Les Alpes Mancelles

Il publie les lettres poignantes de son grand-père qui était Poilu

Gérard Oudard*, qui a été instit’ et directeur d’école, publie presque chaque matin une lettre que son grand-père écrivait à son épouse, depuis le front de la Grande Guerre.

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« Ah ça, tu n’y touches surtout pas ! Tu y toucheras quand je serai morte ». Forcément, le gamin Gérard, il a obéi à sa grand-mère Emma. C’est juste que sa curiosité avait été piquée quand, en fouinant avec ses trois frères dans le grenier, il était inévitable­ment tombé sur un mystérieux paquet… emballé avec une faveur. Inévitable­ment… parce qu’il s’en était donné les moyens, en retournant de fond en comble cet endroit « magnifique », où il passait du temps et encore du temps, sans se lasser. Les vacances à Evaillé, le petit Gérard Oudart les attend toujours de pied ferme. Même si grand-mère Emma sait parfois être « un peu sèche ». Tandis qu’avec la manière dont son grand-père sabotier considère les clients de son atelier encombré de vieilles machines - « des copains »- il croit deviner que ce Modeste-là est « très, très sympa ».

Des lettres au crayon à papier

« Tu vas peut-être dire que je t’ai oubliée d’avoir été trois jours sans t’écrire ». Gérard Oudard a 40 ans quand il découvre que Modeste n’hésitait pas à exprimer l’amour qu’il éprouvait à Emma. Et il le lui écrivait sur du papier à lettre, « presque toujours au crayon à papier ». Son grand-père, il ne l’a finalement « pas beaucoup connu », la faute à un fichu cancer qui le lui a ravi quand il avait 11 ans. En cette année 1989, c’est Emma qui, à son tour, s’est éteinte, à l’âge de 90 ans. « Une des premières choses que j’ai faites, c’est aller chercher le paquet emballé avec une faveur. Je me doutais de ce dont il s’agissait ». Dans la fratrie, Gérard est « le seul à avoir touché » ce trésor.

Des lettres par centaines

« Encore huit jours pour être heureux. J’irai chez moi samedi matin et je me ferai démobilise­r lundi matin ». Cette lettre, Modeste l’a écrite à Emma le dimanche 21 septembre 1919. Il est alors en Allemagne, où on l’a expédié après l’armistice. Modeste a eu beau être mobilisé sur le front de la Grande Guerre en 1916, y avoir été assez sérieuseme­nt blessé pour être rapatrié dans un hôpital à Nice « à l’arrière »… et avoir été de nouveau renvoyé vers le théâtre des opérations, il est toujours un soldat qui est prié de remiser ses amours à plus tard : la Nation n’attend pas. Cette lettre-là est une des dernières. Il en a déjà adressé… des centaines. Emma ne lui répond plus aussi régulièrem­ent. Modeste « sent que c’est la fin » et il le lui a écrit.

Pas de « copier-coller »

« Le premier et le dernier paragraphe­s sont toujours à peu près les mêmes… ». Pourtant, le petit-fils de Poilu est proprement incapable d’en faire des copier-coller pour les reproduire dans le blog** qu’il tient. « Je tape tout ». Et tant pis si, en les tapant chaque fois depuis le début « avec trois doigts », il s’inflige la charge d’une tâche de bénédictin. Cent ans « jour pour jour » après que Modeste ait écrit à Emma, Gérard Oudard publie sa lettre sur un blog qu’il tient depuis 2015. La missive enflammée apparaît en ligne à 7h**.

« Aller au bout »

« Je me suis lancé dans cette entreprise pour valoriser les documents que je possède… et pour mon grand-père et ma grand-mère ». Il a un peu de mal à finir sa phrase, Gérard. Il a un peu de mal à verbaliser ce qui l’anime. Il retient difficilem­ent ses larmes. Et puis il ne les retient pas. Même si ces lettres, il les a toutes « lues plusieurs fois ». Il va poursuivre la mission qu’il s’est assignée « jusqu’au 22 décembre 2019 ». C’est la date qui figure sur la dernière lettre de Modeste à Emma, qui est rentré à Maisoncell­es, chez ses parents sabotiers, le 28 septembre 1919, le jour de la saint Venceslas. « Maintenant que j’ai commencé, il faut aller au bout ». F.A.

* Gérard Oudard est, avec feu Maurice Gisnestièr­e, qui avait « une collection de cartes postales extraordin­aire », le co-auteur d’un ouvrage paru aux éditions Horvath, dont il a fait les textes et qui est paru en 1993, La Sarthe autrefois.

** http://modestepoi­lu.overblog.com

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Gérard Oudart tape soigneusem­ent l’abondante correspond­ance qu’ont entrenu, pendant la Grande Guerre, son grandpère et sa grand-mère, pour les mettre en ligne.
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Le grand-père de Gérard Oudart en Poilu.

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