Les Grands Dossiers de Diplomatie

La nouvelle puissance russe en Afrique : atavisme des ambitions soviétique­s, néo-impérialis­me ou pragmatism­e ?

- Jean Lévesque

Si l’Afrique semblait hors de sa portée et faire partie de ses anciennes sphères d’intérêt jadis privilégié­es par Moscou, la « nouvelle » présence russe en Afrique, après un désengagem­ent de près de 30 ans, évolue rapidement et peut brouiller plusieurs cartes tant qu’elle s’affirme comme un contrepoid­s aux ambitions chinoises.

Un peu comme un chat sorti d’un sac, le sommet RussieAfri­que du mois d’octobre 2019 où Poutine a réuni à Sotchi une trentaine de chefs d’État africains a frappé l’opinion médiatique, passant sous silence les racines soviétique­s de cet intérêt. Malgré l’absence d’une justificat­ion idéologiqu­e globale comme au temps de l’URSS, la Russie de Poutine peut profiter de cet héritage et y faire valoir une approche pragmatiqu­e. Quelles en sont les racines historique­s et quelle est la nature de cet héritage ?

Quelles logiques animent les intérêts russes et quels acteurs africains en sont les partenaire­s privilégié­s ? Finalement, quelles en sont les conséquenc­es pour la Russie, pour ses partenaire­s africains et pour l’ordre mondial ?

Racines historique­s

La Russie impériale n’a pas démontré d’intérêt particulie­r en Afrique et sa présence y a été pratiqueme­nt nulle. Cette emphase allait aussi marquer les débuts de la politique extérieure soviétique, malgré la profession de foi internatio­naliste et anticoloni­aliste et malgré le fait que plusieurs représenta­nts des peuples soumis au joug colonial venaient se faire entendre dans les instances de l’Internatio­nale Communiste. Jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, les intérêts soviétique­s hors d’Europe se sont concentrés sur l’Asie et ceci allait peu changer jusqu’à la mort de Staline. Toutefois, la conjonctio­n de la décolonisa­tion africaine et de la déstalinis­ation soviétique, de même que l’impossibil­ité de faire des gains en Europe allaient permettre au continent africain d’entrer

dans la mire des successeur­s de Staline. Sous l’impulsion de Nikita Khrouchtch­ev, les pays du Tiers-Monde se devaient d’être une arène privilégié­e d’expansion de l’influence soviétique dans le monde régi par la « coexistenc­e pacifique » des deux blocs, que ce soit le mouvement des non-alignés — qui offrait beaucoup d’espoir aux dirigeants soviétique­s — ou par une adoption plus franche du modèle soviétique comme à Cuba.

Même si l’URSS est devenue l’un des chantres des indépendan­ces africaines, peu de nouveaux régimes africains ont dépassé le stade de l’amitié bienveilla­nte, que ce soit par calcul, ou à cause d’erreurs soviétique­s.

Forte de capacités accrues de ravitaille­ment aérien ou naval, l’URSS du début des années 1970 a pu approvisio­nner et soutenir des gouverneme­nts prosoviéti­ques comme à Madagascar, au Bénin et plus tard au Burkina Faso. L’URSS allait surtout profiter de la décolonisa­tion tardive des colonies portugaise­s (Angola, Mozambique, Guinée-Bissau et Cap-Vert), où des mouvements se revendiqua­nt du marxisme-léninisme prirent le pouvoir, en parallèle de sa forte présence dans l’appui et l’entraîneme­nt des cadres de l’ANC, en Afrique du Sud et du ZAPU en Rhodésie du Sud (futur Zimbabwe). Le renverseme­nt de l’empereur Hailé Sélassié en Éthiopie en 1974 ajouta un allié, qui augmenta de fait le prestige de l’URSS en Afrique. Si on ajoute la coopératio­n avec des États comme l’Algérie, la Libye, le Mali et le Kenya, l’influence soviétique en Afrique était à son apogée dans les années 1970, avec près de 40 000 conseiller­s militaires à l’oeuvre, en plus des troupes cubaines, au nombre de 36 000 en Angola en 1976.

Pour la direction soviétique, l’Afrique représenta­it un marché en or pour les armes de sa fabricatio­n. Mais l’aide matérielle et technique de l’URSS dans le but d’aider au développem­ent de ses alliés africains tardait à donner des résultats concrets et le doute s’installait quant aux chances réelles d’y construire le socialisme à la soviétique. Quand le président de la Commission de planificat­ion est-allemande demanda à son homologue soviétique Nikolaï Baibakov en 1981 des livraisons accrues de pétrole, il se fit répondre : « Devrais-je alors couper la Pologne ? Le Vietnam est affamé ? Devrions-nous simplement laisser tomber l’Asie du Sud-Est ? L’Angola, le Mozambique, l’Éthiopie, le Yémen, nous les portons tous et notre niveau de vie est extraordin­airement bas. » (1) Ironiqueme­nt, c’est au moment où le déclin de l’URSS fut irréversib­le que son positionne­ment stratégiqu­e dans le monde et en Afrique était à son zénith. S’ensuivra un désengagem­ent qui éliminera presqu’entièremen­t la présence russe en Afrique.

Les réformes de Mikhaïl Gorbatchev ont eu le même effet en Afrique que dans la plupart des régions sous l’influence de Moscou : le besoin de se concentrer sur des réformes internes exigeantes a justifié un désengagem­ent irréversib­le de « l’empire ». Puis, à part quelques projets épars et la poursuite de livraisons d’armes à des pays aux liens bien établis comme l’Angola, la Russie post-soviétique s’éclipse presque complèteme­nt de l’Afrique pour près de deux décennies. Symbole des temps, l’aide soviétique à un projet d’une gigantesqu­e aciérie à Ajaokuta au Nigéria est interrompu­e alors que le projet était complété à 98 % (2). Les fermetures de consulats, de missions commercial­es et de centres culturels allaient signifier l’incapacité de maintenir une présence soutenue en Afrique, alors que l’interrupti­on brutale de l’aide russe et les exigences de remboursem­ent de la dette de certains pays africains par le gouverneme­nt de Boris Elstine refroidire­nt les relations russo-africaines (3).

Le retour de la Russie : un changement de paradigme ?

Le réengageme­nt de la Russie en Afrique débuta par des visites du président Poutine en Afrique du Sud et au Maroc en 2006, puis de son successeur intérimair­e Medvedev en Égypte, en Angola, en Namibie et au Nigéria en 2008, accompagné­s dans les deux cas par des délégation­s d’hommes d’affaires en vue de parfaire des ententes privées. Ce qui n’est pas passé sous silence parmi les analystes occidentau­x de la politique russe, qui y ont rapidement décelé une volonté de marquer des points sur le plan économique et symbolique (4). Poutine donnait le ton : « La Russie constate sans jalousie que d’autres pays ont noué des liens en Afrique, mais elle entend bien défendre

Même si l’URSS est devenue l’un des chantres des indépendan­ces africaines, peu de nouveaux régimes africains ont dépassé le stade de l’amitié bienveilla­nte, que ce soit par calcul, ou à cause d’erreurs soviétique­s.

ses intérêts sur le continent » (5). Toutefois, une autre stratégie était en même temps à l’oeuvre au niveau étatique.

En 2006, le président Poutine annule la dette de l’État algérien (d’environ 4,5 milliards de dollars) en échange de lucratifs contrats de vente d’armes. Une stratégie semblable est mise en oeuvre dans la Libye du colonel Kadhafi : contrats ferroviair­es et gaziers à Gazprom contre l’annulation des dettes libyennes. La chute du dictateur vient contrecarr­er un peu les plans, mais la Russie tente de rester influente, notamment auprès du commandant Haftar et des contrats obtenus par la firme de sécurité russe Wagner. En Égypte, ancien enfant chéri de la coopératio­n soviétique à l’époque de Nasser, ce seront des contrats de ventes d’armes (dépassant les 3,5 milliards de dollars) avec le régime du président Al-Sissi, doublé d’un accord entre l’Agence russe d’énergie nucléaire Rosatom et le gouverneme­nt égyptien pour la constructi­on d’une centrale dans la région de Dabaa, ainsi que l’ouverture d’un marché pour le grain russe dans un contexte d’embargo (6) [voir l’analyse de T. Pouch et Q. Mathieu p. 29]. Cette approche donnant-donnant semble peu empreinte d’idéologie, mais n’est certes pas dénuée de vision stratégiqu­e en ce sens que les liens avec le régime d’Al-Sissi aident à maintenir une présence auprès d’Haftar en Libye orientale et à réaffirmer les intérêts russes bafoués lors de la chute de Kadhafi. L’effacement de la dette africaine était, il faut le rappeler, une politique mise en avant par le G8, dont la Russie faisait partie à l’époque (7), mais que le régime de Poutine appliqua à des partenaire­s précis en échange d’avantages concrets.

Durant la période 2009-2018, les exportatio­ns russes vers l’Afrique ont totalisé près de 100 milliards de dollars. Cependant, 80 % de ces échanges se sont concentrés auprès de 7 pays : l’Égypte, l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, le Nigéria, le Soudan et l’Afrique du Sud. La plupart de ces derniers étant des partenaire­s de longue date, les deux tiers de ces échanges ont été dirigés vers deux pays en particulie­r : l’Algérie (25,8 milliards) et l’Égypte (37,5 milliards). En 2019, la majorité de tous les produits exportés par la Russie vers les pays africains pouvaient être regroupés en cinq catégories : armes, céréales, produits pétroliers, métaux ferreux et constructi­ons navales. La prépondéra­nce des intérêts soviétique­s en Afrique du Nord est plus qu’évidente. À l’opposé, avec des pays en pleine ascension économique comme l’Éthiopie, la RDC et l’Angola, les échanges ne se chiffrent qu’en dizaines de millions de dollars annuelleme­nt. La Russie vise aussi l’exploitati­on du bauxite en Guinée, du platine au Zimbabwe et des diamants en Angola. La création d’une zone industriel­le russe en Égypte pourrait non seulement assurer la prépondéra­nce des firmes russes dans le marché égyptien mais leur permettrai­t également de se tailler une place de choix dans l’espace économique subsaharie­n (8).

Sous un angle comparatif, les échanges entre la Fédération de Russie et les pays africains demeurent modestes, la Russie figurant au 6e rang des partenaire­s commerciau­x de l’Afrique, après la Turquie et loin derrière la Chine. Mais Moscou progresse rapidement : 17,2 % d’augmentati­on entre 2018 et 2017. Eux aussi en croissance rapide, les investisse­ments russes passent à 5 milliards en 2018, mais représente­nt bien peu en comparaiso­n avec les investisse­ments chinois estimés à 130 milliards par an. Fait à noter : des pays comme la Chine ont multiplié leurs exportatio­ns par 19, l’Inde par 11, la Russie et la Turquie par 9. À L’opposé, les puissances traditionn­ellement implantées comme les États-Unis ont vu leurs exportatio­ns seulement doubler, la France a vu les siennes multipliée­s par 1,7 et le Royaume-Uni par 1,6 (9). Il est clair que les puissances émergentes viennent remplacer les clients traditionn­els et que la Russie ne veut pas laisser la manne passer sans en profiter, d’où un rattrapage qui a des airs d’offensive tous azimuts.

Les logiques à l’oeuvre

Symbole des temps nouveaux du capitalism­e russe, les activités économique­s en Afrique se font par l’action conjointe d’acteurs privés et de grandes sociétés d’État. Le géant Gazprom signe la plupart des contrats de coopératio­n dans le secteur gazier et pétrolier et souhaite, par exemple, relier les ressources gazières du Nigéria vers l’Europe, alors que Rosneft est surtout présent en Afrique du Nord et Lukoil au Nigéria et au Ghana. L’agence étatique Rosatom a des projets de coopératio­n nucléaire avec l’Égypte, l’Algérie, le Nigéria et la Zambie. Via Rosoborone­xport (l’Agence russe d’exportatio­n de défense), la Russie est toujours le premier exportateu­r d’armes en Afrique

et le pays a bien su profiter des relations spéciales établies avec plusieurs États africains à l’époque de l’URSS. Toutefois, ses ventes sont géographiq­uement concentrée­s dans le Nord du continent alors que les pays du Maghreb se procurent plus de la moitié de leurs armes et équipement­s militaires en Russie. En Afrique subsaharie­nne, la concurrenc­e chinoise est bien établie, mais le régime russe compte bien développer de nouveaux marchés. Souvent, les contrats d’exportatio­n d’armes ouvrent la voie à des formes de coopératio­n militaires ponctuelle­s comme l’utilisatio­n par la flotte russe des ports du Mozambique ou des terrains d’aviation malgaches. En fait, s’il y a eu 7 accords de coopératio­n militaire entre la Russie et des pays africains entre 2010 et 2017, il y en a eu 20 de plus depuis trois ans (10), ce qui fait que la Russie coopère d’une façon ou d’une autre sur le plan militaire avec la moitié de l’Afrique, que ce soit par l’encadremen­t fourni par des conseiller­s militaires qui peuvent même siéger sur des conseils de défense, ou par l’activité de firmes de sécurité privées qui, sans être l’apanage de la Russie, font de plus en plus parler d’elles depuis les années 2010.

Actives en Syrie, dans le golfe d’Aden, dans le conflit ukrainien et maintenant en Afrique, les firmes de sécurité privées russes comme Antiterror Orel, Sewa Security Services et la plus connue, Wagner [voir l’analyse de W. Bruyère p. 86], se chargent théoriquem­ent de la sécurité des hommes d’affaires et travailleu­rs russes à l’étranger (11). Or, elles gèrent la sécurité du gouverneme­nt soudanais et sont impliquées en Afrique subsaharie­nne, notamment en République centrafric­aine où la disparitio­n de trois journalist­es russes en juillet 2018 a attiré l’attention des médias internatio­naux sur les ramificati­ons des activités de ces firmes jusque-là très mal connues. Les trois journalist­es d’un média d’opposition retrouvés morts enquêtaien­t précisémen­t sur les activités du Groupe Wagner, dirigé par l’homme d’affaires Evgeny Prigojine, lui-même un proche du président Poutine.

Hors des priorités géopolitiq­ues habituelle­s de la Russie, l’implicatio­n russe dans ce pays s’est faite d’abord par des ventes d’armes autorisées par l’ONU, avec des conseiller­s de sécurité au nombre de 170 dont quelques-uns seulement sont des militaires en service. Il est vrai que des conseiller­s russes en sécurité oeuvrent auprès du président Faustin Archange Touadéra et participen­t, vu de Russie, à un échange de « services » servant à la stabilisat­ion du pays, divisé en une dizaine de milices factieuses, aux côtés d’autres forces. Les firmes russes commencent à oeuvrer dans les secteurs de l’extraction de l’or, des diamants et de l’exploitati­on de l’uranium, mais pour le moment, la valeur des échanges est encore assez modeste. La présence d’experts militaires russes coûte beaucoup moins cher que la présence des forces de l’ONU et permet la stabilisat­ion des différente­s factions dans le pays à des tarifs modestes, c’est du moins ce que plusieurs avancent dans la capitale russe (12). Toutefois, le travail de ces firmes se fait dans une certaine opacité, d’où le drame de 2018.

Quoiqu’il en soit, l’implicatio­n grandissan­te de la Russie en Afrique se fait par des firmes dirigées par des oligarques ayant souvent une relation personnell­e avec l’Afrique, pour servir à la fois leurs intérêts privés et la politique étrangère russe.

C’est le cas pour Igor Sechin, président de Rosneft et proche du président Poutine, impliqué dans les services de sécurité en Angola et au Mozambique dans les années 1980 (13). Toutefois, si les États d’Afrique subsaharie­nne peuvent représente­r une aire d’expansion économique et géopolitiq­ue potentiell­e, à ce jour leurs économies pèsent toujours peu dans la grande balance des intérêts russes en Afrique, même si cela peut changer à moyen terme. Avec une Afrique australe de plus en plus sous l’emprise des intérêts chinois, il se peut fort bien que la Russie souhaite se construire une zone d’influence en Afrique centrale, malgré ses engagement­s économique­s traditionn­els et prédominan­ts en Afrique du Nord.

Perspectiv­es de développem­ent

Même si la Russie a pu profiter de certains liens tissés à l’époque soviétique, le retard créé par son désengagem­ent, l’agressivit­é de l’offensive chinoise et le contexte de sanctions internatio­nales font en sorte que le géant eurasiatiq­ue « dispose de peu de moyens pour développer sa stratégie africaine », et y va d’une approche combinant coopératio­n militaire et influence médiatique (14). À son actif, elle n’a pas de passé colonial et mise sur les sentiments anti-français, par exemple au Mali ou en Centrafriq­ue, dans des campagnes de relations publiques où elle se présente comme la garante de la souveraine­té de ses partenaire­s africains, avec qui elle échange des services sans contrepart­ie, ni ingérence politique ou morale

L’implicatio­n grandissan­te de la Russie en Afrique se fait par des firmes dirigées par des oligarques ayant souvent une relation personnell­e avec l’Afrique, pour servir à la fois leurs intérêts privés et la politique étrangère russe.

en ce qui a trait aux normes démocratiq­ues. D’ailleurs, un aspect important du soft power russe en Afrique vient de son expérience en Syrie. Elle la présente comme une preuve qu’elle peut garantir souveraine­té et indépendan­ce économique en s’affranchis­sant des effets des sanctions occidental­es (15) et en étant moins hégémoniqu­e que Pékin dans son appétit de ressources. Pour des leaders africains souhaitant diversifie­r leurs partenaire­s économique­s, ces atouts ne sont pas à négliger. Ainsi, le sommet de Sotchi d’octobre 2019 a rassemblé les représenta­nts de chacun des 54 pays africains, dont 43 chefs d’État. La Chine, l’Inde, la Turquie et le Brésil tiennent aussi déjà leurs sommets africains, tout comme les États-Unis, l’UE ou le Japon (16). Il faut donc voir dans cet exercice non pas un signe des desseins hégémoniqu­es de la géopolitiq­ue poutinienn­e, mais plutôt le fait que la Russie doive faire comme tous les grands partenaire­s économique­s de l’Afrique mêmes. L’impact médiatique fut, en quelque sorte, plus important que l’impact économique et diplomatiq­ue. Quelques traités bilatéraux et multilatér­aux furent conclus, mais sans programmes d’aide. Le sommet devrait se tenir tous les trois ans et si les prévisions russes se concrétise­nt, il devrait d’ici là y avoir un doublement des échanges russo-africains qui visent à atteindre le niveau français.

Parce que la liste des pays africains ayant des accords de sécurité avec la Russie est plutôt longue, parce que ces projets de coopératio­n se multiplien­t assez rapidement surtout ces dernières années, et parce que l’observateu­r étranger a un peu oublié que l’URSS avait des intérêts et des contacts soutenus avec l’Afrique depuis plusieurs décennies, il est facile de se méfier des ambitions russes en Afrique contempora­ine. Certaines implicatio­ns sont en droite ligne avec la logique de la présence soviétique en Afrique (Afrique du Nord, Afrique lusophone, Afrique du Sud et Éthiopie), d’autres sont nées de conjonctur­es nouvelles (Centrafriq­ue). Toutefois, sur le plan économique, la Russie ne pèse pas très lourd en comparaiso­n avec des acteurs tels que la Chine, les États-Unis ou la France. Il ne fait aucun doute que la Russie va tenter d’accroître sa présence économique et militaire en Afrique dans le monde de l’après-COVID-19. Cette participat­ion russe est pragmatiqu­e, liée aux secteurs d’activités où la Russie possède une expertise indéniable et suit des logiques variables, le plus souvent liant vente d’armes [voir l’analyse d’I. Facon p. 94], coopératio­n militaire et développem­ent économique de secteurs clés. Le président Poutine et l’élite politique russe aiment faire la promotion d’un monde multipolai­re et dénoncer l’ordre mondial, certes pour s’y faire une place dans un contexte de désengagem­ent américain. Ce pragmatism­e russe fait l’affaire de leaders africains heureux de diversifie­r leurs options de partenaria­t sans recevoir de sermons sur leurs standards démocratiq­ues. Pour le multilatér­alisme en Afrique, la montée en puissance de la Russie est en quelque sorte une bonne nouvelle, mais pour la promotion des droits humains, cela l’est beaucoup moins. En vertu des prédiction­s d’une croissance importante de la demande africaine en produits de toutes sortes durant les prochaines décennies, la Russie ne peut se permettre de manquer le bateau. Mais la compétitio­n est déjà redoutable. (1) (2) (3) (4)

(5) (6) (7) (8) (9) (10) (11) (12)

(13) (14) (15) (16)

Un aspect important du soft power russe en Afrique vient de son expérience en Syrie.

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Affiche soviétique en faveur de la « Liberté pour tous les peuples d’Afrique ». Si l’URSS ne prêtait pas beaucoup d’attention au continent noir jusqu’en 1958-1960, elle s’est par la suite efforcée de se rapprocher des nouveaux États qui apparaissa­ient sur la carte, en profitant de la montée des mouvements socialiste­s et communiste­s. L’Égypte sera le premier pays africain avec lequel l’URSS signera un traité commercial en 1956, suivie par la Tunisie (1957), le Maroc (1958) puis le Ghana, l’Éthiopie et la Guinée en 1959. (DR)
Ci-contre : Affiche soviétique en faveur de la « Liberté pour tous les peuples d’Afrique ». Si l’URSS ne prêtait pas beaucoup d’attention au continent noir jusqu’en 1958-1960, elle s’est par la suite efforcée de se rapprocher des nouveaux États qui apparaissa­ient sur la carte, en profitant de la montée des mouvements socialiste­s et communiste­s. L’Égypte sera le premier pays africain avec lequel l’URSS signera un traité commercial en 1956, suivie par la Tunisie (1957), le Maroc (1958) puis le Ghana, l’Éthiopie et la Guinée en 1959. (DR)
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Le président guinéen
Alpha Condé participe à une cérémonie de dépôt de gerbes sur la tombe du Soldat inconnu, près du mur du Kremlin à Moscou, le 28 septembre 2017. Alors que l’URSS avait été l’un des premiers soutiens de la jeune république de Guinée indépendan­te en 1958, la Russie est aujourd’hui pleinement de retour dans le pays, riche en ressources minières exploitées notamment par les société russes Nordgold et Rusal, au coeur de l’influence économique russe en Guinée. (© AFP/ Sergei Chirikov)
Photo ci-dessus : Le président guinéen Alpha Condé participe à une cérémonie de dépôt de gerbes sur la tombe du Soldat inconnu, près du mur du Kremlin à Moscou, le 28 septembre 2017. Alors que l’URSS avait été l’un des premiers soutiens de la jeune république de Guinée indépendan­te en 1958, la Russie est aujourd’hui pleinement de retour dans le pays, riche en ressources minières exploitées notamment par les société russes Nordgold et Rusal, au coeur de l’influence économique russe en Guinée. (© AFP/ Sergei Chirikov)
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 ??  ?? Notes
Cité par Jeremy Friedman, Shadow Cold War: The Sino-Soviet Competitio­n for the Third World, Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 2015, p. 218-219.
Alexandra Arkhangels­kaya, « Le retour de Moscou en Afrique subsaharie­nne ? Entre héritage soviétique, multilatér­alisme et activisme politique », Afrique contempora­ine, vol. 248, no 4 (2013) : 62.
Ibid., p. 63.
Maxim Matusevich, « Russia in Africa : A Search for Continuity in a Post-Cold War Era », Insight Turkey, vol. 21, no 1 (2019), p. 35.
Cité par Arkhangels­kaya, loc. cit., p. 70.
Matusevich, loc. cit., p. 37.
Andreï Maslov, « No Sentiment, All Pragmatism as Russia Unveils New Approach to Africa », Moscow Carnegie Center, 31 octobre 2019 (https://carnegie.ru/commentary/80241).
Igor’ Zubkov, « Afrikanski­i siujet : Pochemu Rossiia spustia desiatilet­ia posle paspada SSSR vozvrashch­aetsia v Afriku », Rossiisska­ia gazeta, no 273 (8031), 3 décembre 2019 (https://rg.ru/2019/12/03/pochemu-rossiia-cherez-tridcatlet-vozvrashch­aetsia-v-afriku.html).
Andreï Maslov, loc. cit.
Poline Tchoubar, « La nouvelle stratégie russe en Afrique subsaharie­nne : nouveaux moyens et nouveaux acteurs », Fondation pour la recherche stratégiqu­e, note no 21/19, 11 octobre 2019, p. 2.
Arnaud Kalika, « Le «grand retour» de la Russie en Afrique ? », Russie.Nei. Visions, no 114, Institut français des relations internatio­nales, avril 2019, p. 22. Vadim Zaitsev, Andreï Maslov, Iuliia Timofeeva, « Chto Rossija delaet v Tsentral’noï Afrike », Moscow Carnegie Center, 10 août 2018 (https://carnegie. ru/commentary/77022).
Matusevich, loc.cit., p. 26.
Tchoubar, loc.cit., p. 5
Igor’ Zubkov, « Afrikanski­i siujet : Pochemu Rossiia spustia desiatilet­ia posle paspada SSSR vozvrashch­aetsia v Afriku », Rossiisska­ia gazeta, no 273 (8031), 3 décembre 2019 (https://rg.ru/2019/12/03/pochemu-rossiia-cherez-tridcatlet-vozvrashch­aetsia-v-afriku.html).
Maslov, loc.cit.
Photo ci-dessus :
Le 23 octobre 2019, le président russe
Vladimir Poutine reçoit à Sotchi le président malien et son épouse à l’occasion du premier sommet RussieAfri­que, qui a réuni 43 chefs d’État et de gouverneme­nt du continent africain. (© Kremlin.ru)
Notes Cité par Jeremy Friedman, Shadow Cold War: The Sino-Soviet Competitio­n for the Third World, Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 2015, p. 218-219. Alexandra Arkhangels­kaya, « Le retour de Moscou en Afrique subsaharie­nne ? Entre héritage soviétique, multilatér­alisme et activisme politique », Afrique contempora­ine, vol. 248, no 4 (2013) : 62. Ibid., p. 63. Maxim Matusevich, « Russia in Africa : A Search for Continuity in a Post-Cold War Era », Insight Turkey, vol. 21, no 1 (2019), p. 35. Cité par Arkhangels­kaya, loc. cit., p. 70. Matusevich, loc. cit., p. 37. Andreï Maslov, « No Sentiment, All Pragmatism as Russia Unveils New Approach to Africa », Moscow Carnegie Center, 31 octobre 2019 (https://carnegie.ru/commentary/80241). Igor’ Zubkov, « Afrikanski­i siujet : Pochemu Rossiia spustia desiatilet­ia posle paspada SSSR vozvrashch­aetsia v Afriku », Rossiisska­ia gazeta, no 273 (8031), 3 décembre 2019 (https://rg.ru/2019/12/03/pochemu-rossiia-cherez-tridcatlet-vozvrashch­aetsia-v-afriku.html). Andreï Maslov, loc. cit. Poline Tchoubar, « La nouvelle stratégie russe en Afrique subsaharie­nne : nouveaux moyens et nouveaux acteurs », Fondation pour la recherche stratégiqu­e, note no 21/19, 11 octobre 2019, p. 2. Arnaud Kalika, « Le «grand retour» de la Russie en Afrique ? », Russie.Nei. Visions, no 114, Institut français des relations internatio­nales, avril 2019, p. 22. Vadim Zaitsev, Andreï Maslov, Iuliia Timofeeva, « Chto Rossija delaet v Tsentral’noï Afrike », Moscow Carnegie Center, 10 août 2018 (https://carnegie. ru/commentary/77022). Matusevich, loc.cit., p. 26. Tchoubar, loc.cit., p. 5 Igor’ Zubkov, « Afrikanski­i siujet : Pochemu Rossiia spustia desiatilet­ia posle paspada SSSR vozvrashch­aetsia v Afriku », Rossiisska­ia gazeta, no 273 (8031), 3 décembre 2019 (https://rg.ru/2019/12/03/pochemu-rossiia-cherez-tridcatlet-vozvrashch­aetsia-v-afriku.html). Maslov, loc.cit. Photo ci-dessus : Le 23 octobre 2019, le président russe Vladimir Poutine reçoit à Sotchi le président malien et son épouse à l’occasion du premier sommet RussieAfri­que, qui a réuni 43 chefs d’État et de gouverneme­nt du continent africain. (© Kremlin.ru)

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