C’est donc un paysage social assez équilibré, qui traduit aussi le fait que la commune n’est pas au bout du monde, marginalisée. Elle a l’atout de sa proximité avec Le Mans, un prix du foncier très abordable, mais on est très dépendants économiquement de la dynamique de l’agglomération mancelle.
Propos recueillis par F.A.