La Sarthe ? « Oui, la mer est à 150km »
Le Lieutenant-colonel Eric Cabioch est Commandant en second du Groupement de la gendarmerie de la Sarthe. Il explique comment ses hommes exercent la surveillance du transit des migrants en Sarthe.
Comment la surveillance du transit s’effectue-t-il ?
E.C. : Depuis 2017, la gendarmerie n’interpelle pas sur les aires d’autoroutes ou les bandes d’arrêt d’urgence. Chargés de faire respecter l’ordre public, nous ne faisons que procéder à des contrôles d’identité. Si un chauffeur de camion ou un patron de station remarque 5, 10, 15 migrants sur l’aire, ils nous téléphonent et nous y allons. Attention, les migrants ne commettent très généralement pas de troubles à l’ordre public donc nous ne procédons bien qu’à des contrôles d’identité.
Nous vérifions s’ils ont des papiers d’identité en bonne et due forme, en consultant nos fichiers. Si c’est le cas, nous les laissons circuler. C’est l’OQTF (NDLR : Obligation de quitter le territoire français) que nous vérifions, autrement dit leur autorisation de circuler sur le territoire fançais. Si, en revanche, le délai qui figure sur ce document est dépassé, nous alertons la préfecture. C’est elle qui décide de la suite à donner. Soit celle-ci nous redonne un document qui prolonge l’autorisation de circuler en France, soit, au regard par exemple d’un profil dangereux, elle ordonne leur transfert dans un centre de rétention pour se donner le temps de vérifier ce qu’il faut faire. C’est alors une forme de rétention administrative.
La Sarthe n’est pas le seul département de transit des migrants…
E.C. : Non, les flux migratoires touchent aussi l’Orne, l’Indre-et-Loire, le Loir-et-Cher, partout où il y a des aires. En Sarthe, toutes celles de l’A28, à partir de l’Indre-et-Loire jusqu’au Mans, puis La Suzannerie sont des endroits propices pour ce transit via des passeurs. L’été dernier, sur l’A28, un arrêté préfectoral a été pris pour l’aire de Dissay-sous-Courcillon -et rien que sur cette aire-là : il interdit le stationnement des camions de 19h à 6h.
Qui sont ces migrants et quel est le mécanisme du transit ?
E.C. : Ils viennent du Tchad, de Somalie, d’Irak, d’Afghanistan… Ils veulent aller en Angleterre. Arrivés en France, ils font appel à des passeurs, qui vont les faire monter dans des camions. C’est sur les aires qu’ils se sont donné rendez-vous pour gagner l’A28, où là, ils montent dans ceux qui rejoignent Ouistreham.
Les véhicules individuels qui arrivent la nuit sur ces aires sarthoises transportent bien des migrants ?
E.C. : Oui, ces voitures servent à les transférer jusqu’à la Suzannerie. Ce sont de grosses cylindrées, qui embarquent plusieurs migrants à la fois.
Pourquoi la destination Ouistreham ?
E.C. : Parce que c’est plus facile. Avant, c’est là-bas que les migrants montaient dans les camions. Donc beaucoup d’aires de service ont été fermées et l’Etat a mis en place une zone protégée, avec grillages et barrières. Alors maintenant, les camions font leur pause à 150km de Ouistreham. Après, ils ne s’arrêtent plus et, là-bas, il y a juste un contrôle du chauffeur à la barrière.
Les migrants évitent-ils d’utiliser des mobiles ?
E.C. : Oui, s’ils ne sortent pas leurs téléphones sur les aires, c’est par discrétion. Et, de toute manière, les rendez-vous ont été pris en amont. Pendant que les chauffeurs dorment, les passeurs dévissent les portes arrière des camions, ils ont le matériel pour le faire. Leurs réseaux sont très organisés. Si le chauffeur n’entend rien, ce sont 10 à 15 migrants que le passeur fait monter dans le camion. Une fois sur deux, il se réveille et il fait le 17… et les gendarmes arrivent.
Les passeurs privilégient-ils un type de camion ?
E.C. : Oui, ils les font plutôt monter dans des camions frigorifiques. Il nous est déjà arrivé que des migrants nous téléphonent depuis l’un d’eux, sachant que le chauffeur ne sait pas qu’ils sont là. Nous les avons localisés via leurs mobiles. Nous sommes déjà tombés sur des gens qui avaient été 5 à 6h dans ces camions, avec le frigo en route.
Les migrants paraissent fatigués…
E.C. : Oui, ils ont faim, ils ont une mauvaise hygiène et, surtout en cette période, ils ont froid. Nous leur portons beaucoup d’attention quand nous vérifions leur identité. Nous ne voulons pas jeter l’opprobre sur ces gens, nous nous appliquons à les traiter avec le plus de dignité possible.
Comment migrants et passeurs peuvent-ils se parler ?
E.C. : En utilisant l’anglais, c’est une langue universelle. Nous, gendarmes, nous faisons appel à des interprètes car c’est la loi.
Quel est le profil des migrants ? Ils semblent jeunes…
E.C. : Oui, ce sont souvent de jeunes hommes, de 20 à 35 ans. Nous avons très peu de familles avec enfants et même de moins en moins. Oui, il arrive aussi que nous ayons des mineurs.
Combien les migrants paient-ils leurs passeurs ?
E.C. : Cher : plusieurs milliers d’euros.
Avez-vous un message à diffuser aux habitants de la Sarthe, qui peuvent assister à ce trafic ?
E.C. : Surtout, ne pas intervenir si l’on est sûr de voir un trafic de personnes, surtout, ne pas intervenir. Sachant que les automobilistes sarthois tombent rarement sur des migrants… Ils ne circulent pas trop dans le département à 2 ou 3h du matin. De la même façon, les chauffeurs concernés ne font pas, à cette heure, de trafic départemental : ce sont des routiers qui font des trajets internationaux qui sont sur ces aires.
Cette mission qui consiste à surveiller le transit des migrants n’est-elle pas éreintante pour les gendarmes ?
E.C. : C’est vrai que face aux migrants… les gendarmes restent des hommes, des femmes. Quand nous voyons des gens qui ont faim… Nous leur donnons très régulièrement à manger. Les gendarmes emmènent du pain, des laitages, de l’eau qu’ils ont pris chez eux. Sur toutes ces aires, nous avons un dispositif de surveillance jour et nuit. Ça porte ses fruits : depuis l’été dernier -sur les 6 derniers mois- il y a une baisse patente du nombre de migrants en transit.