Un institut de beauté loin du bien-être des salariés
Une ancienne responsable d’institut de beauté à Dieppe a été jugée pour des faits de harcèlement sur six de ses salariés, entre le 1er janvier 2010 et le 28 février 2013. Complexe, l’affaire a été mise en délibérée et le jugement sera rendu le 6 décembre.
La tension est encore palpable au tribunal correctionnel de Dieppe, mardi 15 novembre. Trois anciennes salariées d’Yves Rocher, l’institut de beauté, installé au Belvédère, se retrouvent confrontées à leur responsable de l’époque, plusieurs années après. Celle-ci est accusée de harcèlement moral sur six de ses employées entre le 1er janvier 2010 et le 28 février 2013. Une longue descente aux enfers pour le salon de beauté dont l’enseigne bretonne a déjà essuyé pas moins de 150 procès en France.
Tout a commencé avec l’arrivée d’un nouveau responsable adjoint à l’institut, choisi par la prévenue qui entretient avec lui une relation amoureuse. Cette femme, âgée de 51 ans, l’a rencontré via un site spécialisé.
L’homme n’a pas d’emploi depuis longtemps, elle le propulse au poste d’encadrant du salon du Belvédère. Tandis qu’elle s’occupe du second magasin, situé au centre-ville de Dieppe, dans la Grand-Rue. Et pour faire augmenter les performances de ses salariés et donc booster le chiffre d’affaires, la prévenue reconnaît avoir mis en concurrence les deux sites.
« Son attitude a commencé à changer en juillet 2010, explique la première victime. Elle m’a traitée de pétasse et m’a demandée de signer une attestation contre le responsable de l’institut du Belvédère. Les étagères n’étaient jamais assez bien nettoyées pour elle. Par téléphone, elle pouvait nous pourrir la vie » .
Une caméra a même été installée pour que la gérante puisse surveiller ses salariés sans être physiquement sur place. « Les choses se sont mises en place progressivement, ajoute la victime, en dépression depuis plusieurs années. Nous avions des rappels à l’ordre, des menaces, des pressions injus- tifiées… » .
La seconde victime aurait été menacée pour accepter une formation qu’elle ne souhaitait pas réaliser. Ce jour-là, le 26 janvier 2013, elle explique que le ton est vite monté et que pour faire pression, l’ancienne gérante a fait appel à un ami. Par peur, la salariée a fini par signer.
« J’avais aussi remarqué que mon ancienneté avait disparu sur mon bulletin de salaire après mon congé maternité, note-t-elle. Tout le monde me disait que j’étais la prochaine sur la liste des licenciées » . Elle confirme également les brimades au quotidien.
La troisième victime présente à l’audience a commencé par un CAP dans l’institut avant d’être embauchée en CDI. « Une fois qu’on a signé, elle commence a nous dénigrer » , lance- telle. Elle se souvient, en pleurs, de l’appel qu’elle a passé à sa patronne pour lui demander un jour de repos afin d’assister à l’enterrement de sa grand-mère. Elle le lui a refusé.
« J’ai dû me mettre en arrêt maladie » , poursuit la victime. La jeune femme a aussi subi de nombreuses insultes et brimades. « Elle me considérait comme sa boniche car j’étais seulement l’apprentie » raconte-t-elle.
À la barre, la prévenue reconnaît un climat de tension. Surtout au moment de sa séparation avec le responsable du Belvédère qu’elle avait elle-même embauché. « J’ai subi des pressions de sa part, confie- t- elle. À l’époque, je le cherchais et le ramenais à Rouen tous les jours. J’étais à cran ! Je ne me sentais plus chez moi » .
Elle voit aussi qu’il s’enferme avec des salariés dans certaines salles… Sur fond de jalousie et d’histoire amoureuse déçue, le climat à l’institut est devenu malsain. Les tensions permanentes exercées par le siège de la grande enseigne bretonne ont fini par le rendre explosif.
L’avocat des victimes met l’accent sur la dimension perverse du harcèlement moral, qui avance tapi dans l’ombre. Une situation complexe appuyée par la proposition faite à l’une des victimes et qu’elle refuse : devenir la responsable du salon du Belvédère avant l’arrivée de l’ancien compagnon de la gérante.
« Vous les voyez aujourd’hui, elles sont toutes en dépression, en pleurs avec parfois des envies de suicide, lance l’avocat. Pour une entreprise dévouée au bien-être, les conditions de travail sont loin d’être placées sous le signe de la douceur. La prévenue a une double personnalité et essaie de se faire passer pour la victime, c’est classique » .
Mais l’avocate de la défense attaque fort en remettant en cause le discours des victimes. « Il n’y a pas de lien de causalité entre les larmes que nous voyons aujourd’hui et la gérante du salon, remarque-telle. Toutes ont des problèmes personnels lourds au moment des faits. À l’une d’elle, on propose un poste à responsabilité qu’elle refuse, l’autre est présente seulement 15 jours sur les périodes des faits et la troisième semble avoir du mal à accepter l’autorité. Une expertise a révélé que ma cliente n’avait pas de profil psychologique pervers » .
Le procureur de la République à Dieppe, a soulevé la difficulté du dossier. Les comportements répétés de la gérante ont-ils pu altérer la santé morale et physique des salariés ? Il souhaite que chaque cas soit étudié car les parties ont connu des événements et des moments fragiles au moment des faits.
Il a demandé la relaxe pour l’ami de la prévenue, jugé aussi dans cette affaire, et la relaxe pour la gérante concernant les trois parties civiles qui n’étaient pas à l’audience. Pour les autres, l’affaire est mise en délibérée. Le jugement sera donné le 6 décembre.
« J’étais à cran, je ne me sentais plus chez moi » Chaque cas sera étudié