Les Grands Dossiers de Diplomatie
Aléas naturels, épidémies : le Japon, un pays exposé mais résilient ?
Le Japon est un pays particulièrement exposé aux risques de catastrophe naturelle. Pourquoi ?
P. Pelletier : L’archipel japonais se situe sur la ceinture de feu du Pacifique. Il est à la rencontre de quatre plaques tectoniques qui s’avancent par subduction sous les îles principales, et parfois l’une sous l’autre — ce qui, d’un point de vue volcanique et sismique, est extrêmement turbulent.
Quels sont les principaux types d’aléas naturels qui menacent le pays ?
Il y a trois types d’aléas contre lesquels les Japonais ne peuvent pas grand-chose : le volcanisme, les séismes et les tsunamis (voir carte). Il existe bien évidemment des systèmes de prévention ou de défense, tels que la mise en place d’un développement urbain antisismique. Pour ce qui est du volcanisme, il suffirait de ne pas habiter dans les zones à risques, mais ces régions volcaniques ont en général un grand intérêt touristique ou des zones fertiles, ce qui génère une présence humaine importante. Le Japon est aussi confronté à des aléas climatiques comme les typhons. Mais on n’observe pas d’intensification majeure du phénomène physique en tant que tel. En revanche, les conséquences sont parfois plus désastreuses à cause d’une mauvaise occupation de l’espace liée à l’urbanisation.
C’est notamment le cas des pluies torrentielles qui ont lieu en juin/juillet — un phénomène ponctuel lié à un épisode météorologique particulier — et qui affecte surtout Kyûshû et l’Ouest du pays. Elles ont touché la plaine d’Okayama en juillet 2018, déclenchant des inondations qui ont fait plus de 200 morts. L’urbanisation ayant gagné les plaines et artificialisé les sols, les conséquences sont beaucoup plus brutales aujourd’hui. Le typhon Hagibis d’octobre 2019 a fait de nombreux dégâts parce qu’il a traversé de plein fouet la region la plus urbanisée.
En 1995, la ville de Kobe était touchée par un violent tremblement de terre qui a fait plus de 6000 victimes. En 2011, le séisme de la côte Pacifique du Tohoku faisait, lui, près de 16 000 victimes. Pourtant, à chaque fois, le Japon semble se relever de ces catastrophes. Comment expliquer la force et la détermination des Japonais face à ce type d’évènements ? Et quelle est la stratégie du gouvernement japonais pour faire face à l’important coût financier qu’elles génèrent ?
Les Japonais ne peuvent changer de pays et ils doivent donc s’y adapter. Le pays
consacre beaucoup de moyens financiers et techniques pour se relever de ces catastrophes. Même s’il est surendetté, cette dette est détenue essentiellement par la Banque du Japon, donc par les Japonais eux-mêmes [voir p. 30]. Le pays mobilise donc ses propres ressources.
C’est aussi, historiquement, une société d’artisans et de bâtisseurs. Ne serait-ce que pour voyager dans le pays, il fallait des ponts, des ports, des routes, puis des voies ferrées, etc. Entreprises et techniciens comptent parmi les meilleurs pour les infrastructures en béton — ponts et tunnels notamment. De grandes entreprises du BTP sont très proches du pouvoir central, mais aussi des pouvoirs locaux. Il s’agit d’un système keynésien, qui permet d’injecter des fonds dans l’économie… tout en entretenant du clientélisme ou de la corruption. Tout cela fait « tourner la machine à béton ». Le secteur du BTP pousse à la construction, comme c’est le cas dans la région du Sanriku, touchée par le tsunami en 2011. Des digues encore plus hautes sont construites partout, alors que les précédentes ont montré leurs limites : la digue qui encadrait l’entrée de la baie de Kamaishi, considérée comme la plus haute du monde (11 m de haut, ancrée à 63 m de profondeur), a été fracassée en mars 2011. Il existe parallèlement dans le pays une connaissance de l’aléa et du risque. Il y a un cadre socio-culturel. Certaines générations sont plus ou moins bien préparées, comme ce fut le cas pour le tsunami du Sanriku, où les plus anciens se souvenaient du tsunami de 1960. Il y a également des structures ou des institutions qui ont l’expérience pratique de la gestion de crise.
Neuf ans après la catastrophe nucléaire de Fukushima, où en est concrètement la situation sur le terrain ?
Dans la zone impactée par la catastrophe, le gouvernement pousse au retour de la population. Cependant, seuls 20 % de la population initiale sont effectivement retournés sur place, essentiellement des personnes âgées revenues pour finir leur vie dans leur région natale. Face à l’échec de cette stratégie, le terme de « retour » a été abandonné. L’État parle désormais de « revitalisation ».
Les terres contaminées sont récupérées et stockées à différents endroit du département de Fukushima. Mais aux premières pluies, les sols sont à nouveau contaminés. C’est un véritable travail de Sisyphe.
Enfin, la problèmatique la plus cruciale, c’est la question des cuves de la centrale.
Elles sont pleines des eaux utilisées pour refroidir les réacteurs, qui sont toujours chauds. Il est question de déverser ces eaux contaminées dans la mer, mais cela fait bien entendu polémique.
Est-ce que le refus de la population de revenir s’explique par un manque de confiance envers les mesures mises en place localement ?
La population locale considère qu’elle a été trahie. L’alerte n’a pas été donnée correctement, car, lorsque les responsables du système informatisé de prévision d’urgence environnementale SPEEDI — qui avait calculé la direction du panache radioactif — ont prévenu les autorités, ces dernières ont décidé qu’il ne fallait rien dire à la population, craignant une panique. Mais en ne disant rien, chaque commune a été livrée à elle-même, et les habitants se sont réfugiés dans les montagnes, pensant bien faire, là où précisément le panache radioactif est arrivé.
La catastrophe de Fukushima a-t-elle durablement marqué les esprits dans le pays ?
Oui, c’est certain. Cependant, il est difficile d’évaluer comment cela se manifeste. Le ressenti est variable selon les régions. Dans le Sud-Ouest du pays, à 1500 km de Fukushima, les évènements n’ont pas été vécus de plein fouet. Par ailleurs, il existe également des formes de déni de la situation. La population veut oublier cette catastrophe profonde qui, au-delà des dangers liés à la radioactivité, illustre l’échec technologique du Japon, a minima. C’est la faillite de la gestion d’une catastrophe. Cela aurait pu être l’échec de la croyance technologique, mais ce n’est pas le cas chez les dirigeants — et en partie dans la population — puisqu’ils ont adopté la solution hypertechnicienne de rebâtir des digues plus hautes, et partout, même là où il n’y a pas d’habitants. Tchernobyl a été présenté comme lié à l’incompétence des Soviétiques et à la
nature de leur système, et comme ne pouvant pas arriver au Japon. Mais Fukushima est une contre-expérience qui pose de vraies questions de fond. Cependant, comme il est très difficile de sortir de la logique du système en place du jour au lendemain, l’ensemble des conséquences n’a pas encore été pris correctement en compte.
Une telle catastrophe pourrait-elle à nouveau se produire ? La centrale de Fukushima no 1 était l’une des plus anciennes du Japon et le problème est venu de l’inondation du système des pompes de refroidissement. Le problème ne s’est pas posé dans la centrale d’Onagawa, plus récente, située plus au nord dans le Sanriku. Depuis l’accident de 2011, les consignes de sécurité ont été renforcées. Mais le Japon reste un pays sismique.
Dans son histoire, le Japon a été confronté à de multiples catastrophes naturelles. Les Japonais ont-ils toujours été aussi résilients ?
Le terme de « résilient », particulièrement d’actualité, pose problème, car il devient un instrument permettant de faire passer un certain nombre de politiques qui ne sont pas forcément voulues par la population, en particulier pour le retour dans les zones contaminées de Fukushima.
Les Japonais connaissent les risques — d’origine naturelle ou autres — qu’ils encourent, mais la connaissance théorique et la pratique sont deux choses bien différentes. Ce fut notamment visible à Kôbe, en 1995, car c’est une ville qui théoriquement n’aurait pas dû être touchée par un séisme. La population n’avait donc aucune habitude en ce domaine. À Tôkyô, la population ressent physiquement les séismes, mais ce n’est pas le cas partout au Japon.
Le monde est aujourd’hui confronté à une pandémie de coronavirus, qui n’a pas épargné le Japon et a entraîné le report des Jeux olympiques de Tôkyô prévus l’été prochain. Qu’est-ce qui est fait au Japon pour lutter contre ce virus ? Le pays est-il aussi résilient face aux menaces sanitaires que face aux catastrophes naturelles ?
Historiquement, sur un temps long, le Japon a, de par son éloignement et son insularité, été relativement protégé des épidémies. Mais depuis une trentaine d’années, la situation est différente. Ce fut notamment le cas avec l’épidémie du sida, qui a été trés mal gérée et qui a notamment été marquée par un scandale de sang contaminé, comme en France ; puis le SRAS en 2002, dont le pays a tiré les leçons, comme à Taïwan ou en Corée du Sud. La pandémie de coronavirus illustre l’intensité de la relation entre la Chine et le Japon. Les premières contaminations sont dues à des Japonais revenus de Wuhan. Le premier décès d’un malade du coronavirus remonte au 13 février. Jusqu’au 26 février, le pays comptait un décès par jour, puis 3 décès par jour jusqu’au 10 mars, où le pays comptait alors 567 cas identifiés, ce qui sur 125 millions d’habitants ne représente pas grand-chose. Depuis 2000, environ 1,3 million de Japonais décèdent chaque année (il y a une légère augmentation avec le vieillissement démographique), soit un peu plus de cent mille personnes par mois. Le Japon est un pays considéré comme propre, et qui a déjà l’habitude de se protéger des grippes intérieures. Le port du masque et le lavage des mains y sont habituels. Ces mesures prophylactiques de base ont aidé à contenir l’épidémie. Mais ce virus est nouveau et particulièrement contagieux, il faut donc demeurer vigilant. Au niveau des mesures, le gouvernement cible avant tout les clusters en tentant de repérer les individus contaminés. Fin février, les tests concernaient près de mille personnes par jour. Le 27 février, le gouvernement a décidé la fermeture des écoles, mais pas des universités. Il appelle à réduire les déplacements, mais ne les interdit pas. Les autorités renforcent les mesures au cas par cas, en particulier à Hokkaidô, qui est proportionnellement la région la plus touchée.
Alors que le Japon n’avait détecté à la mi-mars qu’un peu plus de 1300 infections sur 125 millions d’habitants, certains estiment que le gouvernement japonais aurait pu cacher les chiffres dans l’espoir de pouvoir maintenir l’organisation des Jeux olympiques. Qu’en pensez-vous ?
C’est une thèse avancée par certains médias coréens. C’est possible, mais dans la perspective de gagner du temps. Le pic des nouveaux cas a semble-t-il été atteint à la mi-mars. Il ne faut pas perdre de vue que le choix de Tôkyô pour les JO d’été, hautement politique, est totalement lié à la question du nucléaire civil comme militaire. Les États-Unis ont besoin de la technologie nucléaire japonaise, et du Japon pour justifier leur parapluie atomique dans le cadre du traité de sécurité nippo-américain. Le Japon a besoin des États-Unis comme marché pour leur vendre sa technologie nucléaire, mais pense peut-être à se doter de sa propre bombe atomique. On peut ainsi se demander pourquoi le Japon n’a pas signé le traité sur l’interdiction des armes nucléaires du 7 juillet 2017, contrairement à 122 autres États. La question renvoie à son rapport avec les États-Unis, sur ce dossier comme sur d’autres.
La pandémie de coronavirus illustre l’intensité de la relation entre la Chine et le Japon.