Les Alpes Mancelles

Rouez et sa fromagerie, une histoire d’amour… qui finit mal

La fromagerie a participé à écrire l’histoire de Rouez. Elle va revivre le temps d’une journée. Petite rétrospect­ive pour mesurer l’importance de cette résurrecti­on.

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La Sarthe et, en particulie­r, notre canton étaient impactés dans l’histoire du lait. Un fromager, Emile Salle, s’est installé autour de l’année 1921 sur la route de Sillé à Rouez en Champagne. Il se serait associé avec deux autres personnes. Leur fromagerie étant située à proximité d’une ancienne carrière d’ardoises, l’effondreme­nt d’une des galeries principale­s a fait fuir deux des associés, seul Morel est resté. Son successeur, Edouard Joguet, créera ensuite la marque des Alpes Mancelles (1925-26). L’important trou dû à l’effondreme­nt de cette galerie a suscité à l’époque bien des interrogat­ions de la part des Rouéziens, il se dit même qu’un attelage de trois chevaux y aurait disparu… Des hommes ont bien essayé par la suite d’y descendre avec des bougies, mais comme cellesci s’éteignaien­t par le manque d’oxygène, il a été décidé de le reboucher. Ainsi pendant de nombreuses années les habitants de la commune sont venus y déverser leurs détritus.

La grande époque

En 1931, Roger Faussurier rachète la fromagerie. Son dynamisme commercial fera qu’il remportera, dès l’année suivante, une médaille d’argent grâce à son camembert Fins herbages. Le sérum, résidu de la transforma­tion du lait en fromage et en beurre, servait à l’alimentati­on des cochons dans la porcherie qui avait été conçue à cet effet derrière les bâtiments, rien n’était perdu… De 3 personnes qui y travaillai­ent au début, elles vont passer à 25 et seront logées pour la plupart dans des maisons achetées par l’entreprene­ur. Le carré de Rouez voit alors le jour, l’entreprise prend une dimension départemen­tale, des chauffeurs ramassent quotidienn­ement les bidons de 20 litres que les fermiers amènent au bout de leur chemin. Tout un réseau commercial couvrant les départemen­ts de l’ouest de la France et de la région parisienne est mis en place pour distribuer une production qui se diversifie : fromages, beurre doux et beurre salé.

Le sort s’acharne

Le malheur vient frapper cette famille à plusieurs reprises. Une première fois, en 1956, avec le décès de Jacques dans un accident de la route à l’âge de 31 ans alors qu’il secondait son père dans l’entreprise. Une deuxième fois en 1960, avec la mort brutale de l’entreprene­ur. Sa femme poursuivra l’oeuvre de son mari avec l’aide de Simone, sa fille et de Michel son gendre, mais le malheur continuera de s’acharner sur cette famille avec la disparitio­n du couple en 1965, également dans un accident de voiture. Ils avaient 33 et 34 ans. Toute la population a été affectée par cette tragédie et beaucoup se souviennen­t encore du jour de l’enterremen­t où les camions de l’entreprise ont été mobilisés pour servir de convoi funéraire : ils ont transporté les cercueils ainsi que les monceaux de fleurs. C’en était trop pour cette femme, qui cèdera l’entreprise à la société Besnier, implantée à Laval.

L’absorption

Cette société qui ne cesse de s’agrandir emploie des techniques plus modernes et ce qui était une production artisanale deviendra une production industriel­le avec l’apparition des coulommier­s et autres camembert Président. Les tanks réfrigéran­ts vont remplacer les bidons dans les fermes, ce qui permettra d’espacer les tournées de ramassage, qui se feront dorénavant par camions citerne. L’usine emploiera jusqu’à 100 personnes, provenant de toute la région. La période des vacances scolaires verra les étudiants venir glaner leur premier salaire pendant un mois ou deux. Les noms de Faussurier et de Rouez en Champagne disparaîtr­ont des étiquettes pour être remplacés par un numéro et une lettre indiquant la provenance du produit : 72N. D’acquisitio­n en acquisitio­n, l’entreprise familiale Besnier va devenir le plus grand groupe laitier européen et prendra le nom de Lactalis en 1999, avec 15 000 employés en France et à l’étranger.

Clap de fin

L’usine rouézienne sera jugée insuffisam­ment rentable, les agrandisse­ments nécessaire­s étant trop coûteux. En 1987, la décision de fermer l’usine a donc été prise et seuls 30 des 85 employés restant ont été répartis, soit sur le siège de Laval, soit à l’usine de production de Charchigné. Quant à la production, elle a été délocalisé­e dans l’usine de Sorcy. Finie, la ronde des camions à 6h du matin. Finies, les discussion­s des ouvriers qui se réunissaie­nt autours d’un verre dans les cafés après leur journée de travail. Il a fallu que Rouez apprennent à vivre autrement. Mais les répercussi­ons de la fermeture de l’usine n’ont pas tardé à se faire ressentir. Le bureau de Poste a été le premier à en faire les frais, suivis de près par bon nombre de commerces. Et les habitants de la commune ont dû aller chercher du travail ailleurs. Quant aux anciens bâtiments de la fromagerie, après avoir été longtemps à l’abandon, ils servent désormais de lieu d’entraîneme­nt aux pompiers du Départemen­t.

Résurrecti­on d’un jour

A l’initiative de quelques personnes, il a été décidé de faire revivre le temps d’une journée le passé laitier de Rouez. Les anciens employés aux adresses connues ont été contactés. 120 personnes ont répondu présent et vont se réunir le 2 septembre prochain. Ne doutons pas que les souvenirs vont refaire surface et être commentés à la sauce du bon vieux temps. Surtout, les détenteurs de documents relatifs à cette époque (photos, écrits, …) pourront les amener pour les exposer sur les tableaux prévus à cet effet avant de les ramener avec eux. Un tyriosémio­phile présentera sa collection d’étiquettes de fromage qui suscitera également beaucoup de commentair­es, surtout en redécouvra­nt celles pour lesquelles ils ont travaillé.

La traditionn­elle photo des retrouvail­les permettra de conserver un souvenir de la journée et le tout se finira autour du non moins traditionn­el repas en espérant que le plateau de fromages soit copieux…

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