Les Grands Dossiers de Diplomatie
JO reportés : quelles conséquences ?
(© AFP/Behrouz Mehri)
Après des semaines de résistance et de pressions internationales, notamment de la part des Comités olympiques nationaux (Canada, Brésil, Australie, Norvège, Royaume-Uni) et de la population japonaise elle-même, le gouvernement Abe a annoncé le 24 mars le report des JO au plus tard à l’été 2021. S’il est désormais acquis que lesdits Jeux n’auront pas lieu comme prévu du 24 juillet au 9 août 2020, les organisateurs demeurent flous dans leur formulation d’un nouveau calendrier. L’été 2021 est d’ores et déjà bien rempli, de nombreuses compétitions sportives sont déjà programmées : championnats du monde d’athlétisme (août 2021 aux États-Unis) et de natation (été 2021 au Japon) ou l’Euro de football prévu du 11 juin au 11 juillet, etc.
Outre un calendrier à repenser, ce report pose des questions en matière d’organisation, alors que la compétition se déroule sur 42 sites. Un certain nombre de sites essentiels pour la tenue des Jeux pourraient ne plus être disponibles dans un an, étant donné que nombre de ces installations ont été affectées à un usage post-olympique. Le centre de convention de Makuhari Messe (lutte, taekwondo et escrime) est le plus fréquenté du Japon ; il accueille près de 1000 événements par année. Le palais des congrès Tokyo Big Sight a déjà des réservations pour l’été 2021. Quant au village olympique, converti en complexe immobilier après les Jeux, il est déjà en vente avec une date de livraison des appartements en mars 2023.
Sur le plan économique, le Japon va devoir entretenir des installations coûteuses d’ici les Jeux, indemniser des sous-traitants, relancer une campagne de billetterie et de recrutement de bénévoles, prolonger des contrats d’employés, dont 14 000 gardes de sécurité. Par exemple, il est fort probable que les organisateurs soient obligés de rembourser les billets déjà vendus, dont 4,48 millions pour le seul Japon sur les 6,8 millions disponibles au total. D’après les médias japonais, les pertes financières dues au report pourraient atteindre 6 milliards de dollars, répartis entre le gouvernement et les entreprises privées telles que Bridgestone, cette dernière ayant investi près de 3 milliards de dollars en parrainages. Face à la crise économique mondiale actuelle, il n’est pas non plus exclu que plusieurs partenaires officiels demandent un remboursement (Toyota, Panasonic, Canon, Asahi, NEC, etc.). Quant au secteur de l’hébergement et de l’hôtellerie, il est frappé de plein fouet par le double choc du report des Jeux et de la baisse du tourisme. Plus les Jeux sont repoussés, plus les incertitudes concernant l’économie japonaise sont grandes.
Pour le Japon, le report est une décision difficile, mais elle semble être la moins mauvaise des solutions. Une annulation aurait été une catastrophe politique, Abe Shinzo faisant de l’organisation des Jeux une question d’honneur et d’image pour son pays. D’un autre point de vue, si le report bouleverse la succession et l’influence de Abe au sein du Parti libéral démocrate (PLD), qui a été conçu autour du prestige et de l’héritage des Jeux en 2020, cette décision pourrait tout de même renforcer dans le futur le soft power [voir p. 26] et le leadership japonais dans les affaires internationales, le Japon étant vu comme une puissance responsable. E.M.