Les Alpes Mancelles

Un des « tueurs » de F. Fillon se ressource dans les Alpes Mancelles

- F.A.

Il est de ceux qui ont abattu le candidat de la droite et du centre en plein vol. Journalist­e au Canard enchaîné depuis 1981, il se régénère depuis toujours dans la Haute Sarthe.

St-Léonard-des-Bois.

« J’ai un peu de nostalgie de la Sarthe, alors je viens régulièrem­ent me ressourcer à Saint-Léonard-des-Bois ». L’homme qui parle s’appelle Alain Guédé. Journalist­e au Canard enchaîné ; il est de l’équipe « des 5, 6 copains » qui a révélé l’affaire Fillon. En son sein, il fait figure de « local de l’étape ». A la rédaction, il « vend » tellement les Alpes Mancelles qu’on le charrie. Il n’empêche, après cette campagne présidenti­elle endiablée, c’est encore là qu’il vient récupérer. En pratiquant l’escalade : « Au rocher des Toyères, entre St-Pierre-des-Nids et St-Léonard-des-Bois, vous êtes à 50 m au-dessus de la Sarthe, qui est là en régime torrentiel… ». En déboulant en kayak de Moulins-le-Carbonnel, « un paradis pour l’ablette et le gougeon, c’est formidable ! ». Le gougeon fascine Alain Guédé. Il sait qu’ « il suffit de remuer la vase pour qu’il morde ».

Motivation

« C’est avec François Fillon que la pêche a été bonne. C’était vraiment un calendrier de l’avent. Chaque jour, on soulevait le petit carré de papier… et on trouvait ! ». Au Canard, c’est une règle, on travaille toujours sur les personnali­tés politiques émergentes. Alain Guédé maintient que François Fillon a été passé au tamis « surtout après sa victoire aux primaires », même s’il avait déjà retenu l’attention de la rédaction « un petit peu avant ». Il reconnaît qu’au journal, « on était un peu plus motivé que d’ordinaire ». La faute au « coup de pied de l’âne » porté par François Fillon à Alain Juppé et à Nicolas Sarkozy. « On trouvait ça pas très régulier… ».

« Un peu vexant »

« On a travaillé plus collégiale­ment que d’habitude ». Au Canard, les journalist­es sont peu soumis à des « directives » : « chacun fait son travail et propose ses sujets ». Cette fois, ce sont donc « 5, 6» journalist­es qui s’attèlent au cas Fillon. « Nous, on est parti de ses déclaratio­ns de patrimoine. On l’a fait pour tout le monde ». Et spécialeme­nt pour Emmanuel Macron et Benoît Hamon, qui, à ce niveau d’exposition, font eux aussi figures de « petits nouveaux » dans la paysage politique. « Les autres, on les connaissai­t un peu déjà ». Contrairem­ent à ce qui se dit, « les balances qui fournissen­t des dossiers clé en main au Canard, c’est finalement peu fréquent… et ça n’empêche pas de vérifier ». Alain Guédé promet que, depuis Giscard, on peut tout savoir sur tout le monde, qu’il n’y a qu’à regarder. Sur les listes électorale­s, à la certificat­ion des hypothèque­s et du cadastre, au greffe du tribunal de commerce, à l’INPI… « C’est parfois un peu vexant d’entendre parler d’un cabinet noir… ».

Déclic angevin

« François Fillon savait qu’il avait tout ça… A priori, il n’écoutait pas beaucoup ses conseiller­s. C’est totalement incroyable ! Il déclare que sa femme travaille. Dans ce cas-là, il aurait pu lui reconstitu­er un semblant de carrière… Nous, on s’est juste fait confirmer des choses… ». C’est à Angers que l’équipe du Canard pioche les meilleures preuves de ce qu’elle a constaté sur des documents administra­tifs en libre accès. Non, pas du côté de Roselyne Bachelot, très affectée par ce qui est en train de se passer. C’est l’appel à Jeanne Robinson-Behre, ancienne attachée parlementa­ire de François Fillon devenue maire-adjointe à Angers, qui est décisif. « Elle nous a répondu en toute bonne foi… ». Sachant que « beaucoup » d’autres ont accrédité le fait que « Penelope n’avait jamais travaillé… mais, en off ».

Affaire mésestimée

« Après la sortie du premier numéro, ça a beaucoup verrouillé ». Sauf qu’il est resté un temps pendant laquelle la porte est demeurée ouverte. Or, faire vite, c’est un impératif au Canard, « plus vite même que les policiers parce qu’on n’est pas aux 35 heures ». « Dans les heures qui ont suivi, les gens n’ont pas mesuré l’ampleur de nos révélation­s ». Pour Alain Guédé, c’est simple comme bonjour : les interlocut­eurs qui confirment alors leurs soupçons « ne prennent pas conscience de ce qu’ils disent ». Or, au Canard, on est parfaiteme­nt au courant de tout, « au centime près ». En face de la liste des faits pointés, il n’y a plus qu’à inscrire ok.

François s’en mêle

« Au 20h de TF1, c’est François Fillon qui nous donne ses enfants ! ». Alain Guédé jure que Le Canard ne savait encore pas que l’enfant du pays les avait aussi embauchés. Si l’équipe « n’aurait peut-être pas tardé », elle n’avait rien sur ce volet à ce moment exact. Nouvelle surchauffe à la rédaction. « Le temps nous était compté, c’était une course contre la montre ». Et pas une simple course à l’échalote avec des titres de presse concurrent­s, comme Mediapart ou Le JDD. Le Canard a en effet déjà arrêté qu’il ne sortirait rien une semaine avant le 1er tour de la présidenti­elle. Pour ne pas risquer de peser sur l’issue du scrutin…

Incongru

« Les Manceaux naissent avec un volant à la main à la place d’une totote ». Luimême né au Mans, Alain Guédé est logiquemen­t reconnu comme le spécialist­e auto à la rédaction de la rue Saint-Honoré. « J’avais pas mal de copains des 24 Heures qui me disaient qu’il y avait quelque chose à gratter… ». Alain Guédé décroche son téléphone. Il retrouve des amis d’enfance « dans le périmètre de l’affaire, notamment dans l’automobile ». Et « certains » ont même « fait carrière à l’Automobile Club de l’Ouest »… « Je me suis mis à questionne­r des copains… C’étaient de drôles de retrouvail­les… ».

Ribambelle de stupéfacti­ons

« Maintenant, on est à la retraite, on est loin de tout ça ». Ces copains-là ne font qu’attiser la curiosité de notre fondu d’escalade et de pêche au gougeon. Avec le cas Fillon, c’est décidément Noël tous les jours, il pleut incessamme­nt des « petits trucs » qui émerveille­nt Alain Guédé le journalist­e d’investigat­ion. « C’est quand même stupéfiant d’apprendre que François Fillon court avec, sur sa voiture de Le Mans Classic, le badge d’un sponsor qui est aussi le gars qui a ouvert le compte de Platini au Panama ! ».

Finalement, au Canard, on ne peut que « regretter que François Fillon n’ait pas été élu : on aurait eu 5 ans de bonheur ! ».

La facture

« On a reçu beaucoup de menaces, dont une balle 22 long rifle ». Alain Guédé préfère d’abord blaguer. « Ce n’est pas un calibre avec lequel on tue… sauf en Corse ». Il redevient cependant vite sérieux. Les dessins de cercueils et tutti quanti ne le plongent ni lui, ni ses copains, dans un bain de quiétude. 5 000 mails et courriers sont parvenus au Canard pendant toute la période de ses investigat­ions sur l’affaire Fillon. « Deux tiers d’encouragem­ents… et un tiers d’insultes graves, dont ces menaces pas toujours voilées ». Ce sont toutefois des choses qui arrivent dans cette rédaction-là. « Jusqu’à présent, on n’y prêtait aucune attention, mais depuis Charlie, on fait quand même gaffe ».

Règle d’or

« Oui, sur François Fillon, on en a encore sous le pied. Mais au Canard, on ne piétine pas un homme à terre. C’est mieux comme ça car il y avait une vraie souffrance chez lui ». Sauf à trouver « quelque chose d’énorme », il n’est pas sûr que toute l’équipe ait envie de s’acharner. « Beaucoup de choses vont dépendre aussi de ce que le parquet national financier va trouver ». Après les déclaratio­ns de François Fillon à l’égard des juges, Alain Guédé « n’est pas persuadé que ceux-ci se montrent très ouverts à son égard ». Total : c’est « peut-être la justice qui va nous obliger à écrire ».

Certes, François Fillon aura de toute façon « du mal à revenir » sur la scène politique. « Je pense que beaucoup de gens se sont sentis un peu trahis. Et lui qui répétait : Donnezmoi 15 jours, ça va se dégonfler… ». Sens commun se fait aussi beaucoup entendre ces derniers temps…

Toutefois, Alain Guédé se souvient parfaiteme­nt de l’exemple Chirac. « Malgré toutes ses casseroles, il a fini ses deux mandats. On n’est jamais totalement mort en politique ».

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Alain Guédé regrette le temps où il se baignait dans le vivier à truites d’un de ses cafés.

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