2 200 jeunes en galère
Fabienne Labrette-Ménager a été réélue présidente de la mission locale Sarthe Nord, où 2 200 jeunes gens sont suivis. Et pas seulement « pour aller vers l’emploi ».
Les Alpes Mancelles : Les missions locales, c’est… utile ? Ça sert à quoi ?
Fabienne Labrette-Ménager : Si la question se pose en effet dans les grandes villes, en zone rurale en revanche, elles sont utiles. La mission locale Sarthe Nord suit 2 200 jeunes de 16 à 25 ans. Au-delà d’un accompagnement vers l’emploi, nous nous sommes fixé une mission d’accompagnement des décrocheurs. En somme, la mission locale sert à les emmener dans la vie. C’est une mission de service public.
Les A.M. : Quel est le territoire d’intervention de la mission locale Nord Sarthe et quels sont ses moyens pour agir ?
F.L-M. : C’est un territoire qui va de Conlie à Bessé-sur-Braye, soit à peu près l’équivalent de la moitié du département. Le siège est sis à Mamers.
Nous disposons d’un budget de 1,3 M € et il y a 27 salariés. Nous aidons les communautés de communes à hauteur de 1,10 € par habitant.
Les A.M. : Quels résultats obtenez-vous ?
F.L-M. : Nous enregistrons 50% de réussite, c’est-à-dire que la moitié de nos jeunes parviennent à obtenir un emploi ou une formation qualifiante diplômante. Nous avons noué des partenariats avec les clubs de chefs d’entreprise de Mamers, de Vibraye (du Calaisis) et de la Haute Sarthe. C’est important que des chefs d’entreprise s’impliquent : leur parole est plus crédible. Ils n’ont pas tous leur bac alors quand ils exhortent les décrocheurs à aller à l’école, ça a de l’impact.
Les 50 autres pour cent arrêtent de venir nous voir car ils déménagent, ils reprennent des études, ils décident de nous quitter ou bien ils ont un déclic qui les fait repartir dans la vie.
Les A.M. : Quel est le profil des décrocheurs ?
F.L-M. : Ils arrêtent d’aller à l’école à 16 ans, ils n’ont pas de formation, ils ont déjà un passé social compliqué et, parfois, ils ont des addictions délétères car il ne faut pas croire que l’alcool et la drogue sont réservés aux zones urbaines. Les jeunes représentent notre avenir. S’ils ont décroché, nous avons une part de responsabilité. De plus, leur décrochage coûte très cher à la société, bien plus que leur accompagnement. J’adorerais me dire que dans deux ans, on n’existe plus !
Les A.M. : Y a t-il des pistes de « déblocage » des situations de ces décrocheurs qui restent à explorer ?
F.L-M. : Oui, j’ai proposé qu’on mette sur pied une convention de partenariat avec tous les collèges afin qu’ils nous donnent la liste de tous ceux qui ne seront plus scolarisés à la rentrée suivante. De la sorte, nous interviendrions plus vite. Car, avec le temps, leurs situations s’enkystent. Moi, ce qui m’intéresse, c’est qu’un jeune trouve sa voie et ne soit pas ballotté. Je verrais bien une organisation par pôles (vie sociale, emploi…) avec des partenariats pour le logement au lieu d’une organisation par territoires. Il faut savoir par exemple que, dans le logement social, on n’a pas le droit de faire signer des baux à des moins de 18 ans et, comme avec leurs parents, les relations ne sont pas toujours au beau fixe… On a déjà eu des jeunes à la rue.
Nous rencontrons un autre vrai problème chez tous nos jeunes : ils mangent mal. Le peu d’argent qu’ils possèdent, ils le dépensent en loisirs. Ils sautent le petit-déjeuner, parfois le déjeuner aussi, pour acheter des boissons énergisantes. Ils tiennent sur du sucre. Ils s’exposent à des problèmes de dentition, d’anémie ou d’obésité. Or, pour bosser, il faut tenir le choc et donc être à peu près en bonne santé.
Les A.M. : Les jeunes ont-ils des obligations quand ils sont suivis par la mission locale ?
F.L-M. : Il y a une espèce de contrat quand ils arrivent, un contrat moral. Nous leur expliquons que nous ne sommes ni leurs parents, ni des éducateurs, qu’ils doivent prendre leur destin en main. Nous leur rappelons aussi que nous les aidons bénévolement. Si c’est bien la preuve que nous avons envie de le faire, on attend du respect des deux côtés. Personnellement, je ne m’apitoie pas sur leur sort. Je leur dis plutôt que ce n’est pas parce qu’on est au fond du trou qu’on ne repart pas !
Les A.M. : Comment évolue l’effectif des jeunes que suit la mission locale Sarthe Nord ?
F.L-M. : Il est en baisse de 10%, sachant que la démographie est aussi plus faible. Mais dès que l’intérim repart, les jeunes sont les premiers à travailler. D’autant que le CDI à temps complet n’est plus le modèle. Ils gèrent maintenant la précarité comme une façon de vivre. Ils ont envie de pouvoir partir en vacances quand ils veulent. C’est quand on construit sa vie qu’on recherche un CDI à temps complet. Les jeunes d’aujourd’hui, c’est la génération bla-bla car, celle de l’immédiateté.
Les A.M. : Pour combien de temps êtes-vous présidente et pourquoi s’engage-t-on dans une mission locale ?
F.L-M. : Mon mandat court jusqu’en 2020. Paul Melot est vice-président pour Sillé et Yves Foucault, vice-président pour Vibraye-Saint-Calais.
Paul Melot vient de l’industrie. Le tutorat, ça lui parle.
Yves Foucault vient du monde du handicap. Les gamins un peu cassés, ça lui dit aussi quelque chose.
Peu d’élus sont impliqués dans les associations missions locales. Moi, je me dois d’accompagner ces jeunes qui ont du mal à trouver du boulot.