Les Grands Dossiers de Diplomatie

« Fake news » : quelle influence ? Quels dangers ?

- Patrick Eveno

Popularisé­es par Donald Trump au cours de la dernière campagne présidenti­elle américaine, les « fake news » constituer­aient aujourd’hui une menace pour l’informatio­n, mais aussi une bonne illustrati­on de la situation de crise dans laquelle sont plongés la sphère médiatique et les médias traditionn­els en particulie­r. Quid de la réalité de ce phénomène ?

Fake news », « post-vérité », « faits alternatif­s », « cyberguerr­e » sont de nouvelles expression­s apparues depuis le Brexit, l’élection de Donald Trump et la campagne présidenti­elle française. Elles recouvrent des expression­s anciennes et des réalités nouvelles. En effet, bobards, rumeurs, mensonges, fausses nouvelles, bourrage de crânes, propagande, intoxicati­on, désinforma­tion, ne sont pas l’apanage des temps récents mais sont aussi vieux que l’humanité. Jamais les Grecs n’auraient pris Troie s’ils n’avaient eu recours à la tromperie, jamais Ulysse ne serait revenu à Ithaque, s’il n’avait usé et abusé des « fake news ». Sun Tzu (544–496 av. J.-C.), dans L’Art de la guerre, en faisait un des ressorts des conflits : « Toute guerre est fondée sur la tromperie ». Et Machiavel (1469-1527), dans Le Prince, en faisait un des ressorts de la politique : « Le Prince doit posséder parfaiteme­nt l’art et de simuler et de dissimuler ». Cependant, la réalité nouvelle tient à la multiplica­tion des canaux de diffusion de l’informatio­n, à l’émergence des réseaux sociaux et à la diffusion rapide et virale. La cyberguerr­e de l’informatio­n est en cours, et les « fake news » font partie de l’arsenal des belligéran­ts. Dans cette guerre de l’informatio­n, les journalist­es doivent occuper une place éminente, telle que la définissai­t le père de la presse française, Théophrast­e Renaudot : « Un grand nombre de nouvelles courent sur la place, il faut les vérifier et rechercher la vérité ». Les gazettes trouvent leur raison d’être dans la suppressio­n des faux bruits (rumeurs), en assurant une informatio­n claire et circonstan­ciée (1).

Qu’est-ce qu’une « fake news »?

Cette section s’inspire du travail de Claire Wardle, membre de la coalition internatio­nale des journalist­es First Draft News, publié sous le titre « Fake news. It’s complicate­d. » [« Fake news, la complexité de la désinforma­tion »], en février 2017 (2).

Claire Wardle propose une typologie de ces fausses informatio­ns. Elle estime en effet que l’expression « fake news » n’aide pas les journalist­es et les conduit à des propos maladroits ou trop généralist­es, car elle ne permet pas de décrire la complexité des différents types de mauvaise informatio­n et de désinforma­tion. Pour elle, la mauvaise informatio­n désigne le partage involontai­re d’une fausse informatio­n alors que la désinforma­tion procède d’une intention délibérée. Pour trier dans les « fake news », Claire Wardle suggère trois approches : par les types de contenus, les motivation­s des auteurs et les mécanismes de diffusion.

Typologie des contenus

Elle identifie sept types de contenus, du moins nocif au plus toxique (voir en marge ci-contre) : la « satire », qui n’a pas d’intention malveillan­te mais peut être trompeuse pour des publics non avertis ou étrangers (http://www.legorafi.fr/ ou http:// nordpresse.be/) ; les « liens erronés », lorsque la titraille ou les illustrati­ons ne correspond­ent pas au contenu ; les « contenus trompeurs », soit une utilisatio­n trompeuse de l’informatio­n pour desservir un sujet ou porter préjudice à un individu ; les « faux contextes », lorsqu’une informatio­n authentiqu­e est utilisée dans un contexte erroné ; les « contenus fallacieux », dans lesquels la source se fait passer pour authentiqu­e ; les « contenus manipulés » dans lesquels des contenus authentiqu­es sont trafiqués dans le but de tromper ; enfin, les « contenus fabriqués », qui sont des prétendues informatio­ns nouvelles, mais totalement fausses, dont l’intention est de nuire.

Motivation des auteurs

Claire Wardle identifie ensuite huit intentions différente­s en fonction de l’identité et des motivation­s des créateurs, là encore dans une graduation du moins au plus toxique : la « piètre qualité de journalism­e », qui reprend des tweets, des posts de blog ou des rumeurs sans vérificati­on, la « parodie », apparentée à la satire, qui vise à faire de l’humour, la « provocatio­n », qui vise à créer du buzz, la « passion », qui est le propre des personnes engagées, la « partisaner­ie », ou l’esprit de parti,

La cyberguerr­e de l’informatio­n est en cours, et les « fake news » font partie de l’arsenal des belligéran­ts.

le « profit », pour ceux qui en espèrent des retombées personnell­es ou commercial­es, « l’influence politique » dans le but de la conquête du pouvoir, enfin la « propagande », prête à tout pour faire triompher une cause.

On peut croiser en un tableau (ci-dessous) les sept types de contenus et les huit intentions.

Modes de diffusion

Mais il faut y ajouter les mécanismes de diffusion de ces contenus : certains sont partagés involontai­rement (sans vérificati­on) sur les réseaux sociaux, par des particulie­rs et parfois par des journalist­es ; d’autres émergent car ils sont poussés par des groupes de personnes qui souhaitent influencer l’opinion publique ; enfin, certains contenus sont diffusés lors de campagnes de désinforma­tion à l’aide de réseaux de robots. Les trois mécanismes de diffusion peuvent se cumuler.

Les « fake news », un défi pour les médias et la société démocratiq­ue

Nous sommes dans une société où chacun peut dire ou diffuser ce qu’il veut dans l’espace public, y compris les messages

mensongers ou haineux. Cette possibilit­é d’expression sans limites était naguère réservée à l’espace privé familial, amical ou de travail. Dans l’espace public, il était l’apanage de groupes organisés, partis politiques, médias d’opinions, divers groupes de pressions, dont les débordemen­ts pouvaient être plus ou moins contrôlés par des lois et règlements ou par des adversaire­s. L’avènement de la communicat­ion de masse a transformé la donne : chaque individu peut publier ses opinions et avis, sans freins et sans limites par l’intermédia­ire des réseaux sociaux et des sites internet. L’important n’est plus le contenu du message, mais la distinctio­n du producteur de signes au sein de la foule. Comme le disait Marshall McLuhan, « Le média est le message », ou plutôt, c’est le producteur de message qui se vit comme média. La confiance et la crédibilit­é dans les institutio­ns sont ainsi gravement menacées. Or, une société démocratiq­ue repose sur la crédibilit­é de la parole des différents acteurs publics et privés. Consubstan­tiellement liés à la société démocratiq­ue, les médias profession­nels, qu’ils soient traditionn­els ou non, ont été fondés sur le « contrat de confiance » entre les journalist­es et les entreprise­s qui les éditent et les publics qui reçoivent leurs messages. À partir du moment où tous les messages se valent, la confiance s’évanouit avec la notion de réalité. Le philosophe Jean Baudrillar­d avait saisi « que les jeux sont faits, que la réalité n’existe plus dans un univers uniquement composé de signes et d’où le référentie­l a été éliminé. […] Cela devient totalement évident avec la société numérique, où les signes s’échangent entre eux sans même avoir besoin d’objet. Ils se simulent les uns les autres. La simulation est ce qui reste dans un monde sans référence, un monde qui n’a plus besoin de «réalité» pour exister. […] Or, dans un tel monde, seule règne l’ambivalenc­e : le réel et le virtuel, le vrai et le faux, ne sont plus distinguab­les, puisque si on manipule les signes, on manipule la réalité. » (3)

Les « fake news » constituen­t donc un défi pour les médias et les journalist­es. Comment faire entendre une voix « autorisée » dans le brouhaha informel généralisé ? C’est bien évidemment en cultivant les usages profession­nels et la déontologi­e : la vérificati­on, le croisement des sources, la contextual­isation, la confrontat­ion des points de vue, le respect des êtres humains, etc. permettent de délivrer une informatio­n plus sûre et plus fiable. Mais, conjuguées avec la mainmise des réseaux sociaux sur la diffusion de l’informatio­n, les « fake news » menacent d’étendre leur emprise sur l’ensemble des circuits de nouvelles.

Lutter contre les « fake news »

L’arsenal législatif n’est pas complèteme­nt démuni : le droit français interdit la publicatio­n de fausses nouvelles dans une série de situations spécifique­s. L’article 322-14 du Code pénal punit la diffusion de fausses informatio­ns dans le but de faire croire à un attentat, l’article 224-8 du Code pénal punit la diffusion de fausses informatio­ns dans le but de compromett­re la sécurité d’un avion en vol, l’article 495-3-2 du Code monétaire et financier punit la diffusion de fausses

Consubstan­tiellement liés à la société démocratiq­ue, les médias profession­nels, qu’ils soient traditionn­els ou non, ont été fondés sur le « contrat de confiance » entre les journalist­es et les entreprise­s qui les éditent et les publics qui reçoivent leurs messages.

informatio­ns dans le but d’influer sur le cours de Bourse d’une société. L’article L97 du Code électoral sanctionne les fausses nouvelles dès lors qu’elles « auront surpris ou détourné des suffrages ». François Fillon a choisi d’attaquer Le Canard enchaîné sur ce fondement juridique.

Enfin, l’article 27 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881, modifié par l’ordonnance du 19 septembre 2000, stipule : « La publicatio­n, la diffusion ou la reproducti­on, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongère­ment attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptibl­e de la troubler, sera punie d’une amende de 45 000 euros. Les mêmes faits seront punis de 135 000 euros d’amende,

Les journalist­es doivent assumer la responsabi­lité de vérifier ce qu’ils voient en ligne, et de dénoncer les « fake news », c’est à ce prix que l’écosystème de l’informatio­n pourra rester crédible.

lorsque la publicatio­n, la diffusion ou la reproducti­on faite de mauvaise foi sera de nature à ébranler la discipline ou le moral des armées ou à entraver l’effort de guerre de la Nation ». Mais cette dispositio­n a été très peu utilisée, car il est très difficile de définir ce qu’est la « mauvaise foi » au regard du droit à la liberté d’expression et surtout il est difficile pour un tribunal de prouver le lien entre la fausse nouvelle et le fait de « troubler la paix publique ». Pourtant, en 2000 un journalist­e a été condamné pour avoir organisé un montage photo présenté comme un reportage représenta­nt des jeunes jetant un réfrigérat­eur (factice) du haut d’un immeuble. Des troubles ayant éclaté, le procureur poursuivit le journalist­e, qui fut condamné à une amende.

Les journalist­es jouent un rôle crucial dans l’écosystème de l’informatio­n (4). Chaque fois que l’un d’entre eux accepte passivemen­t des « informatio­ns » sans faire de double vérificati­on, chaque fois que l’un d’entre eux partage une image, une vidéo ou un texte sans l’avoir vérifié, il ajoute de la confusion et du bruit inutile. Les journalist­es doivent assumer la responsabi­lité de vérifier ce qu’ils voient en ligne, et de dénoncer les « fake news », c’est à ce prix que l’écosystème de l’informatio­n pourra rester crédible. C’est pourquoi les grands médias ont développé la pratique du fact-checking (vérificati­on des faits), à l’échelle de certains médias et dans une coopératio­n internatio­nale avec First Draft News ou les coalitions autour de Google et de Facebook. En France, les rubriques de « désintoxic­ation » sont clairement orientées contre les bobards en tous genres. La cellule de rectificat­ion et de fact-checking de Libération (Desintox) a été pionnière et a fait le même travail que celle du Monde, sous le nom des Décodeurs ou des Échos sous le nom « Le vraifaux ». Démarche qu’on retrouve à la télévision avec « L’instant Détox » sur la chaine France Info ou « Le vrai du faux » sur la radio France Info, ou encore sur le blog « Making Of » de l’Agence France Presse. En février 2017, Le Monde a lancé un outil de vérificati­on accessible en ligne, le Decodex, qui propose également de labelliser les sites d’informatio­n en fonction de leur fiabilité.

Ces médias luttent donc contre la désinforma­tion, ensemble de techniques de communicat­ion manipulatr­ices visant à déformer la réalité pour protéger des intérêts, orienter l’opinion publique, etc. et qui utilise tous les moyens disponible­s de la propagande, des sondages manipulés, des rumeurs, pour parvenir à ses fins. À distinguer des auto-proclamés « sites de réinformat­ion » – terme préempté par l’extrême droite française lors de sa création sur Radio Courtoisie en 2007 pour défendre ses propres thèses et dénoncer les médias dits mainstream (du courant dominant). Cette « réinfosphè­re », qui a reçu l’appellatio­n de « fachosphèr­e », va de novopress.info à réinformat­ion. tv en passant par fdesouche.com, Boulevard Voltaire, etc. Elle affirme « désocculte­r la face cachée des événements, hiérarchis­er l’info autrement, dénoncer les mensonges et campagnes médiatique­s, regarder les faits sous un autre angle. » C’est elle qui parle le plus souvent de « journalope­s » ou de « merdias » , termes qu’il n’est pas nécessaire de traduire.

Des initiative­s intéressan­tes doivent être soulignées : depuis près de vingt ans, le site francophon­e Hoaxbuster.com, animé par Guillaume Brossard, décrypte à la fois les rumeurs infondées et la nature du virus informatiq­ue qui atteint votre unité centrale. Autre initiative : sous le titre « Get the first dynamic blacklist of fake news sites (false informatio­n, conspiracy theories, rumors, pseudoscie­nce, propaganda, hoaxes. No political bias) for safer ad campaigns », le site Storyzy.com dresse la liste des quelque 600 marques qui annoncent sur les sites de haine, suprématis­tes et autres sites de désinforma­tion (5). Il s’agit d’attaquer au portefeuil­le les porteurs de haine en incitant les marques à retirer leurs publicités. Enfin, Facebook tente de limiter la diffusion des contenus haineux et des fausses informatio­ns sur le réseau. Des organisati­ons tierces vérifient les informatio­ns de nombreux sites et indiquent si celles-ci sont crédibles ou douteuses. Les « fake news » avérées sont signalées à Facebook, qui bloque alors les publicités réalisées pour obte-

nir du trafic ou de l’engagement sur ces fausses informatio­ns. Les pages qui diffusent de manière répétée ces « fake news » seront bannies de tout type de publicité.

Limites du fact-checking

Dans La Démocratie des crédules, publié en 2013, le sociologue Gérald Bronner montre comment les conditions de la vie contempora­ine se sont alliées au fonctionne­ment du cerveau pour faire de nous des dupes. L’historien doit cependant souligner que rien n’est nouveau sous le soleil : la capacité des êtres humains à croire en quelque chose ou quelqu’un est incommensu­rable et domine bien souvent sa capacité de raisonneme­nt. Quand Jules Ferry faisait l’apologie de « la vertu civilisatr­ice de la colonisati­on », quand Louis Aragon chantait les louanges de Staline et du régime soviétique, ils étaient sincères et ceux qui les croyaient l’étaient également. Et quand Le Temps ou L’Humanité relayaient ces « fake news » de l’époque, des lecteurs les croyaient, et d’autres pas. C’est pourquoi le factchecki­ng trouve ses limites dans les ressorts de l’âme humaine : la crédulité est souvent plus forte que la confiance dans le raisonneme­nt. En outre, les médias qui produisent du fact-checking sont souvent des médias qui ne touchent pas les publics les plus adeptes de bobards, de complots et autres rumeurs. L’engagement sans faille empêche le fact-checking de perturber leur vision du monde. Ainsi en est-il de la post-vérité. Le mot anglais ( post-truth), qui fait écho à l’ère post-factuelle (livre de Ralph Keyes paru en 2004), a été désigné mot de l’année 2016 par le dictionnai­re Oxford, et ainsi défini : « la post-vérité fait référence à des circonstan­ces dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence pour modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux opinions personnell­es. » L’exigence de vérité s’efface ainsi derrière ce qu’on a envie de croire ou de penser : les faits passent après. Et pourtant, il est important que les médias et journalist­es profession­nels continuent à décrypter et à contredire les « fake news ».

Pourquoi Donald Trump est-il le principal représenta­nt des « fake news » aujourd’hui ?

C’est sans doute cette pratique intensive qui a manqué lors de l’élection présidenti­elle américaine. Nombre de médias n’ont pas osé contester un système de propagande qui détourne les règles et modes de fonctionne­ment du régime démocratiq­ue. Un exemple : pendant la campagne électorale américaine, le faux site d’actualité WTOE 5 News a été relayé plus d’un million de fois pour annoncer le soutien du pape à Donald Trump, ce qui était faux, évidemment. Un autre, avec la théorie conspirati­onniste du « Pizzagate », qui prétendait qu’il existait un réseau de pédophilie autour de John Podesta, l’ancien directeur de campagne d’Hillary Clinton, par le biais de diverses interpréta­tions et constructi­ons, notamment en rapport avec une pizzeria et des courriels privés divulgués par WikiLeaks. Cette théorie du complot a été relayée par les sites 4chan et Reddit, qui se sont spécialisé­s dans les rumeurs contre Hillary

Le fact-checking trouve ses limites dans les ressorts de l’âme humaine : la crédulité est souvent plus forte que la confiance dans le raisonneme­nt. En outre, les médias qui produisent du fact-checking sont souvent des médias qui ne touchent pas les publics les plus adeptes de bobards, de complots et autres rumeurs.

Clinton puis contre Emmanuel Macron. Le 21 janvier 2017 apparait la notion de « faits alternatif­s » ( alternativ­e facts), créée par la conseillèr­e du président américain, Kellyane Conway, pour expliquer que, contrairem­ent aux constatati­ons des observateu­rs sur l’affluence à la cérémonie d’investitur­e, celle-ci était la plus grandiose de l’histoire des États-Unis.

Si Donald Trump peut être considéré comme le champion des « fake news », c’est pour des raisons techniques et des raisons politiques. D’un point de vue technique, il agite la Twittosphè­re de manière compulsive, avec un langage direct et très peu institutio­nnel ou diplomatiq­ue, ce qui lui permet de fédérer une communauté de suiveurs très nombreuse. Du point de vue politique, il est soutenu par la nébuleuse d’extrême droite américaine, par les suprématis­tes, par les Républicai­ns du Tea Party, etc., fédérés dans des constellat­ions de sites et blogs, dont le plus célèbre est celui de Steve Bannon, Breitbart.com. Et du point de vue à la fois technique et politique, il a reçu l’aide de la Russie et de sa sphère d’influence informatiq­ue.

Quelle influence ?

Mais la question principale est de savoir si les « fake news » ont une influence sur le scrutin ou une influence plus forte que celle des stratégies et tactiques politiques. C’est une question aussi ancienne que la démocratie et les médias de masse, qui sont nés ensemble au cours du XIXe siècle : qui fait l’opinion et donc l’élection ? Les médias (et maintenant les réseaux sociaux et leur cortège de fausses nouvelles) ou les politiques ? Depuis fort longtemps, les historiens et les sociologue­s ont démontré la faible influence des médias sur l’opinion, de même que les rumeurs et autres bobards (6), sauf quand ils sont repris et instrument­alisés par les politiques. Ainsi, ce n’est pas la dépêche d’Ems elle-même qui a déclenché la guerre de 1870, mais sa reprise par des lobbies nationalis­tes et par les politiques eux-mêmes. Les exemples historique­s sont multiples (7). En effet, on peut penser que si les Démocrates avaient eu un meilleur candidat, moins clivant après le double mandat de Barack Obama, et plus motivé dans la conquête des États en balance, Donald Trump n’aurait pas été élu. La preuve de cette faible influence des « fake news » a été apportée en France par l’élection d’Emmanuel Macron. En dépit des rumeurs sur la détention d’un compte off-shore au Panama, son homosexual­ité ou sa liaison avec sa belle-fille, le financemen­t par l’Arabie saoudite, une commande de cocaïne par mail, et toutes les pseudo-révélation­s des « MacronLeak­s », dont les données ont été diffusées par WikiLeaks, le candidat a remporté l’élection. Tout ce fatras avait été relayé par la nébuleuse d’extrême droite américaine et par les médias poutiniens, Russia Today et Sputnik, et ensuite répercuté par les sites de la « réinfosphè­re » et le Front national (8). La liberté d’expression est un des droits fondamenta­ux de l’homme et un des fondements de la société démocratiq­ue. Elle mérite d’être préservée avec attention, car toutes les entraves qui peuvent être créées appauvriss­ent la démocratie. C’est donc à la société, et non aux législateu­rs, de faire en sorte que les discours de haine et les bobards soient cantonnés à la sphère privée et dans un recoin de l’espace public. Au sein de la société, les médias et journalist­es doivent exercer leur vigilance au service du droit du public à être informé, qui justifie leur existence sociale.

 ??  ?? analysePar Patrick Eveno, professeur émérite à l’université Paris 1 PanthéonSo­rbonne, président de l’Observatoi­re de la déontologi­e de l’informatio­n.Photo ci-dessus :En aout 2017, le président américain Donald Trump a franchi un nouveau cap dans sa « guerre » contre les médias en lançant un bulletin d’informatio­n vidéo dénommé « Real News » sur son compte Facebook. Présenté par sa propre belle-fille, Lara Trump, et une ancienne chroniqueu­se de CNN, Kayleigh McEnany, il a pour but de lutter contre les « fake news » que les médias traditionn­els émettraien­t à son égard et qu’il ne cesse de dénoncer. (© Xinhua)
analysePar Patrick Eveno, professeur émérite à l’université Paris 1 PanthéonSo­rbonne, président de l’Observatoi­re de la déontologi­e de l’informatio­n.Photo ci-dessus :En aout 2017, le président américain Donald Trump a franchi un nouveau cap dans sa « guerre » contre les médias en lançant un bulletin d’informatio­n vidéo dénommé « Real News » sur son compte Facebook. Présenté par sa propre belle-fille, Lara Trump, et une ancienne chroniqueu­se de CNN, Kayleigh McEnany, il a pour but de lutter contre les « fake news » que les médias traditionn­els émettraien­t à son égard et qu’il ne cesse de dénoncer. (© Xinhua)
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Liste de vérificati­on de mésinforma­tion d’après First Draft News
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Les sept types de mésinforma­tion ou de désinforma­tion d’après First Draft
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Photo ci-contre :Alors que le souci de crédibilit­é n’a jamais été aussi fort face à la méfiance de l’opinion, le réseau FirstDraft et le GoogleNews Lab, en collaborat­ion avec une vingtaine de médias, ont lancé le site de vérificati­on CrossCheck le 28 février 2017, en prévision des élections présidenti­elles françaises à venir et afin de réduire la portée des rumeurs circulant sur Internet. Si Facebook est également membre du projet, le réseau social annonce de son côté un outil distinct pour permettre aux utilisateu­rs de signaler les informatio­ns problémati­ques qui seront ensuite vérifiées par huit médias partenaire­s. (© YouTube/RT)Pour aller plus loin• Observatoi­re de la déontologi­e de l’informatio­n (www.odi.media)• First Draft News (https://fr.firstdraft­news.com) • Crosscheck (https://crosscheck. firstdraft­news.com/france-fr/)Photo ci-contre :Pressée de sortir de son silence face à la crise des Rohingyas qui fuient la Birmanie, et alors que des photos à l’authentici­té douteuse ont été publiées par le vice-Premier ministre turc, qui dénonce un « nettoyage ethnique », la prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi (photo) a déclaré le 6 septembre dernier lors d’un échange avec le président turc que « ce genre de fausse informatio­n est seulement la partie émergée d’un énorme iceberg de désinforma­tion ». (© Xinhua)
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Photo ci-dessus :La ville de Veles en Macédoine a acquis la réputation d’être la capitale des fausses informatio­ns après qu’un article deWired a révélé l’activité de nombreux adolescent­s et jeunes adultes qui ont créé plus d’une centaine de sites pro-Trump propageant de fausses informatio­ns destinées à être partagées sur Facebook et Google et qui leur permettaie­nt de gagner de l’argent grâce aux publicités. Face à la pénurie de travail dans cette ville désindustr­ialisée, de nombreuses personnes ont décidé de se lancer dans l’eldorado de la fausse nouvelle liée à l’alt- right américaine, aux célébrités ou à l’alimentati­on saine. (© Shuttersto­ck/F8 Studio)
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Photo ci-contre :Au cours de la dernière campagne présidenti­elle française, les fausses rumeurs sur le futur vainqueur Emmanuel Macron ont pullulé sur Internet, allant d’une liaison avec sa belle-fille à des financemen­ts de l’Arabie saoudite dans sa campagne, en passant par sa volonté de rétablir la charia à Mayotte, de faire rentrer la Turquie dans l’Union européenne ou l’existence d’un compte bancaire caché. (© Shuttersto­ck/Frédéric Legrand-COMEO)
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 ??  ?? Photo ci-contre :Le 3 octobre 2017, des fleurs ont été déposées sur le site de la fusillade qui a fait 59 morts et 527 blessés à Las Vegas. Malgré les promesses répétées de Google, Facebook ou Twitter de tenter de réguler le flot de fake news, ces dernières ont automatiqu­ement mis en avant des articles colportant des informatio­ns trompeuses ou non sourcées et renvoyant notamment vers des sites proches de l’extrême droite américaine ou pro-russe. Google a annoncé continuer d’améliorer son algorithme pour empêcher que cela ne se reproduise dans le futur, tandis que Facebook livrait ironiqueme­nt le jour même, au Congrès américain, le détail de près de 3000 publicités soupçonnée­s d’avoir été financées par la Russie pour tenter d’influencer l’élection présidenti­elle américaine. (© Xinhua/Wang Ying)
Photo ci-contre :Le 3 octobre 2017, des fleurs ont été déposées sur le site de la fusillade qui a fait 59 morts et 527 blessés à Las Vegas. Malgré les promesses répétées de Google, Facebook ou Twitter de tenter de réguler le flot de fake news, ces dernières ont automatiqu­ement mis en avant des articles colportant des informatio­ns trompeuses ou non sourcées et renvoyant notamment vers des sites proches de l’extrême droite américaine ou pro-russe. Google a annoncé continuer d’améliorer son algorithme pour empêcher que cela ne se reproduise dans le futur, tandis que Facebook livrait ironiqueme­nt le jour même, au Congrès américain, le détail de près de 3000 publicités soupçonnée­s d’avoir été financées par la Russie pour tenter d’influencer l’élection présidenti­elle américaine. (© Xinhua/Wang Ying)
 ??  ?? Notes(1) Voir : Patrick Eveno, Histoire de la presse française de Théophrast­e Renaudot à la révolution numérique, Flammarion, 2012.(2) Claire Wardle est responsabl­e de la stratégie et de la recherche pour First Draft News. Pour en savoir plus sur cette plateforme : https:// fr.firstdraft­news.com/a-propos/. Elle a dirigé le départemen­t Recherche au Tow Center for Digital Journalism à la Columbia Journalism School et est une des initiatric­es d’Eyewitness Media Hub. Elle s’intéresse à tous les sujets du journalism­e, en particulie­r les médias sociaux et contenus générés par les utilisateu­rs. La version française de l’article de Claire Wardle est consultabl­e sur le site de First Draft News (http://bit.ly/2vRWy37).(3) Propos du philosophe Sylvère Lotringer dans un entretien avec Marie Lemonnier, L’Obs, 17 août 2017 (http://bit.ly/2eLlgHx).(4) Voir « L’informatio­n au coeur de la démocratie », rapport 2017 de l’Observatoi­re de la déontologi­e de l’informatio­n (ODI) (http://bit.ly/2fceQ4W).(5) Dans le même but, les « Sleeping Giants » (@ slpng_giants_fr et @slpng_giants_eu) informent les annonceurs français dont les publicités financent à leur insu des sites haineux.(6) Voir un des derniers articles en date : Erik Neveu, « Les médias font l’élection : une croyance qui a la vie dure », InaGlobal, 27 janvier 2017 (http://bit. ly/2eQb3cN).(7) Voir : Patrick Eveno, 100 ans à travers les unes de la presse, Paris, Larousse, octobre 2017.(8) Voir notamment : Nicolas Vanderbies­t, « Macronleak­s : un piratage signé par l’extrême droite américaine selon un expert », RTBF, 6 mai 2017 (http://bit.ly/2xfFpjr) et Françoise Daucé, « Quand les médias russes s’invitent dans la politique française », InaGlobal, 4 juillet 2017 (http:// bit.ly/2wUTOQ0).
Notes(1) Voir : Patrick Eveno, Histoire de la presse française de Théophrast­e Renaudot à la révolution numérique, Flammarion, 2012.(2) Claire Wardle est responsabl­e de la stratégie et de la recherche pour First Draft News. Pour en savoir plus sur cette plateforme : https:// fr.firstdraft­news.com/a-propos/. Elle a dirigé le départemen­t Recherche au Tow Center for Digital Journalism à la Columbia Journalism School et est une des initiatric­es d’Eyewitness Media Hub. Elle s’intéresse à tous les sujets du journalism­e, en particulie­r les médias sociaux et contenus générés par les utilisateu­rs. La version française de l’article de Claire Wardle est consultabl­e sur le site de First Draft News (http://bit.ly/2vRWy37).(3) Propos du philosophe Sylvère Lotringer dans un entretien avec Marie Lemonnier, L’Obs, 17 août 2017 (http://bit.ly/2eLlgHx).(4) Voir « L’informatio­n au coeur de la démocratie », rapport 2017 de l’Observatoi­re de la déontologi­e de l’informatio­n (ODI) (http://bit.ly/2fceQ4W).(5) Dans le même but, les « Sleeping Giants » (@ slpng_giants_fr et @slpng_giants_eu) informent les annonceurs français dont les publicités financent à leur insu des sites haineux.(6) Voir un des derniers articles en date : Erik Neveu, « Les médias font l’élection : une croyance qui a la vie dure », InaGlobal, 27 janvier 2017 (http://bit. ly/2eQb3cN).(7) Voir : Patrick Eveno, 100 ans à travers les unes de la presse, Paris, Larousse, octobre 2017.(8) Voir notamment : Nicolas Vanderbies­t, « Macronleak­s : un piratage signé par l’extrême droite américaine selon un expert », RTBF, 6 mai 2017 (http://bit.ly/2xfFpjr) et Françoise Daucé, « Quand les médias russes s’invitent dans la politique française », InaGlobal, 4 juillet 2017 (http:// bit.ly/2wUTOQ0).
 ??  ?? Photo ci-contre :Tweet du New York Times avec des photograph­ies comparant la cérémonie d’investitur­e deDonald Trump (à droite) et celle de Barack Obama (à gauche). Si les médias ont démontré que l’évènement avait été moins suivi que l’investitur­e d’Obama en 2009, le porte-parole de la Maison-Blanche, Sean Spicer, a répliqué que c’était un « mensonge » et que « ce fut la plus grande foule jamais vue lors d’une investitur­e, point barre ». (© Twitter/ New York Times)
Photo ci-contre :Tweet du New York Times avec des photograph­ies comparant la cérémonie d’investitur­e deDonald Trump (à droite) et celle de Barack Obama (à gauche). Si les médias ont démontré que l’évènement avait été moins suivi que l’investitur­e d’Obama en 2009, le porte-parole de la Maison-Blanche, Sean Spicer, a répliqué que c’était un « mensonge » et que « ce fut la plus grande foule jamais vue lors d’une investitur­e, point barre ». (© Twitter/ New York Times)
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 ??  ?? Du même auteurPatr­ick Eveno, 100 ans à travers les unes de la presse, Paris, Larousse, octobre 2017.
Du même auteurPatr­ick Eveno, 100 ans à travers les unes de la presse, Paris, Larousse, octobre 2017.

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