Les Alpes Mancelles

Au coeur du trafic des passeurs

Les journalist­es de nos rédactions ont enquêté sur les lieux où passeurs et migrants se retrouvent avant le départ pour l’Angleterre. Reportage au coeur du trafic, sur les aires d’autoroutes sarthoises.

- J.H. et F.A.

Sarthe. Les journalist­es de nos rédactions ont passé une nuit au plus près des trafics de migrants.

C’est sur les petites aires des autoroutes qui traversent le départemen­t (A28 et A11), du sud au nord qu’il faut se rendre, de nuit. N’importe quand à peu près.

Vendredi 19 janvier. Au niveau de Maresché, dans le Nord Sarthe, à la Suzannerie comme sur l’aire Joël Boisgard, les poids lourds sont alignés en rangs d’oignons. Ils sont français, espagnols, portugais, allemands. Seul le ronronneme­nt du frigo de l’un d’eux trouble le silence qui enveloppe le parking faiblement éclairé. À l’écart, dans le bloc sanitaire, Autoroute FM diffuse le bulletin météo de la journée qui va se lever, tout à l’heure. Calfeutrés dans leurs cabines, les chauffeurs dorment à poings fermés. Il est à peine 5 h et il n’y a rien à signaler.

Concentrat­ion de rendez-vous

Cap sur l’A11. Sur l’aire de Pruillé-le-Chétif, sur celle de Pirmil, RAS toujours. Ici aussi, on dort. Ultime halte sur l’aire de Parcé-sur-Sarthe. Retrouvail­les avec la lumière et la chaleur : il y a cette fois une vaste boutique où prendre un café. C’est derrière le bâtiment que les camions sont stationnés. Le parking devant l’entrée sert aux automobili­stes qui viennent régler leur ravitaille­ment d’essence. Coup d’oeil à la montre. Oui, il y a déjà beaucoup d’activité alors qu’il n’est pas 6h. Manifestem­ent, les passants sont nombreux à s’être donné rendez-vous. Et manifestem­ent, l’objet de celui-ci est le même.

Ils se fondent dans l’obscurité

Le ballet est bien rodé. Un couple est assis côte à côte. Ils ont l’un et l’autre les traits tirés. Ils n’échangent pas un mot. À peine un regard. C’est pourtant exactement ensemble qu’ils se lèvent pour sortir. Devant la boutique, ils donnent l’impression d’attendre… mais quoi ? Ou qui ? La températur­e est de 4°C. Toujours sans s’être consultés, l’homme et la femme rentrent à nouveau au chaud. Ça n’a pas l’air d’aller. Moins d’une demi-heure plus tard, ils se sont évaporés.

Il y a là des hommes seuls, dans des vêtements fatigués, capuches de parka relevées ou coiffés d’un bonnet. Eux aussi semblent attendre. Il y en a un qui tourne et vire, prend un café, entre et sort. Aucun ne consulte son mobile. Il n’y a plus rien à régler, il n’y a qu’à patienter. Soudain, sans s’être passé le mot, ces hommes jeunes quittent la boutique, les uns après les autres. Et, tous ensemble, échappent à la vue des curieux pour se tapir dans une encoignure du bâtiment, où ils se fondent dans l’obscurité. Une voiture se gare devant la boutique. Une assez grosse cylindrée qui a vécu. Les hommes quittent aussitôt leur cachette pour s’engouffrer à l’arrière du véhicule, où il y a déjà des passagers. Il est 7h. Le jour n’est pas levé.

Volatilisé­s

L’aire s’anime peu à peu. Un groupe de sexagénair­es entre et commande un café. Ça discute. Un couple s’engueule avant de reprendre la route. Il reste un homme, qui fait les cent pas. C’est vrai, il était là tout à l’heure. Où était-il passé ? Sur l’épaule, il porte un sac défraîchi. L’anxiété le ronge. Il surveille sans cesse sa montre. Son environnem­ent, aussi. Le jour qui va pointer, ça ne semble pas le faire rigoler. Il entre et sort, puis décide de rester campé dehors.

Un car d’ados déboule, que les gamins sont bruyants. Qu’ils sont joyeux, aussi. Dehors, l’homme inquiet disparaît dans l’angle du bâtiment qui a déjà servi de refuge. Quand il réapparaît du côté opposé, il n’a plus son sac. Voilà maintenant 2 heures qu’il supporte le froid. À 8 h 30, il se volatilise.

Il n’y a pas eu besoin de semaines de planque pour assister à cet étrange manège. Juste quelques heures, quand la nuit s’essouffle. Oui, sur le chemin de l’Angleterre, les migrants transitent régulièrem­ent par les aires de la Sarthe. Le numéro 2 du Groupement de gendarmeri­e de la Sarthe, le Lieutenant-colonel Eric Cabioch, qui ne commente pas les faits constatés ce petit matin-là, le confirme).

 ??  ??
 ??  ?? Traits tirés, parka et capuche sur la tête, de jeunes hommes font étape très régulièrem­ent sur les aires d’autoroutes sarthoises.
Traits tirés, parka et capuche sur la tête, de jeunes hommes font étape très régulièrem­ent sur les aires d’autoroutes sarthoises.

Newspapers in French

Newspapers from France